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19/11/2024 | FRANCE | N°23NT02409

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 19 novembre 2024, 23NT02409


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 5 mai 2021 du premier président et du procureur général près la cour d'appel de Rennes portant retrait du bénéfice du congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) qui lui a été accordé le 25 novembre 2020.



Par un jugement n°2103236 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision.



Procédure devant l

a cour :



Par une requête, enregistrée le 8 aout 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 5 mai 2021 du premier président et du procureur général près la cour d'appel de Rennes portant retrait du bénéfice du congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) qui lui a été accordé le 25 novembre 2020.

Par un jugement n°2103236 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 aout 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 juin 2023 et de rejeter la demande de M. E....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les chefs de la cour d'appel de Rennes ne pouvaient se fonder sur les dispositions du décret du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l'Etat, pris pour l'application de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que cette loi ne serait pas applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2024, M. E... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir, à titre principal, que la requête est irrecevable et à titre subsidiaire qu'aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;

- le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2019-122 du 21 février 2019 ;

- le code des pensions civiles et militaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,

- et les observations de M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., magistrat judiciaire, a été nommé vice-procureur près le tribunal de grande instance de Cayenne par un décret du 10 décembre 2018 et installé dans ses fonctions le 1erjanvier 2019. Après avoir été affecté au tribunal judiciaire de Rennes à la suite de sa nomination en qualité de vice-président placé auprès du premier président de la cour d'appel de Rennes par un décret du 27 avril 2020, il a été placé en congé de longue maladie (CLM) du 20 juin 2019 au 20 septembre 2020. Par des courriers des 7 septembre 2019 et 1er août 2020, il a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie à l'origine de son CLM et le bénéfice des dispositions du décret n°2019-122 du 21 février 2019. Par une décision du 25 novembre 2020, le premier président de la cour d'appel de Rennes et le procureur général près de cette cour ont accordé à l'intéressé, à titre provisoire, le bénéfice d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS). Par une décision du 5 mai 2021, intervenue après un avis émis le 11 février 2021 par la commission de réforme, ces mêmes autorités ont retiré à M. E... le bénéfice du CITIS. Saisi par M. E..., le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision par un jugement du 9 juin 2023.Le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour d'annuler ce jugement.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. Il ressort de la décision du 18 avril 2023 portant délégation de signature du secrétaire général du ministère de la justice, régulièrement publiée, que ce dernier a donné, en application de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, à Mme B... C..., signataire de la requête d'appel, adjointe au chef du bureau du contentieux administratif et du conseil, chef du pôle contentieux statutaire, délégation de signature à l'effet de signer au nom du garde des sceaux, ministre de la justice, à l'exclusion des décrets, tous actes, arrêtés et décisions relevant du service de l'expertise et de la modernisation du secrétariat général dans la limite des attributions du bureau du contentieux administratif et du conseil de la sous-direction des affaires juridiques générales et du contentieux. Par suite, la requête d'appel du garde des sceaux, ministre de la justice est recevable.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 67 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : /1° En activité ; /2° En service détaché ; /3° En disponibilité ; / 4° Sous les drapeaux ; / 5° En congé parental. (...) ". Aux termes de l'article 68 de cette ordonnance : " Les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions ci-dessus énumérées s'appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire et sous réserve des dérogations ci-après. ". Aux termes de l'article 2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " La présente loi s'applique aux fonctionnaires civils des administrations de l'Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics y compris les établissements mentionnés à l'article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales, à l'exclusion des fonctionnaires des assemblées parlementaires et des magistrats de l'ordre judiciaire. (...) ".

4. En vertu de l'article 68 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant certaines positions, dont le congé maladie pour invalidité temporaire imputable au service, qui est une position d'activité, s'appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire. Dès lors qu'aucune disposition du décret du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l'Etat n'est contraire aux règles statutaires du corps judiciaire, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a estimé que ces dispositions n'étaient pas applicables aux magistrats de l'ordre judiciaire.

5. Il appartient alors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif de Rennes et devant la cour.

6. En premier lieu, par un décret du 12 avril 2016, M. D... a été nommé conseiller à la Cour de cassation pour exercer les fonctions de premier président de la cour d'appel de Rennes et par un décret du 1ermars 2021, M. Benet-Chambellan, avocat général à la Cour de cassation, a été déchargé des fonctions de procureur général près la cour d'appel de Rouen et chargé des fonctions de procureur général près la cour d'appel de Rennes. La décision en litige comporte en outre la signature de ses auteurs ainsi que la mention lisible de leurs noms, prénoms et qualités. La circonstance selon laquelle la décision en cause ne mentionne pas les actes de nomination des autorités signataires est sans incidence sur sa légalité. Par suite, le moyen selon lequel il n'est pas justifié de la compétence des auteurs de la décision en litige doit être écarté.

7. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 46 du code des pensions civiles et militaires, dans sa version applicable : " La commission de réforme est, lorsqu'il s'agit d'examiner le cas d'un membre du Conseil d'Etat ou d'un magistrat de l'ordre judiciaire, composée comme suit : (...) 2° Dans chaque autre département, sous la présidence du commissaire de la République ou de son représentant, qui dirige les délibérations mais ne participe pas aux votes : - le chef de service dont dépend l'intéressé, ou son représentant ; - le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques ou son représentant ; - deux représentants, titulaires ou éventuellement suppléants, des magistrats à l'égard desquels la commission est compétente et qui sont désignés par leurs collègues dans les conditions fixées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ; - les membres du comité médical prévu à l'article 5 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986. Le secrétariat de la commission de réforme départementale est celui du comité médical prévu à l'article 6 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986. Cette commission est compétente à l'égard des magistrats exerçant leurs fonctions dans le département considéré, sauf pour les premiers présidents et procureurs généraux et pour les présidents et procureurs des tribunaux judiciaires de Nanterre, Bobigny et Créteil, qui relèvent de la compétence de la commission visée au 1° ci-dessus. " Aux termes de l'article R. 49 du même code : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou un spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération. (...) ".

