Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 août 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné pour une durée de deux ans sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 2111153 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 7 juin 2024 et le 6 mars 2025, Mme B..., représentée par Me Trifi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 avril 2024 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre chargé des naturalisations de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la motivation de la décision du 6 août 2021 est stéréotypée et insuffisante ;
- le ministre de l'intérieur n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation individuelle ;
- le ministre ne pouvait, sans méconnaître les principes d'égalité et de non-discrimination, se fonder sur l'insuffisance de ses ressources dès lors que celle-ci résulte de son handicap ;
- ses ressources sont majoritairement issues de son travail ;
- elle remplit les conditions prévues aux articles 21-14 et suivants du code civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante moldave née en 1980, relève appel du jugement du 11 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 6 août 2021 ajournant, pour une durée de deux ans, sa demande de naturalisation, motif pris du défaut de pleine insertion professionnelle de la postulante, en l'absence de ressources suffisantes et stables et alors que ses ressources sont pour l'essentiel constituées de prestations sociales.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Le dernier alinéa de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française dispose : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande. ".
3. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation, ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, elle peut légalement prendre en compte le degré d'insertion professionnelle du postulant ainsi que la nature, le niveau et la stabilité de ses ressources. Toutefois, pour rejeter une telle demande, elle ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni, par suite, sur l'insuffisance des ressources de l'intéressée lorsqu'elle résulte directement d'une maladie ou d'un handicap.
4. Il ressort des pièces du dossier que, dans le recours préalable obligatoire qu'elle a adressé au ministre le 23 avril 2021, Mme B... a fait état de difficultés de santé et des obstacles en résultant, selon elle, à son insertion professionnelle. Elle a précisé s'être vu reconnaitre la qualité de travailleur handicapé jusqu'en 2018 et avoir renoncé à demander le renouvellement de ce statut dont elle a estimé qu'il constituait un frein à son embauche. En rejetant la demande de naturalisation présentée par Mme B... au seul motif énoncé dans la décision litigieuse qu'elle n'avait pas " pleinement réalisé " son " insertion professionnelle " en raison de ce qu'elle ne disposait pas de " ressources suffisantes et stables ", alors que l'intéressée avait, dans son recours, appelé l'attention du ministre sur son handicap et qu'il appartenait à celui-ci d'apprécier le lien entre son handicap et l'insuffisance de ses ressources, le ministre a entaché sa décision d'une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard au motif d'annulation sur lequel il se fonde, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le ministre de l'intérieur réexamine, en tenant compte des circonstances de fait et de droit existant à la date de ce réexamen, la demande de naturalisation de Mme B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Trifi, de la somme de 1 500 euros, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 avril 2024 et la décision du ministre de l'intérieur du 6 août 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de naturalisation de Mme B... dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt
Article 3 : Le versement à Me Trifi de la somme de 1 500 euros est mis à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2025.
La rapporteure,
K. BougrineLe président,
O. Gaspon
La greffière,
I. Petton
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
1
N° 24NT01704 2
1