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08/07/2025 | FRANCE | N°23NT00772

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 08 juillet 2025, 23NT00772


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 12 décembre 2019 par lequel le maire de la commune de Pleyben (Finistère) a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.



Par un jugement n°2000427 du 22 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour avant cassation :



Par une requête, enregistrée le 27 décem

bre 2021, Mme D..., représentée par

Me Vérité, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement n°2000427 du tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 12 décembre 2019 par lequel le maire de la commune de Pleyben (Finistère) a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Par un jugement n°2000427 du 22 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête, enregistrée le 27 décembre 2021, Mme D..., représentée par

Me Vérité, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2000427 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) d'annuler la décision du maire de la commune de Pleyben du 12 décembre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... ;

3°) d'enjoindre à la commune de Pleyben de reconnaître, dans le délai de deux mois, l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... et des congés maladie en découlant depuis le 1er septembre 2016 ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Pleyben la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'avis de la commission de réforme est irrégulier dès lors que la commission s'est fondée exclusivement sur l'avis défavorable de l'expert sollicité par l'administration et n'a pas tenu compte des autres éléments médicaux qu'elle avait produits ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation :

* c'est la décision de la commune de l'affecter le poste de " volante ", alors qu'elle était déjà affaiblie physiquement et moralement, qui a été l'élément traumatique déclenchant son syndrome anxio-dépressif ;

* la composante " sensitive " de sa personnalité ne saurait être considérée comme une circonstance particulière conduisant à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

Par une ordonnance n°21NT03676 du 15 février 2022, le président de la 6èmechambre de la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête de Mme D... pour irrecevabilité manifeste en raison de sa tardiveté, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Par une décision n°462765 du 17 mars 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'ordonnance du 15 février 2022 et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes, où elle a été enregistrée sous le n° 23NT00772.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un arrêt avant-dire droit du 19 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a ordonné une expertise médicale.

Le rapport d'expertise médicale, réalisé par le Dr A... B..., psychiatre, a été enregistré le 11 mars 2025 et les parties ont été invitées à produire des observations sur ce rapport dans un délai de 30 jours.

La commune de Pleyben, représentée par la SELARL Chevallier et associées, et Mme D..., représentée par Me Vérité, ont produit des observations sur ce rapport respectivement enregistrées les 28 mars et 15 avril 2025 et qui ont été communiquées.

Un mémoire enregistré le 17 juin 2025 présenté pour la commune de Pleyben n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vérité pour Mme D... et Me Adam pour la commune de Pleyben

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été recrutée par la commune de Pleyben, le 1er septembre 1992, en qualité d'agent d'entretien des écoles à temps non complet. Elle a été nommée agent d'entretien des écoles stagiaire à compter du 1er février 1996, puis titularisée au 1er février 1997 par un arrêté du 13 février 1997. A la suite de la refonte des cadres d'emplois, en 2005, elle a poursuivi son activité comme agent des services techniques et a été nommée le 1er janvier 2007 au grade d'adjoint technique territorial de 2ème classe à temps complet. Le 1er septembre 2016, elle a été placée en arrêt maladie en raison d'un syndrome dépressif. Mme D... a alors demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie depuis le 17 août 2016. Par une décision du 12 décembre 2019, la commune de Pleyben a rejeté sa demande. Par un jugement du 22 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Mme D... a fait appel de ce jugement et, par une ordonnance du 15 février 2022, le président de la 6ème chambre de la cour administrative de Nantes a rejeté sa requête pour irrecevabilité manifeste en raison de sa tardiveté, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par une décision n°462765 du 17 mars 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'ordonnance du 15 février 2022 et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes. Par un arrêt avant-dire droit du 19 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a ordonné une expertise médicale.

Sur la régularité de l'expertise :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-7 du code de justice administrative : " L'expert garantit le caractère contradictoire des opérations d'expertise./ Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée./ Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport./ L'expert recueille et consigne les observations des parties sur les constatations auxquelles il procède et les conclusions qu'il envisage d'en tirer. Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour produire leurs observations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui lui sont transmises après l'expiration de ce délai. ". Lors d'une expertise médicale, l'examen clinique, qui en constitue l'une des opérations, peut se dérouler hors de la présence des parties et de leurs conseils sans entacher d'irrégularité l'expertise, dès lors que les parties ont été régulièrement convoquées et ainsi mises en mesure de participer à l'échange contradictoire tenu à l'issue de cet examen clinique sans pour autant qu'il soit porté atteinte au secret médical.

