Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office et lui a interdit le retour en France pendant trois ans.
Par un jugement n° 2305715 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 novembre 2023 et 14 juin 2024, M. A... B..., représenté par Me Mazouin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 20 octobre 2023 ou à titre subsidiaire la décision fixant le pays de renvoi ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil de la somme de 1 800 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet de la Sarthe n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation avant de prendre l'obligation de quitter le territoire français litigieuse ;
- il a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il a commis une erreur de fait ;
- il a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le refus de lui accorder un délai de départ volontaire méconnait les dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2024, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'intéressé ayant quitté le territoire français, les conclusions de la requête sont dépourvues d'objet ;
- les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été accordée par M. B... par une décision du 19 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant russe originaire du Daghestan né le 2 mars 1978, est entré en France en 2017 sous couvert d'un visa de court séjour. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) respectivement les 22 décembre 2017 et, 8 décembre 2020. Par un arrêté du 15 décembre 2020, le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans que l'intéressé n'y défère. Par une décision du 22 février 2021, l'OFPRA a déclaré irrecevable la demande de réexamen de la demande d'asile qu'il a présentée et le recours formé contre cette décision a été rejeté par la CNDA le 11 juin 2021. Par un arrêté du 20 octobre 2023, le préfet de la Sarthe a obligé l'intéressé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour en France pendant trois ans. Par un jugement du 24 octobre 2023, dont M. B... relève appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 20 octobre 2023.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. S'il ressort des pièces du dossier, en particulier des échanges de courriels entre les services de la préfecture de la Sarthe et de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, que M. B... a quitté le territoire français en décembre 2023, postérieurement à l'introduction de la présente requête, l'arrêté en litige portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination en cas d'éloignement d'office et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans n'a pas disparu de l'ordonnancement juridique. L'exécution par l'intéressé de la mesure d'éloignement prise à son encontre ne prive pas d'objet les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué et de l'arrêté litigieux. Il s'ensuit que l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de la Sarthe ne peut qu'être rejetée.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
3. Il ressort des motifs de l'arrêté litigieux que le préfet de la Sarthe a rappelé l'ensemble du parcours de M. B... depuis son entrée sur le territoire français, l'issue qui a été réservée à sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile et aux demandes de réexamen qu'il a présentées avant l'intervention de son arrêté. Le préfet a ensuite indiqué que le requérant a été écroué le 17 juin 2021 à la maison d'arrêt de Fresnes sur décision du même jour du premier président de la cour d'appel de Paris consécutivement à l'ordre d'arrestation provisoire aux fins d'extradition émis par le Gouvernement de la Fédération de Russie pour " participation à une formation armée illégale impliquée dans des actes de terrorisme ", dont il a déduit que la présence de M. B... en France représentait une menace pour l'ordre public. Il a ensuite précisé que l'intéressé a fait l'objet d'une levée d'écrou le 14 mars 2022, à la suite de laquelle a été prise une mesure d'obligation de quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Melun et que lors de son entretien au guichet unique des demandeurs d'asile d'Angers le 6 avril 2022, il n'a pas fait état d'éléments pertinents nouveaux, ce qui a conduit le préfet de Maine-et-Loire à lui refuser la délivrance d'une attestation de demande d'asile. Il ressort enfin de l'arrêté litigieux que M. B... a été entendu en préfecture le 20 octobre 2023. Après avoir visé le 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et constaté que l'intéressé se maintenait irrégulièrement sur le territoire depuis sa précédente mesure d'éloignement sans avoir sollicité de titre de séjour, le préfet de la Sarthe a décidé de l'obliger à quitter le territoire français. Dès lors, et bien que l'arrêté litigieux ne fasse pas mention de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 mars 2022 qui a émis un avis défavorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement de la Fédération de Russie et ordonné la remise en liberté de M. B... à l'origine de la levée d'écrou, le préfet de la Sarthe n'a pas entaché la mesure d'éloignement litigieuse d'un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé. Il n'a pas davantage commis d'erreur de fait ou d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle du requérant.
