Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et d'enjoindre à ce préfet de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale ".
Par un jugement n° 2400130 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à cette demande et a mis la somme de 1 200 euros à la charge de l'État au titre des frais d'instance.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 avril 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 avril 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) à titre subsidiaire, de limiter à 1 000 euros la somme mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile retenu par les premiers juges et celui de l'erreur manifeste d'appréciation invoqué par le requérant ne peuvent être retenus pour annuler les décisions litigieuses ;
- en mettant à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative alors que le requérant ne sollicitait que 1 000 euros à ce titre, le tribunal a statué ultra petita.
Par un mémoire enregistré le 7 mai 2024, M. C... B..., représenté par Me Dahi, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de cet avocat à percevoir la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.
Il fait valoir que les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés.
Par des écritures et une correspondance enregistrées les 29 et 30 avril 2024, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a produit des observations et communiqué à la cour l'entier dossier médical de M. B... qui lui avait été demandé par mesure d'instruction.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juillet 2024.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 425-11, R.425-12, R. 425-13 et R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
-le rapport de M. Vergne,
- et les observations de Me Dahi, représentant M. B...
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant arménien né en 1958, est entré en France le 23 janvier 2019, sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 10 février 2019, accompagné de son épouse et de son fils mineur. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 14 août 2019 et son recours contre cette décision par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 21 janvier 2020. Le 1er décembre 2020, il a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais, par un arrêté du 26 novembre 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté cette demande et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. Le recours formé par l'intéressé contre cet arrêté a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 avril 2022 puis par une ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Nantes du 23 novembre 2023. Le 13 juin 2023, M. B... a déposé une seconde demande de titre de séjour sur le même fondement que la précédente et, par un arrêté du 30 novembre 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine a, de nouveau, refusé de lui délivrer ce titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Il relève appel du jugement du 5 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et enjoint à l'autorité administrative de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Alors que M. B..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, avait assorti les conclusions à fin d'annulation qu'il présentait devant le tribunal administratif de Rennes de conclusions accessoires tendant à ce que soit mis à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, les premiers juges ont accordé à Me Dahi à ce titre une somme de 1 200 euros, supérieure à celle que demandait le requérant. Le jugement attaqué, qui statue ultra petita, est donc irrégulier et doit être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions présentées par le requérant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande en tant qu'elle concerne les conclusions concernant les frais liés au litige et de statuer dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 30 novembre 2023 :
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
4. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".
5. Il résulte des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2 que, lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans le pays dont l'étranger est originaire et si ce dernier peut y avoir effectivement accès.
6. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il lui appartient, à lui seul, de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment, l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, dont il peut demander la communication s'il estime utile cette mesure d'instruction au regard des éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
7. Pour refuser de délivrer à M. B... le titre de séjour sollicité en raison de son état de santé, le préfet s'est approprié l'avis du collège de médecins du 12 septembre 2023, selon lequel, si l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut toutefois, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire et vers lequel il peut voyager sans risque médical, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
8. M. B... souffre de diabète et de troubles psychiatriques diagnostiqués comme " un état de stress post-traumatique marqué, compliqué d'un trouble dépressif chronique ". Il soutient qu'il ne peut bénéficier personnellement d'un traitement dans son pays d'origine dès lors que les troubles dont il souffre sont directement liés aux événements qu'il a vécus en Arménie.
