Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... B... et Mme D... C..., agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux de l'enfant mineure A... H... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision implicite née le 22 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 20 décembre 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant à l'enfant A... H... B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de membre de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ce visa dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros à verser à leur conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2308752 du 7 mai 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France née le 22 avril 2023 et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme A... H... B... le visa sollicité.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juin 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 mai 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. G... B... et Mme D... C..., devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- une demande de levée d'acte auprès des autorités ivoiriennes réceptionnée le 20 juin 2022, a fait apparaitre que l'acte n°420 du 27 décembre 2017 présenté à l'autorité consulaire, établi par la circonscription de Yakasse-Feyasse, est un acte apocryphe ; l'acte transmis par les autorités ivoiriennes est celui d'une tierce personne, le jeune F... E... né le 26 décembre 2017 ; ce faisant, l'identité de la jeune A... H... B... et son lien avec le réunifiant ne peut être établi ;
- aucun élément ne permet de retenir la possession d'état ; sont versés aux débats quelques transferts d'argent non destinés à sa fille alléguée, des photos non datées et non circonstanciées et des captures d'écran relatifs à des appels téléphoniques qui ne permettent pas d'établir un quelconque lien.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2024, M. G... B... et Mme D... C..., agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux de l'enfant mineure A... H... B..., représentés par Me Le Roy, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'enjoindre à l'autorité consulaire française à de lui délivrer un visa de long séjour dans un délai de 20 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que le moyen soulevé par le ministre requérant n'est pas fondé. La demande de levée d'acte ne mentionne nullement le nom de la personne mais seulement le numéro d'acte, ce qui ne permet pas d'apporter d'explications en cas de difficulté ; les demandeurs se sont rapprochés des autorités de la mairie de Yakassé Fayassé et le sous-préfet a confirmé l'existence d'une erreur ; l'officier d'état civil a alors délivré un extrait d'acte de naissance portant le numéro 422 ; cette erreur commise par l'officier d'état civil a été confirmée par le procureur de la République près le tribunal de première instance d'Abengourou ; aucun élément nouveau produit ne permet de retenir une fraude.
M. G... B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 août 2024.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les observations de Me Le Roy, représentant M. G... B... et Mme D... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. G... B..., ressortissant ivoirien né le 6 janvier 1994, a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de la cour nationale du droit d'asile du 15 juillet 2021. L'enfant mineure A... H... B..., née le 12 décembre 2017, sa fille alléguée, a sollicité la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France auprès de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire), en qualité de membre de famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire. Par une décision du 20 décembre 2022, cette autorité a refusé de délivrer le visa demandé. Par une décision implicite née le 22 avril 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre cette décision consulaire. M. G... B... et Mme D... C..., agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux de l'enfant mineure A... H... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cette décision.
2. Le ministre de l'intérieur, qui n'avait pas défendu en première instance et entend désormais se prévaloir d'une demande de levée d'acte faite auprès de la mairie d'enregistrement de la naissance de la jeune A... H... B..., relève appel du jugement du 7 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande de M. B... et Mme C... en annulant la décision de la commission.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. / (...) ". La décision consulaire est fondée sur le motif tiré de ce " les déclarations des requérants conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale. "
4. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". L'article L. 561-5 de ce code dispose que : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
5. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial de l'enfant d'une personne admise à la qualité de réfugiée ou bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien de filiation produits à l'appui de la demande de visa.
6. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
7. Pour estimer que la décision de la commission de recours contre les refus de visas (CRRV) n'est pas entachée d'erreur d'appréciation, le ministre de l'intérieur soutient qu'une demande de levée d'acte auprès des autorités ivoiriennes réceptionnée le 20 juin 2022, a fait apparaitre que l'acte n°420 du 27 décembre 2017, qui a été présenté par les demandeurs de visa à l'autorité consulaire et a été établi par la circonscription de Yakasse-Feyasse, est un acte apocryphe car cet acte n°420 concerne une tierce personne qui porte un nom et prénom différents de celui de la jeune A... H... B..., demandeuse de visa. Cette dernière circonstance est effectivement établie par le document obtenu par l'administration. Toutefois, M. B... et Mme C... justifient, de leur côté, avoir engagé des démarches auprès des autorités de la mairie de Yakasse Fayasse et du sous-préfet territorialement compétent pour obtenir des explications sur cette discordance. A l'issue de ces démarches, ils produisent aux débats des documents par lesquels ces autorités indiquent que l'acte de naissance concernant A... H... B... est un acte portant le n°422, et non le n°420, et qu'il s'agit là d'une erreur commise par l'officier d'état civil, ce que confirme également, par une attestation adressée au directeur du contrôle de l'état civil ivoirien, le procureur de la République près le tribunal de première instance d'Abengourou qui avait été saisi de cette question. Sont ainsi produits, d'une part, un certificat d'irrégularité établi le 9 juillet 2024 par le sous-préfet précité, en sa qualité d'officier d'état civil, d'autre part, un extrait d'acte de naissance - rectifié s'agissant du numéro d'enregistrement - établi le 22 juillet 2024 par l'officier d'état civil de la mairie de Yakasse Fayasse, ainsi enfin que l'attestation du 23 juillet 2024 du procureur de la république évoquée ci-dessus. Est également versé aux débats le passeport de la jeune demandeuse de visa, dont les mentions sont concordantes avec celles de l'acte d'état civil produit. Dans ces conditions, le lien de filiation de la demandeuse de visa avec le réunifiant doit être regardé comme établi. M. B... et Mme C... sont donc bien fondés à soutenir qu'en opposant le motif tiré de ce que leurs déclarations permettaient de conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale, la commission a commis une erreur d'appréciation.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre la décision de refus de visa d'entrée en France née le 22 avril 2023.
Sur les frais liés au litige :
9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à Me Le Roy, sous réserve que celle-ci renonce au versement de la part contributive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me Le Roy la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette dernière renonce au versement de la part contributive de l'État.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... et Mme C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. G... B... et Mme D... C....
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2025.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24NT01916 2