Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision procédant à une retenue sur son traitement de trois jours de grève au lieu de deux, révélée par son bulletin de paie du mois de février 2020, ainsi que la décision du 19 mai 2020 rejetant sa demande tendant au remboursement d'une somme de 65,18 euros correspondant à la journée de grève comptabilisée à tort, selon lui, par son employeur.
Par un jugement n° 2100831 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 avril 2023, M. A..., représenté par Me Mlekuz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 février 2023 ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre à La Poste de lui rembourser les sommes retenues à tort, assorties des intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2020 et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de La Poste le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement et a omis de répondre au moyen tiré du caractère discriminatoire de la retenue opérée sur son traitement ;
- il n'est pas établi que les décisions contestées ont été prises par une autorité compétente, qui bénéficiait d'une délégation régulièrement publiée ;
- le fait de retenir une fraction de son traitement supérieure au nombre de jour de grève auquel il a effectivement participé, présente un caractère punitif, et constitue un acte discriminatoire méconnaissant son droit à l'exercice normal du droit de grève ;
- les journées de récupération accordées par le chef de service, correspondant à la réalisation d'heures supplémentaires, ne sauraient se confondre avec les repos quotidiens et hebdomadaires ;
- les décisions contestées sont entachées d'une erreur de droit, à tout le moins d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que la journée du 12 janvier 2020 constituait un jour de repos et non une journée de récupération octroyée par son chef de service ;
- à supposer même que ces journées constitueraient des journées de récupération, la retenue sur son traitement ne pouvait englober ces journées ;
- le principe de sécurité juridique obligeait La Poste à informer ses personnels de manière personnelle, suffisamment claire et identique dans tous les établissements, de la modification des modalités de calcul des retenues sur traitement appliquées à compter du mois de janvier 2020 et à prévoir des mesures transitoires ;
- l'application de cette nouvelle règle a pour effet de limiter l'exercice du droit de grève reconnu tant par la Constitution, que par les articles L. 111-1, L. 111-4, L. 131-1 et L. 114-1 du code général de la fonction publique, la décision du 14 septembre 2022 CGT c/ France du comité européen des droits sociaux ou par les articles 6 des parties I et II de la charte sociale européenne ou des article G et E de la partie V de la même charte ; elle présente un caractère discriminatoire par rapport aux agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière ;
- les décisions contestées sont contraires au principe d'égalité de traitement dès lors qu'un autre agent (M. D...) ne s'est pas vu appliquer les mêmes règles, que les retenues sur traitement opérées diffèrent d'un mouvement de grève à un autre, que le conseil des prud'hommes de Rennes a invalidé cette nouvelle règle pour les salariés de droit privé et que les agents de la plateforme Colis située sur la commune de Rheu ou ceux de la PIC de Nantes-Atlantique continuent de se voir appliquer une retenue sur traitement limitée aux seuls jours de grève.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2024, La Poste, représentée par Me Ardisson, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Le mémoire produit le 21 mai 2024 pour M. A..., représenté par Me Mlekuz, n'a pas été communiqué.
Par un courrier du 3 juin 2024, les parties ont été informées en application des dispositions de l'article L. 611-7 du code de justice administrative que la cour était susceptible de relever un moyen d'ordre public tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif au motif que celui-ci s'est mépris sur la nature du litige qui lui était soumis en le qualifiant de recours de plein contentieux.
Par un mémoire enregistré le 10 juin 2024, la Poste, représentée par Me Ardisson, a maintenu ses conclusions tendant au rejet de la requête présentée par M. A....
Elle soutient que l'intéressé a entendu saisir le tribunal d'un litige de plein contentieux et que les vices propres susceptibles d'affecter le rejet de son recours gracieux sont sans incidence sur la légalité de la décision initiale.
