VU la requête présentée pour la SOCIETE HOTELIERE DE LA BAIE SAINT-JEAN dont le siège est ..., représentée par son gérant, par Me Guiraud, avocat à la cour ; elle a été enregistrée au greffe de la cour le 7 mars 1989 ; la société demande à la cour :
1°) de juger que le régime fiscal métropolitain ne s'applique pas à la Guadeloupe ; qu'en conséquence les habitants de Saint-Barthélémy continuent de bénéficier du régime d'exonération de tout impôt direct.
2°) d'annuler les décisions du directeur des services fiscaux rejetant sa demande en décharge ;
3°) d'annuler le jugement n° 323/85 du 20 décembre 1988 par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande en décharge de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des années 1977, 1978, 1979 et 1980, dans les rôles de la commune de Saint-Barthélémy ;
4°) de lui accorder la décharge demandée ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU l'acte du 26 mars 1804 du gouvernement royal suédois ;
VU la loi du 3 mars 1878 approuvant le traité conclu le 10 août 1877 pour la rétrocession à la France de l'île de Saint-Barthélémy, ensemble le décret du 12 mars 1878 portant promulgation dudit traité, avec le protocole qui était annexé ;
VU l'article 55-B de la loi du 29 juin 1918 ;
VU la délibération du Conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 ;
VU la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 ;
VU le décret n° 48-563 du 30 mars 1948 ;
VU la loi du 17 août 1948 ;
VU le décret n° 48-1986 du 9 décembre 1948 ;
VU la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959 ;
VU les articles 55 et 73 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
VU le code général des impôts ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 9 janvier 1990 :
- le rapport de Mme DUCAROUGE, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. BERNAULT, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant d'une part que le tribunal, qui a visé les moyens tirés de l'opposabilité de la délibération du Conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 et de la portée des articles 1 et 20 du décret du 30 mars 1948, y a répondu sans dénaturer les faits ;
Considérant d'autre part que le moyen tiré par la société requérante de l'usage ou de la reconnaissance par l'administration du bien-fondé des motifs invoqués par d'autres contribuables dans des litiges relatifs à l'impôt sur le revenu des personnes physiques, fondé sur des considérations étrangères à l'impôt sur les sociétés, est en tout état de cause inopérant ;
Considérant enfin que le tribunal administratif, qui a considéré que la délibération du Conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 était sans incidence sur le régime fiscal applicable, n'avait pas à répondre plus abondamment au moyen subsidiaire tiré par la requérante de ce que l'imposition aurait dû être établie sur le fondement du régime fiscal résultant de ladite délibération ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché de vices de nature à entraîner son annulation ;
Sur le principe des impositions contestées :
Considérant, en premier lieu, que l'impôt sur les bénéfices ou revenus des sociétés et autres personnes morales n'a été institué que par l'article 1er du décret 48-1986 du 9 décembre 1948 portant réforme fiscale pris sur le fondement de l'article 5 de la loi du 17 août 1948 ; que, dès lors, les moyens tirés par la société requérante de ce que les dispositions antérieures de la délibération du Conseil général de la Guadeloupe du 6 juin 1922 et de l'article 20 du décret du 30 mars 1948, pris pour l'application de l'article 2 de la loi du 19 mars 1946 qui a érigé en départements français les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française, aux termes desquelles le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et Saint-Barthélémy est maintenu provisoirement en vigueur, feraient obstacle à ce que des sociétés et autres personnes morales ayant leur siège dans la commune de Saint-Barthélémy entrent légalement dans le champ d'application de l'impôt sur les sociétés, est inopérant ;
Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient la société requérante, l'acte du 26 mars 1804 du gouvernement royal suédois, qui se borne à ajourner l'instauration d'une capitation et d'un impôt foncier dans l'île de Saint-Barthélémy, n'a pas reconnu aux habitants de cette île un droit à exemption définitive et irrévocable d'impôt direct ; que, dès lors, les stipulations de l'article 3 du protocole annexé au traité du 10 août 1877 par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélémy à la France, aux termes desquelles "la France succède aux droits et obligations résultant de tous actes régulièrement faits par la couronne de Suède ou en son nom pour des objets d'intérêt public ou domanial concernant spécialement la colonie de Saint-Barthélémy et ses dépendances" n'ont eu ni pour objet ni pour effet de garantir aux habitants de Saint-Barthélémy un droit à être définitivement exemptés de tout impôt direct qui ne leur avait pas été reconnu avant le transfert de l'île sous la souveraineté française avec le consentement de sa population ; que, par suite, la société requérante ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir que les stipulations précitées font obstacle à ce que les sociétés et autres personnes morales ayant leur siège dans la commune de Saint-Barthélémy soient légalement assujetties à l'impôt sur les sociétés ;
Considérant, en troisième lieu, que sur le fondement de l'article 73 de la constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel "le régime législatif des départements d'outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf les exceptions déterminées par la loi", les auteurs du décret portant réforme fiscale du 9 décembre 1948 pris comme il a été dit sur habilitation du législateur, ont pu légalement inclure les sociétés et autres personnes morales ayant leur siège dans la commune de Saint-Barthélémy dans le champ d'application de l'impôt sur les sociétés qu'ils ont institué ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE HOTELIERE DE LA BAIE SAINT-JEAN n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'était pas passible de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1977, 1978, 1979 et 1980 ;
Sur le moyen tiré de ce qu'une lettre circulaire de l'administration fiscale de Saint-Barthélémy en date du 9 juin 1986 a ouvert aux contribuables de cette île la possibilité d'un recours gracieux :
Considérant que si la société requérante entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, de ladite circulaire relative au recouvrement de l'impôt sur le revenu qui n'aurait pu être acquitté, elle ne peut tirer aucun moyen opérant de ce que l'administration ait ouvert une voie de recours gracieux qui, en tout état de cause, ne concerne pas l'impôt sur les sociétés ;
Sur le moyen tiré de l'usage de non recouvrement de l'impôt :
Considérant enfin qu'en admettant même que, depuis l'intervention du décret du 30 mars 1948, les contribuables de la commune de Saint-Barthélémy aient en fait bénéficié de certaines tolérances en matière d'établissement de l'impôt sur les sociétés, la requérante n'établit pas qu'elles procédaient d'une interprétation de la loi fiscale contenue dans des instructions administratives ou des réponses à des questions écrites de parlementaires publiées, et que l'administration n'avait pas rapportée à la date à laquelle elle aurait pu être réputée en avoir fait application, c'est-à-dire à la date limite qui était impartie à la société pour souscrire la déclaration de ses résultats des années au titre desquelles ont été établies les impositions contestées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE HOTELIERE DE LA BAIE SAINT-JEAN n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande en décharge ;
Article 1er : La requête de la SOCIETE HOTELIERE DE LA BAIE SAINT-JEAN est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE HOTELIERE DE LA BAIE SAINT-JEAN et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.