La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/11/1992 | FRANCE | N°91PA00378

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2e chambre, 12 novembre 1992, 91PA00378


VU la requête présentée pour les sociétés JOHN WALKER X...
Y... LTD ayant son siège 63, James Z..., Londres (Grande Bretagne), A... GORDON ET CY ayant son siège ... et UNITED DISTILLERS FRANCE LTD ayant son siège 21, Saint James Square, Londres (Grande Bretagne) par Me ALQUEZAR, avocat au barreau de Paris ; elle a été enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Paris le 19 mai 1991 ; les sociétés demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 8812056 et 8812057 du 17 janvier 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête n° 8

812057 comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaîtr...

VU la requête présentée pour les sociétés JOHN WALKER X...
Y... LTD ayant son siège 63, James Z..., Londres (Grande Bretagne), A... GORDON ET CY ayant son siège ... et UNITED DISTILLERS FRANCE LTD ayant son siège 21, Saint James Square, Londres (Grande Bretagne) par Me ALQUEZAR, avocat au barreau de Paris ; elle a été enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Paris le 19 mai 1991 ; les sociétés demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 8812056 et 8812057 du 17 janvier 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête n° 8812057 comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître et a également rejeté la requête n° 8812056 tendant à obtenir des indemnités pour réparer le préjudice subi du fait du manquement de l'Etat français aux obligations communautaires ;
2°) de condamner le ministre délégué au budget à verser à la société JOHN WALKER X...
Y... LTD, la somme de 41.930.207 FF avec intérêts de droit à compter de la demande initiale ; à la société A... GORDON ET CY, la somme de 2.165.440 FF avec intérêts de droit à compter de la demande initiale ; à la société UNITED DISTILLERS FRANCE LTD, la somme de 54.569.949 FF avec intérêts de droit à compter de la demande initiale ;
3°) de condamner le ministre délégué au budget à verser à chacune des sociétés requérantes une somme de 20.000 FF au titre des frais irrépétibles ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Constitution et notamment son article 55 ;
VU le code général des impôts ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
VU le traité instituant les Communautés économiques européennes, signé le 25 mars 1957 et modifié le 14 novembre 1957, ensemble le décret du 28 janvier 1958 portant publication dudit décret ;
VU la loi n° 70-576 du 3 juillet 1970 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 octobre 1992 :
- le rapport de Mme TRICOT, conseiller,
- les observations de Me ALQUEZAR, avocat à la cour, pour les sociétés JOHN WALKER X...
Y... LTD, A... GORDON ET CY et UNITED DISTILLERS FRANCE LTD,
- et les conclusions de M. GIPOULON, com-missaire du Gouvernement ;

Sur la régularité du jugement du tribunal administratif :
Considérant qu'en se plaçant pour statuer sur la demande dont il était saisi sur le terrain juridique de la responsabilité sans faute, le tribunal administratif a entendu implicitement mais nécessairement écarter les conclusions dont il était saisi en tant qu'elles invoquaient une faute de l'administration ; que les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que son jugement est irrégulier faute d'avoir répondu aux moyens soulevés ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête :
Sur les demandes aux fins de condamnation de l'Etat :
Considérant qu'à compter du 1er janvier 1975, les dispositions des articles 403 et 406 A du code général des impôts dans leurs rédactions successivement applicables, étaient incompatibles avec les dispositions de l'article 95 du traité de Rome, ainsi que l'a d'ailleurs dit pour droit la Cour de justice des Communautés européennes saisie d'une action en manquement contre la République française dans un arrêt du 27 février 1980, en ce qui concerne les dispositions applicables jusqu'à l'entrée en vigueur de l'article 13 III de la loi de finances rectificative pour 1981 ; que cette dernière loi en créant des surtaxes du droit de consommation applicables aux seuls alcools de céréales et non aux eaux de vie de vins et de fruits, alors même qu'il s'agissait de mesures transitoires et qu'elles répondaient, comme l'expose le ministre, à des "impératifs budgétaires", étaient au même titre que les dispositions antérieures incompatibles avec l'article 95 du traité ; que les sociétés requérantes, importateur et exportateurs de whisky et de gin en provenance du Royaume Uni et de la République d'Irlande, demandent, en se fondant sur l'incompatibilité avec les dispositions susrappelées du traité de la législation française applicable du 1er janvier 1975 au 1er février 1983, l'indemnisation des préjudices qu'elles estiment avoir subis à raison de la perte des bénéfices qu'elles auraient pu retirer d'importations et de ventes des alcools de céréales dont il s'agit supérieures à celles qu'elles ont effectivement réalisées, compte tenu des dispositions fiscales restrictives à la libre circulation des marchandises de l'espèce entre les pays membres de la Communauté en vigueur en France durant la période litigieuse ;
Considérant qu'il appartenait à l'Etat français en vertu des dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne et notamment de son article 5, de prendre toutes les mesures propres à assurer l'exécution des obligations qui lui incombent en vertu dudit traité et notamment d'effacer les conséquences illicites résultant d'une violation du droit communautaire, en assurant la réparation effective du préjudice qui en a résulté ; que la présente action est, en raison de son fondement susrappelé comme de son objet qui est d'obtenir la réparation du préjudice que les requérantes estiment avoir subi en toute hypothèse du fait, notamment de la "perte en termes de parts de marché" qui aurait résulté de la taxation instituée puis maintenue de leurs opérations jusqu'au 1er février 1983, détachable des actions en restitution dont il n'appartient qu'aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître ;