3. Il résulte de l'instruction que l'expert a diligenté, selon ses termes, une " expertise médicale préalable " le 17 mai 2024, donnant lieu à un examen médico-psychologique de

Mme D.... La commune de Pleyben fait valoir sans être contredite ni démentie par les pièces du dossier qu'elle n'a pas été informée de la tenue de cet examen et qu'elle n'a pas pu désigner un médecin conseil pour s'y faire représenter. Elle ajoute que, lors de la seconde réunion d'expertise organisée le 13 décembre 2024, l'expert s'est opposé à un nouvel examen médical de Mme D..., alors que la commune, cette fois dûment convoquée, était assistée de son médecin conseil psychiatre, au motif que cet examen avait déjà été effectué le 17 mai 2024. Dans ces conditions, l'expert, qui a organisé une réunion d'expertise non contradictoire le 17 mai 2024, a méconnu les dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative et l'expertise est entachée d'irrégularité.

4. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

5. Le rapport d'expertise médicale rendu par le Dr A... B..., enregistré le 11 mars 2025, a été soumis au débat contradictoire dans le cadre de la présente instance et il contient des éléments d'information corroborés par d'autres pièces du dossier. Il sera donc pris en compte par la cour, dans le cadre de son appréciation, comme un élément d'information supplémentaire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. En second lieu, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable à la date de la décision en litige, désormais codifié aux articles L. 822-6 à L. 822-17 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".

7. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a demandé à la commune de Pleyben de reconnaître sa maladie professionnelle. A la suite de la réception de cette demande, la commune a saisi la commission de réforme d'une demande d'avis et fait procéder à une expertise qui a eu lieu le 17 juillet 2019. Le médecin expert a relevé, à l'issue de ses travaux, que : " [Mme D...] présente une personnalité pathologique, sensitive, qui amène à l'interprétation de certains évènements comme résultant d'intentions malveillantes, notamment dans le cadre professionnel. (...) Pas de lien direct et certain entre les fonctions de l'agent et la pathologie du fait de l'existence d'un état antérieur. ". Toutefois, les différents certificats médicaux produits par la requérante, en date des 27 février 2018, 14 mars 2019, 1er aout 2019, 12 novembre 2019 et l'avis médical du psychiatre expert du 15 janvier 2020, commis par Mme D..., sont de nature à remettre en cause les conclusions du rapport du médecin expert du 17 juillet 2019 et l'avis de la commission de réforme du 5 décembre 2019. En outre, le rapport d'expertise du 11 mars 2025, établi en exécution d'un arrêt avant dire droit de la cour, relève que l'intéressée ne présentait pas d'état antérieur à son arrêt de travail du 17 août 2016 susceptible de détacher sa pathologie du service. Il relève qu'il " existe un vécu de maltraitance au travail qui a commencé après le premier accident somatique, qui s'est amplifié après le second en lien avec la non prise en compte de son état somatique. Puis est arrivé la restructuration autoritaire de son service perçu comme une mesure de rétorsion de la part de l'employeur ". Dans ces conditions, la maladie présente un lien direct avec les conditions d'exercice des fonctions et aucun fait personnel ou circonstance particulière, lesquels ne sauraient résulter de simples traits de la personnalité de l'agent dès lors que ceux-ci ne témoignent pas d'une pathologie préexistante, n'est de nature à détacher la survenance de la maladie de Mme D... du service. Par suite, la pathologie de l'intéressée est imputable au service.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint à la commune de Pleyben de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... et des congés maladie en découlant depuis le 1er septembre 2016, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais d'expertise :

11. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. ".

12. La commune de Pleyben étant la partie perdante dans la présente instance, il y a lieu, en l'absence de circonstance particulière, de mettre à la charge définitive de celle-ci les frais de l'expertise judiciaire.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Pleyben la somme de 1 500 euros à verser à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 22 octobre 2021du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La décision du maire de la commune de Pleyben du 12 décembre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la commune de Pleyben de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... et des congés maladie en découlant depuis le 1er septembre 2016, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Les frais de l'expertise confiée au Dr A... B... sont mis à la charge définitive de la commune de Pleyben.

Article 5 : La commune de Pleyben versera à Mme D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à la commune de Pleyben.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.

Le rapporteur

F. PONS

Le président

O. GASPON

Le greffier

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00772
Date de la décision : 08/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : VERITE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-08;23nt00772 ?
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