Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... G... B... et Mme F... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 novembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Conakry (Guinée) rejetant les demandes de visa de long séjour, présentées au titre de la réunification familiale, pour leurs enfants D... B... et E... B....
Par un jugement n° 2300302 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 décembre 2023 et le 9 février 2024, M. et Mme B..., représentés par Me Lejosne, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen des demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle, le versement à son profit de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a insuffisamment motivé sa décision s'agissant des moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, du défaut d'examen particulier de leur situation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le tribunal a omis de répondre aux moyens tirés de ce que la commission aurait, en s'estimant en situation de compétence liée, commis une erreur de droit et de ce qu'elle aurait entaché sa décision d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation de l'ensemble des membres de la famille ;
- le tribunal n'a pas tenu compte des pièces produites sous le numéro 21 ;
- la commission n'a pas suffisamment motivé sa décision ;
- elle n'a pas procédé à l'examen de leur situation concrète, notamment au regard des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- en estimant que les demandeurs de visa n'avaient pas droit à la délivrance d'un visa au titre de la réunification familiale, elle a commis une erreur de droit au regard des articles L. 561-2 à L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle s'est à tort estimée en situation de compétence liée et s'est, par suite, abstenue de faire usage de son pouvoir d'appréciation ;
- elle a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences des refus de visa sur leur situation personnelle et familiale ;
- en tirant de la seule circonstance que les demandeurs n'étaient pas éligibles à la procédure de réunification familiale la conclusion que les refus de visa ne méconnaissaient pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle a commis une erreur de droit ;
- les refus de visa méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ils sont contraires à l'intérêt supérieur de leurs enfants protégés par les stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55 %) par une décision du 31 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants guinéens, résident en France sous couvert de cartes de résidents en qualité de parents de la jeune A..., née le 24 septembre 2019 et dont la qualité de réfugiée a été reconnue par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 26 février 2021. Des demandes de visa de long séjour ont été présentées, au titre de la réunification familiale, pour les deux enfants aînés du couple, E..., née le 16 septembre 2013, et D..., né le 6 juillet 2015. Par une décision du 2 juin 2022, les autorités consulaires françaises en poste à Conakry ont refusé de délivrer les visas sollicités. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire par une décision implicite puis par une décision expresse du 8 novembre 2022. M. et Mme B... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission du 8 novembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, il ressort de la motivation de la décision contestée que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que dès lors que les demandeurs de visa n'entraient pas dans le champ de la réunification familiale prévue à l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les refus de visa opposés à leurs demandes n'étaient pas contraires aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. En déduisant de la seule circonstance que les intéressés n'étaient pas en droit de prétendre à la délivrance d'un visa sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la conclusion que les stipulations ci-dessus mentionnées n'étaient pas méconnues, sans procéder à un examen particulier des incidences des refus de visa au regard de la vie privée et familiale de l'ensemble des intéressés et de l'intérêt supérieur des demandeurs de visa et de leur sœur, la commission a entaché sa décision d'erreur de droit.
3. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
4. Il ressort des pièces du dossier que les jeunes E... et D..., âgés, respectivement, de seulement neuf et sept ans, à la date de la décision en litige, ont été confiés, lors du départ de leur mère en 2018, à une amie. Ils sont depuis hébergés par différents proches sans bénéficier d'un foyer stable. M. et Mme B... qui justifient assumer leur entretien matériel, par l'envoi de mandats et veiller à leur éducation, comme en témoigne le suivi de leur scolarité, maintiennent, en outre, des liens affectifs avec leurs deux enfants aînés. De plus, il ressort de la décision du 21 février 2021 accordant le statut de réfugié à la jeune A... et des déclarations devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de Mme B..., qui a subi des mutilations sexuelles à trois reprises, que les requérants craignent légitimement que leur fille aînée soit, contre leur volonté, également victime de telles pratiques sans être en mesure d'y faire obstacle du fait de leur éloignement. Enfin, à la date de la décision en litige, les intéressés, qui résidaient en France sous couvert de cartes de résidents depuis moins de dix-huit mois, ne pouvaient solliciter le bénéfice d'un regroupement familial. Dans ces conditions, les refus de visa litigieux méconnaissent l'intérêt supérieur de la jeune E... et portent au droit au respect de la vie familiale tant des demandeurs que de leurs parents une atteinte disproportionnée aux buts en vus desquels ils ont été pris, en méconnaissance des stipulations citées au point précédent.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 8 novembre 2022.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard au motif d'annulation mentionné aux points 3 et 4, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance de visas de long séjour aux enfants D... B... et E... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 %. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. Dans ces conditions, il y a lieu, sur le fondement des dispositions des articles L.761-1 du code justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle de mettre à la charge de l'Etat le versement Me Lejosne de la somme de 1200 euros hors taxe, à condition que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 octobre 2023 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 8 novembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas de long séjour aux enfants E... B... et D... B..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Lejosne la somme de 1 200 euros hors taxe au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... G... B... et Mme F... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Coiffet, président-assesseur,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 février 2025.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
O. GASPONLa greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03814