Par un mémoire enregistré le 17 juin 2024, M. A..., représenté par Me Mlekuz, précise qu'il a introduit un recours en excès de pouvoir devant le tribunal en soulevant un moyen de légalité externe tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions contestées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
- les observations de Me Mlekuz, représentant M. C...,
- et les observations de Me Cosnard, substituant Me Ardisson, représentant La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... exerce les fonctions d'agent de production sur la plateforme industrielle de courrier (PIC) ... de La Poste, située à ... .... Il a pris part à un mouvement de grève le 9 janvier 2020 et a repris son travail le 10 janvier 2020. Il était de nouveau en grève le 11 janvier 2020 puis en repos le 12 janvier 2020. Il a constaté sur son bulletin de paie du mois de février 2020, qu'il avait été procédé à une retenue sur son traitement d'une somme de 195,54euros, correspondant à trois jours d'absence. Le 11 mars 2020, l'intéressé a sollicité le remboursement d'une somme de 65,18 euros correspondant à la journée comptabilisée à tort, selon lui, par son employeur au titre de ces mouvements de grève. Sa demande a été rejetée par une décision du 19 mai 2020. Il relève appel du jugement du 9 février 2023, par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté son recours dirigé contre de la décision procédant à la retenue sur son traitement du mois de février 2020 et de la décision du 19 mai 2020.
Sur la nature du litige,
2. La nature d'un recours exercé contre une décision à objet pécuniaire est fonction, hormis les cas où il revêt par nature le caractère d'un recours de plein contentieux, tant des conclusions de la demande soumise à la juridiction que de la nature des moyens présentés à l'appui de ces conclusions. Si le recours dirigé contre un titre de perception relève par nature du plein contentieux, la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement ne peut à cet égard être assimilée à une telle décision lorsqu'elle ne comporte pas l'indication du montant de la créance ou qu'elle émane d'un organisme employeur qui n'est pas doté d'un comptable public. Des conclusions tendant à l'annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux formé contre celle-ci doivent être regardées comme présentées en excès de pouvoir. La circonstance que ce recours en annulation soit assorti de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de rembourser la somme prélevée, qui relèvent du plein contentieux, n'a pas pour effet de donner à l'ensemble des conclusions le caractère d'une demande de plein contentieux. Dans l'hypothèse où le juge a méconnu tout ou partie de son office en raison d'une erreur quant à la nature du recours concernant la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement, le moyen tiré de la méconnaissance de son office est d'ordre public.
3. Il ressort des pièces du dossier que le requérant, par la nature et la formulation de ses conclusions et moyens dirigés contre la ou les décisions décidant de lui appliquer une retenue sur son traitement, a présenté au juge de première instance des conclusions constitutives d'un litige pour excès de pouvoir. Il résulte de ce qui précède que les premiers juges se sont mépris sur la nature du recours dont ils étaient saisis.
Sur les conclusions principales,
4. La décision contestée procédant à une retenue de six jours sur le traitement de M. A... ne se borne pas à prendre en compte les seuls jours de grève auxquels l'intéressé a participé. Cette décision procède d'une appréciation portée sur le nombre de jours à décompter sur son salaire en raison notamment des journées de repos qui ont précédé sa reprise du travail. A cet égard, le requérant justifie par les pièces qu'il produit que les nouvelles règles instituées à La Poste au cours du mois de décembre 2019 n'ont pas été uniformément appliquées pour tous les agents des plateformes de tri du courrier et des colis .... La décision contestée ne peut, en conséquence, être regardée comme une mesure purement comptable prise par la Poste en situation de compétence liée. Or, si le requérant a contesté la compétence de l'auteur de cette décision, la Poste ne justifie ni du nom de cet agent, ni de son habilitation. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que la décision procédant à une retenue de six jours sur son traitement du mois de février 2020 est entachée d'un vice d'incompétence justifiant son annulation.
5. Aucun autre moyen n'est de nature à entraîner l'annulation de la décision litigieuse.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à la régularité du jugement, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard à ce qui vient d'être dit aux points 4 et 5, il y a seulement lieu d'enjoindre à La Poste de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de La Poste le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100831 du 9 février 2023 du tribunal administratif de Rennes ainsi que la décision procédant à une retenue de trois jours sur le traitement du mois de février 2020 de M. A... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à La Poste de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : La Poste versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à La Poste.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juillet 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00990