9. Si l'OFPRA et la CNDA n'ont pas considéré comme suffisamment précises et crédibles les allégations de l'intéressé concernant ces événements, M. B..., hospitalisé par deux fois en psychiatrie en 2022 à la suite de deux tentatives de suicide, produit deux certificats de sortie d'hospitalisation en service de psychiatrie établis les 8 mars et 2 juin 2022 par le docteur A..., médecin spécialisé, psychiatre des hôpitaux, qui le suit, et un certificat médical du même médecin, très circonstancié, rédigé le 2 janvier 2024 mais éclairant l'état de santé de l'intéressé à la date de la décision litigieuse, exposant que les troubles de l'intéressé " se manifestent d'une part par une hypervigilance anxieuse constante, avec vécu d'insécurité dans les lieux publics, des reviviscences diurnes (hallucinations auditives, crises de déréalisation) et nocturnes (cauchemars et insomnies) des scènes traumatiques, des ruminations anxieuses et des attaques de panique quotidiennes. D'autre part, on retrouve une humeur dépressive chronicisée. Ces symptômes se compliquent de manière récurrente de crises suicidaires (deux tentatives de suicide par phlébotomie l'année passée), d'altérations des fonctions instinctuelles et d'une carence d'élan vital. ". Ce médecin, qui a recueilli le récit de M. B... concernant les causes et circonstances de son départ d'Arménie, estime que " A la lecture de son récit, un retour en Arménie serait de fait synonyme d'une réexposition immédiate aux facteurs psychotraumatiques, et donc d'une acutisation de ses troubles psychiatriques et de mises en danger de lui-même ", soulignant également le retentissement psychique des refus de titre dont l'intéressé a fait l'objet. Et il souligne aussi que " la réception en décembre dernier d'une OQTF est à l'origine d'une exacerbation significative des symptômes anxieux post-traumatiques et d'une décompensation dépressive sévère caractérisée. Il [M. B...] rapporte un épuisement psychique et physique consécutifs des refus itératifs à ses demandes de titre de séjour, avec un vécu d'insécurité constant ", concluant qu'il existe à ce jour un " risque suicidaire non négligeable " et que " seule une stabilisation sociale avec sa famille à distance de l'Arménie, en parallèle de la poursuite de ses soins psychiatriques et psychologiques et une réhabilitation psychosociale en France permettraient d'envisager une rémission clinique et fonctionnelle ".
10. Ces éléments diagnostics et le risque de suicide du patient sont corroborés par le fait qu'à deux reprises, celui-ci a tenté de mettre fin à ses jours en s'ouvrant les veines, tentatives interrompues par les membres de sa famille et qui ont donné lieu à deux hospitalisations en service psychiatrique, en février-mars 2022 pendant 31 jours et en mai 2022 pendant 21 jours. Ni l'existence, ni la gravité, ni le risque de répétition de ces crises suicidaires ne sont contestés en défense et il n'est pas allégué que ces crises ne seraient pas réelles ou qu'elles auraient le caractère d'une simulation ou d'un appel à l'aide sans intention de passage à l'acte ou sans mise en danger réelle. Ces éléments sont de nature, en ce qui concerne la possibilité que M. B... bénéficie effectivement dans son pays d'origine d'un traitement approprié, à remettre en cause l'avis du collège de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'a pas convoqué l'intéressé ou suscité un examen de celui-ci depuis son précédent avis du 2 mars 2021, et démontrent qu'un retour de l'intimé en Arménie exposerait celui-ci à un risque vital insusceptible d'être prévenu et pris en charge dans ce pays. C'est donc par une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer un titre de séjour pour raison de santé. Par suite, ce préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a retenu ce motif pour annuler son arrêté du 30 novembre 2023.
Sur les frais liés au litige de première instance :
11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale pour l'instance portée devant le tribunal administratif de Rennes. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Dahi renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le versement à cette avocate de la somme de 1 000 euros demandée par M. B....
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine, qui n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 30 novembre 2023 refusant à M. B... la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination, est seulement fondé à demander que la somme de 1 200 euros mise à la charge de l'État par l'article 3 de ce jugement au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 soit ramenée à un montant de 1 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance d'appel :
13. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Dahi, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le versement à cette dernière de la somme de 1 000 euros hors taxe.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2400130 du 5 avril 2024 du tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il a mis à la charge de l'État le versement à Me Dahi, avocate de M. B..., de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : L'État versera à Me Dahi, avocate de M. B..., au titre de l'instance engagée devant le tribunal administratif de Rennes sous le n° 2400130, une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine est rejeté.
Article 4 : L'État versera à Me Dahi, avocate de M. B..., au titre de l'instance d'appel, une somme de 1 000 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Brisson, présidente,
M. Vergne, président-assesseur,
Mme Lellouch, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01191