Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... D..., agissant en son nom et au nom de l'enfant Djenny B... D... Nzita, a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours, réceptionné le 17 octobre 2022, contre la décision de l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo refusant de délivrer à l'enfant Djenny B... D... Nzita un visa de long séjour au titre de la procédure de réunification familiale, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à venir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2300780 du 1er décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er février 2024, M. I... D..., agissant tant en son nom qu'en qualité de représentant légal de l'enfant Djenny B... D... Nzita, représenté par Me Chauvière, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er décembre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours, réceptionné le 17 octobre 2022, contre la décision de l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo refusant de délivrer à l'enfant Djenny B... D... Nzita un visa de long séjour au titre de la procédure de réunification familiale ;
3°) d'annuler la décision du 12 janvier 2023 de l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision est dépourvue de motivation ;
- la décision est entachée d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que les actes d'état civil versés au dossier sont authentiques et permettent d'établir la filiation de l'enfant laquelle ressort également d'éléments de possession d'état ; les actes versés ont été établis en les formes usitées dans le pays et ne peuvent en aucun cas faire l'objet de contestation et ne font d'ailleurs l'objet d'aucune critique, à l'exception de deux phrases lapidaires : " les documents produits ne sont pas probants et vos déclarations conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale ".
- lui et son fils peuvent se prévaloir de la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du Code civil ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. D... n'est fondé et s'en remet à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Coiffet.
Considérant ce qui suit :
1. M. I... D..., ressortissant de République démocratique du Congo né en 1985, réfugié en France depuis le 29 septembre 2011, qui avance être le père de l'enfant Djenny B... D... Nzita, né le 15 avril 2008, a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour pour cet enfant au titre de la procédure de réunification familiale. Par une décision du 16 août 2022, l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo a refusé la délivrance de ce visa. Par une décision implicite née le 17 décembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre cette décision consulaire.
2. M. D... a, le 17 janvier 2023, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 17 décembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée et de long séjour et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours, sous astreinte. Par un jugement du 1er décembre 2023, cette juridiction a rejeté cette demande. M. D... relève appel de ce jugement et sollicite l'annulation tant de la décision du 16 août 2022 de l'autorité consulaire que de la décision précitée née le 17 décembre 2022.
Sur les conclusions dirigées contre les décisions du 12 janvier 2023 de l'autorité consulaire :
3. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ".
4. En vertu des dispositions de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire née le 17 décembre 2022, s'est substituée à la décision consulaire du 16 août 2022. Par suite, les conclusions présentées par M. D... tendant à l'annulation de cette décision du 16 août 2022 ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre la décision née le 17 décembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
5. Il ressort des écritures en défense du ministre de l'intérieur et des outre-mer versées en première instance que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France doit être regardée comme ayant rejeté le recours de M. D... aux motifs d'une part que la réunification familiale a été sollicitée plus de dix ans après l'obtention du statut de réfugié par l'intéressé, et d'autre part que les jugements produits par le demandeur sont des jugements de complaisance irréguliers et comportent des affirmations erronées.
6. Aux termes des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. Aux termes de l'article L 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". L'article L. 561-5 du même code prévoit que : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. "
7. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Cet article, dans sa rédaction applicable au litige, dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". D'une part, il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
8. Il ressort des pièces versées au dossier que, pour établir sa filiation avec l'enfant Djenny B... D... Nzita, né le 15 avril 2008 qu'il présente comme son fils, M. I... D... a, d'une part, versé aux débats de première instance trois jugements du tribunal pour enfants de C... A... des 24 avril 2020 et 3 septembre 2021 et du 23 février 2022. Par le premier d'entre eux, le tribunal qui avait été saisi par Mme J..., se présentant comme la mère de l'enfant Djenny B... D..., a reconnu la filiation de cet enfant avec M. I... D... comme étant établie. Par le second jugement, cette même juridiction saisie par Mme E... G..., se présentant comme la grand-mère maternelle de l'enfant Djenny B... D..., a autorisé l'enregistrement tardif de la naissance de l'enfant Djenny B... D... Nzita, né le 15 avril 2008 de l'union libre de M. D... et Mme H... et a enjoint à l'officier de l'état civil de la commune de Bumbu de délivrer l'acte d'état civil correspondant, ce qui a été effectivement fait le 22 février 2022 sous l'acte de naissance n° 076/2022. Enfin, par le dernier jugement qui avait été versé aux débats, le tribunal saisi cette fois par le requérant, représenté par son conseil, a confié l'exercice de l'autorité parentale ainsi que la garde de l'enfant Djenny B... D... Nzita à " son père ", M. I... D.... D'autre part, le requérant a versé aux débats en appel des jugements rendus par la même juridiction les 9 et 15 janvier 2024 ainsi que le jugement supplétif du 20 avril 2024, qui portent annulation respectivement du jugement rendu en avril 2020 et de l'acte de naissance n° 076/2022, qui ont été rendus sur saisine de Mme E... G..., permettant d'établir le lien de filiation de l'enfant avec le requérant. Enfin, M. D... a produit le 21 août 2024 un jugement rendu le 22 mai 2024 par le tribunal pour enfants de C... A... qui après avoir notamment constaté que " M. D... I... est père biologique de l'enfant D... F... B..., que Mme K..., mère biologique de l'enfant est partie depuis plusieurs années sans faire entendre de ses nouvelles (...) que l'enfant dont la garde est sollicitée est né d'une union libre entre les parents susnommés et que le lien de parenté a été établie sur la base d'un jugement rendu sous RC4909//11 (...) " accorde la garde l'enfant à M. D... son père biologique. Le ministre de l'intérieur qui s'était borné à invoquer le caractère inexact de certaines mentions du jugement de reconnaissance de filiation paternelle rendu le 24 avril 2020, évoqué plus haut, n'établit ni même n'allègue le caractère frauduleux de ce jugement comme des décisions juridictionnelles qui sont intervenues ensuite et qui viennent d'être rappelées. Il s'ensuit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée et de long séjour a commis une erreur d'appréciation en rejetant, par la décision née le 17 décembre 2022, la demande de visa présentée par M. I... D....
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. I... D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 17 décembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et à demander l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions d'injonction :
10. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. I... D... un visa de long séjour pour M. D... F... B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. I... D... d'une somme de 1200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300780 du 19 décembre 2023 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 17 décembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. I... D... des visas de long séjour pour son fils D... F... B..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. I... D... une somme de 1200 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 30 août 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24NT00268 2