Considérant que la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée en raison de la situation illicite ainsi créée par l'existence durant la période du 1er janvier 1975 au 1er février 1983, de dispositions incompatibles avec le traité, dans la mesure notamment où les requérantes justifieraient que les dommages allégués sont avec la situation illicite qui a permis l'assujettissement à la taxe et sa perception dans une relation de cause à effet telle que leurs préjudices puissent être regardés comme directs et certains ;
Considérant que pour apporter les justifications qui leur incombent, les requérantes se bornent à se référer à une expertise effectuée à leur demande par deux professeurs d'économie industrielle et de marketing, qu'elles ont versée au dossier ;
Considérant, en premier lieu, que l'étude dont il s'agit concerne exclusivement les incidences pour l'importateur de la situation susrappelée ; que les requérantes se bornent à extrapoler aux exportateurs les pertes des chiffres d'affaires de l'importateur qu'elles estiment établies par ce rapport, sans avoir jamais, contrairement à ce qu'elles avaient annoncé dans leur requête et mémoire au tribunal administratif, fait connaître le détail ni même d'ailleurs les éléments essentiels de la méthode ayant permis une telle extrapolation ;
Considérant, en second lieu, en ce qui concerne l'importateur, que le rapport versé au dossier est fondé sur l'hypothèse du report total des taxes sur les consommateurs que les experts soulignent expressément eux-mêmes ne pas pouvoir valider ; que son champ est limité à un seul des produits importés, du fait notamment, expressément relevé dans le rapport, de "l'absence de données permettant d'effectuer des études analogues sur d'autres alcools de céréales distribués" ; qu'enfin, il ne donne qu'une estimation des pertes en chiffres d'affaires qui auraient été subies du fait des taxations illicites, en relevant expressément que les "pertes en bénéfice ... dépendent aussi du prix de vente et des coûts", alors que les requérantes se bornent pour chiffrer leurs préjudices à faire état du montant des chiffres d'affaires dont elles auraient été privées, d'ailleurs inférieur à celui retenu par les experts ; que dans ces conditions, et quelle que puisse être par ailleurs la rigueur de la méthode économétrique par laquelle les experts ont tenté d'approcher l'incidence de la seule variable litigieuse par rapport à celle des autres variables nécessairement en cause dans l'évolution du marché des alcools de céréales et des importations de lots alcools en France durant la période concernée, les postulats retenus par le rapport au fondement de la mise en oeuvre de ladite méthode ne sauraient être regardés ni comme permettant de tenir comme établi un lien de cause à effet entre la situation litigieuse et les dommages, conférant aux préjudices allégués un caractère direct et certain, ni même comme justifiant d'éléments suffisants pour permettre au juge d'ordonner une expertise qui n'est d'ailleurs pas sollicitée aux fins de déterminer lesdits préjudices ;
Considérant, qu'il résulte de tout ce qui précède, qu'il y a lieu de rejeter les requêtes des sociétés JOHN WALKER X...
Y... LTD, A... GORDON ET CY et UNITED DISTILLERS FRANCE LTD ;
Article 1er : : La requête des sociétés JOHN WALKER X...
Y... LTD, A... GORDON ET CY et UNITED DISTILLERS FRANCE LTD est rejetée.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 91PA00378
Date de la décision : 12/11/1992
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ2 COMMUNAUTES EUROPEENNES - APPLICATION PAR LE JUGE ADMINISTRATIF FRANCAIS DES REGLES DE DROIT COMMUNAUTAIRES - ACTES CLAIRS - TRAITE DE ROME - PRINCIPES (ARTICLES 1 A 8) - Article 5 (obligation incombant à l'Etat de prendre toute mesure propre à assurer l'exécution des obligations découlant du traité) - Obligation d'effacer les conséquences d'une imposition fondée sur un texte fiscal incompatible avec l'article 95 de ce traité (Incompatibilité des articles 403 et 406 A du code général des impôts) (2).