8. D'autre part, aux termes de l'article 5 du décret du 14 mars 1986 susvisé, dans sa rédaction applicable : " Il est institué auprès de l'administration centrale de chaque département ministériel un comité médical ministériel compétent à l'égard des personnels mentionnés au 1er alinéa de l'article 14 ci-après. Ce comité comprend deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, pour l'examen des cas relevant de sa qualification, un spécialiste de l'affection pour laquelle est demandé le bénéfice du congé de longue maladie ou de longue durée prévu à l'article 34 (3e et 4e) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. Un suppléant est désigné pour chacun de ces membres. (...) ". Aux termes de l'article 5-1 de ce même décret : " Un conseil médical départemental est institué auprès du préfet dans chaque département. / Les conseils médicaux départementaux sont compétents à l'égard des fonctionnaires qui exercent leurs fonctions dans les départements considérés et qui ne relèvent pas de la compétence d'un autre conseil médical. (...) ".

9. Il ressort du procès-verbal de la commission de réforme du 11 février 2021 que celle-ci était composée du président, de deux médecins, d'un délégué du personnel et d'un représentant de l'administration. Toutefois, l'absence d'un représentant du personnel à la réunion du 11 février 2021 de la commission de réforme départementale ou la présence d'un seul médecin généraliste ne sont pas, à elles seules de nature à entacher la procédure d'irrégularité, dès lors qu'il n'est ni établi ni même allégué par M. E... que cette commission n'aurait pas siégé puis délibéré dans les conditions fixées par l'article R. 49 du code des pensions civiles et militaires précité, en vertu duquel elle ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice, parmi lesquels un praticien de médecine générale ou un spécialiste compétent pour l'affection considérée, assiste à la séance et prend part à la délibération. En outre, le fait qu'un seul des représentants prévus par le décret du 14 mars 1986 a siégé n'a ni exercé une influence sur la décision prise, ni privé M. E... d'une garantie à laquelle il avait droit dès lors qu'il ressort des mentions de son avis que la commission a, lors de sa séance du 11 février 2021, adopté cet avis à l'unanimité. De plus, si M. E... soutient que l'administration aurait refusé de procéder à une expertise complémentaire, il ne résulte d'aucune disposition législative ni réglementaire que l'administration était tenue de procéder à une telle expertise. Enfin, si M. E... fait valoir que la commission de réforme de Guyane aurait dû être saisie, il ressort des pièces du dossier que le comité départemental de la Guyane a bien été saisi et a, le 9 janvier 2020, estimé que son avis, sollicité sur la question du droit à l'intéressé d'un congé de longue maladie, était devenu sans objet, puis a recommandé de saisir la commission de réforme pour avis sur la reconnaissance d'une maladie imputable au service. Il ressort en outre des pièces produites en première instance, et notamment du procès-verbal de la séance du 11 février 2021, que la commission de réforme de Rennes, régulièrement saisie le 4 août 2020 en raison de la mutation de l'intéressé dans ce ressort, a ainsi pu se prononcer sur la demande du requérant. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision du 5 mai 2021 est intervenue au terme d'une procédure irrégulière.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 47-5 du décret du 14 mars 1986 relatif, notamment, au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa version applicable : " (...) 2°En cas de maladie, de deux mois à compter de la date à laquelle elle reçoit le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles. / Un délai supplémentaire de trois mois s'ajoute aux délais mentionnés au 1° et au 2° en cas (...) de saisine de la commission de réforme compétente. (...) /Au terme de ces délais, lorsque l'instruction par l'administration n'est pas terminée, l'agent est placé en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire (...) ". Selon les termes de l'article 47-9 du même décret : " (...) Lorsque l'administration ne constate pas l'imputabilité au service, elle retire sa décision de placement à titre provisoire en congé pour invalidité temporaire imputable au service et procède aux mesures nécessaires au reversement des sommes indûment versées. (...) ". La décision du 5 mai 2021 relève que les délais d'examen des dossiers devant la commission de réforme ont rendu impossible la prise de décision des chefs de cour avant l'expiration du délai maximum de cinq mois prévus par les dispositions de l'article 47-5 2° cité ci-dessus. M. E... a donc été placé, à titre provisoire, par une décision du 25 novembre 2020, en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour la période du 20 juin 2019 au 20 septembre 2020 inclus, dans l'attente de l'avis de la commission de réforme. Dès lors que M. E... a été placé, à titre provisoire, en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour la période du 20 juin 2019 au 20 septembre 2020 inclus, cette décision, dont les conditions du retrait sont réglées par décret, n'est pas susceptible d'avoir créé des droits au profit de l'intéressé et il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire préalable.

11. Il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 5 mai 2021 du premier président et du procureur général près la cour d'appel de Rennes. Le garde des sceaux, ministre de la justice est donc fondé à demander l'annulation de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er: Le jugement du 9 juin 2023 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Pons, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 novembre 2024.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

C. VILLEROT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°23NT02409


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02409
Date de la décision : 19/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : SELARL LVI AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-19;23nt02409 ?
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