Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté sa demande de titre de séjour, la décision rejetant implicitement le recours gracieux présenté contre cette décision et l'arrêté du 14 janvier 2022 portant refus de délivrance d'un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale.
Par un jugement nos 2106380, 2202364, 2203559 du 26 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2023, Mme B... épouse A..., représentée par Me Baudet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 juin 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour, la décision rejetant implicitement le recours gracieux présenté contre cette décision et l'arrêté du 14 janvier 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé avec autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures à compter de cette même date ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a écarté le moyen tiré du défaut de motivation de la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
- le préfet d'Ille-et-Vilaine a commis une erreur de droit en s'estimant en situation de compétence liée pour rejeter sa demande au motif que sa situation relevait du regroupement familial ;
- il a méconnu les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il a méconnu l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante turque, est entrée en France le 14 juillet 2015 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 3 février 2020, elle a sollicité un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 15 septembre 2021, elle a sollicité la communication des motifs de la décision par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour. Le 3 janvier 2022, elle a formé un recours gracieux contre cette décision. Par un arrêté du 14 janvier 2022, le préfet
d'Ille-et-Vilaine a rejeté sa demande de titre de séjour. Mme A... relève appel du jugement du 26 décembre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., née le 31 août 1993, résidait en France depuis sept ans à la date de l'arrêté litigieux. Elle est mariée depuis 2011 à un compatriote, titulaire d'une carte de résident de longue durée valable jusqu'en 2029, lequel réside en France depuis vingt ans, y a un enfant de nationalité française né en 2006 d'une précédente union, et y travaille dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Le couple a deux enfants nés en France en 2016 et 2019. L'aîné, scolarisé, est atteint d'un handicap et d'un trouble du neurodéveloppement pour lequel il bénéficie d'un suivi régulier au centre Capucine de Rennes. Dans les circonstances particulières de l'espèce, et bien que Mme A... relève de la procédure de regroupement familial, compte tenu des liens familiaux stables et intenses qu'elle a en France, le refus de titre de séjour qui lui est opposé, bien qu'il n'ait pas été assorti d'une obligation de quitter le territoire français, porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et ne prend pas suffisamment en considération l'intérêt supérieur des deux jeunes enfants du couple. L'arrêté litigieux méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, la délivrance à Mme A... d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un tel titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en la munissant dans l'attente d'un titre de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Baudet, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Baudet de la somme de 1 200 euros hors taxe.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 26 juin 2023 et l'arrêté du 14 janvier 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à Mme A... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en la munissant dans l'attente d'un titre de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Baudet, avocate de Mme A..., une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991, sous réserve que Me Baudet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03639