15-03-01-01-01, 15-07 A compter du 1er janvier 1975, les dispositions des articles 403 et 406 A du code général des impôts dans leurs rédactions successivement applicables, étaient incompatibles avec les dispositions de l'article 95 du Traité de Rome. Dès lors, il appartenait à l'Etat français en vertu des dispositions dudit traité et notamment de son article 5, de prendre toutes les mesures propres à assurer l'exécution des obligations qu'il lui impose, et notamment d'effacer les conséquences illicites résultant de cette violation du droit communautaire, en assurant la réparation effective du préjudice qui en a résulté.

- RJ1 - RJ2 COMMUNAUTES EUROPEENNES - RESPONSABILITE DE L'ETAT POUR MANQUEMENT AU DROIT COMMUNAUTAIRE - Faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat - Incompatibilité des articles 403 et 406 A du code général des impôts avec les dispositions de l'article 95 du Traité de Rome (1) (2).

60-04-01-02-01 Préjudice causé à des sociétés importatrices et exportatrices de whisky et de gin par le maintien de dispositions fiscales pénalisant leur activité. Pour justifier de ce préjudice, ces sociétés invoquent les conclusions d'un rapport réalisé à leur demande par deux professeurs d'économie et concernant uniquement les activités d'importation qui sont extrapolées par les requérantes à l'exportation sans indication de la méthode ayant servi à cette extrapolation ; en outre, ce rapport est fondé sur l'hypothèse du report total des taxes sur les consommateurs que les experts soulignent eux-mêmes ne pas pouvoir valider et son champ est limité à un seul des produits importés ; enfin, il ne donne qu'une estimation des pertes en chiffres d'affaires qui auraient été subies du fait des taxations illicites, sans se prononcer sur les pertes en bénéfice. Dans ces conditions, ledit rapport ne saurait être regardé ni comme permettant de tenir comme établi un lien de cause à effet entre la situation litigieuse et les dommages, conférant aux préjudices allégués un caractère direct et certain, ni même comme justifiant d'éléments suffisants pour permettre au juge d'ordonner une expertise aux fins de déterminer lesdits préjudices.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE CERTAIN DU PREJUDICE - ABSENCE - Préjudice commercial - Préjudice commercial estimé par application d'une méthode économétrique reposant sur des postulats incomplets et incertains.


Références :

CGI 403, 406 A
Loi 80-1094 du 30 décembre 1980 art. 13 Finances pour 1981
Traité du 25 mars 1957 Rome art. 95, art. 5

1.

Cf. CAA de Paris, Plénière, 1992-07-01, Société Jacques Dangeville, n° 89PA02498. 2.

Rappr. CE, Assemblée, 1992-02-28, Société Arizona tobacco products et S.A. Philip Morris France, n° 87753


Composition du Tribunal
Président : M. Lévy
Rapporteur ?: Mme Tricot
Rapporteur public ?: M. Gipoulon

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1992-11-12;91pa00378 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award