Sur le refus de délai de départ volontaire :
4. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; ".
5. Si la cour d'appel de Paris a estimé dans son arrêt du 3 mars 2022 que les informations qui lui ont été transmises sur l'implication de M. B... dans les faits fondant la demande d'extradition demeurent très vagues quant à la participation de l'intéressé à des actes ou préparation d'actes terroristes et quant à la manière dont il manifestait son adhésion à une activité terroriste, il est constant que l'appelant a rejoint en 2011 un groupe armé illégal impliqué dans des actes terroristes et que la Fédération de Russie lui reproche d'avoir été un membre actif de de ce groupe opérant dans plusieurs districts de la République du Daguestan depuis fin juillet 2012 et d'avoir dans ce cadre, participé à l'élaboration de plans pour la commission d'actes de terrorisme sur le territoire de la République du Daguestan et sur le territoire syrien, en participant à l'achat d'armes à feu, d'explosifs et de munitions ainsi qu'à des entraînements spéciaux visant à préparer ses membres au combat ce qui a conduit les autorités compétentes de la Fédération de Russie à présenter une demande d'extradition auprès des autorités françaises. Par ailleurs, il est constant que M. B... se maintient illégalement sur le territoire français en dépit de mesures d'éloignement prononcées à son encontre et qu'il a déclaré dans le cadre de son audition par les services de police le 20 octobre 2023 ne pas vouloir quitter le territoire français. Dès lors, le préfet de la Sarthe n'a pas fait une inexacte application des dispositions des 1° et 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui refusant un délai de départ volontaire aux motifs que sa présence en France représentait un risque de trouble à l'ordre public et qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement en litige.
Sur la décision fixant le pays de destination :
6. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "
7. Il est constant que les autorités russes ont saisi les autorités françaises d'une demande d'extradition de M. B... pour des faits de " participation à une formation armée illégale impliquée dans des actes de terrorisme ". Si la demande de protection internationale présentée par l'intéressé a été définitivement rejetée par les instances en charge de l'asile et que ses demandes de réexamen ont été rejetées en dépit des éléments nouveaux qu'il a présentés, en dernier lieu postérieurement à l'arrêté litigieux, la 5ème chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a considéré, dans son arrêt du 3 mars 2022, rendu à l'issue du complément d'information qu'elle avait ordonné, que " la teneur des réponses données par les autorités requérantes (...) témoignent de l'incompréhension d'exigences précises sur les moyens mis en œuvre pour assurer l'effectivité de ces droits [notamment l'interdiction de soumettre toute personne à des peines ou traitement inhumains ou dégradants stipulée par l'article 3 de la convention] alors que les sources citées par le parquet général et la défense, précises, récentes et circonstanciées mettent en évidence des manquements graves, réitérés de la part des autorités requérantes auxdits droits " et a relevé les carences des autorités russes sollicitées dans la justification du respect de ces dispositions conventionnelles. Ces éléments, rapprochés des rapports d'Amnesty International, de Human Right Watch, du comité contre la torture de l'organisation des Nations Unies du 28 août 2018 sur la situation des droits fondamentaux en Russie, ont conduit la cinquième chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris à émettre un avis défavorable à la demande d'extradition de M. B.... Dans ces conditions, eu égard à la situation particulière de M. B... dont il est constant qu'il est recherché et poursuivi par les autorités de la Fédération de Russie pour des faits de nature criminelle liés à une activité terroriste, et bien que l'OFPRA ait estimé, dans la décision du 31 octobre 2023, par laquelle elle a rejeté la demande de réexamen de la demande d'asile de M. B..., que l'arrêt de la cour d'appel de Paris était rédigé en des termes peu clairs et peu précis sur les risques encourus par l'intéressé et les garanties qui ne seraient pas respectées par les autorités russes en cas de retour en Fédération de Russie, l'arrêté litigieux, en tant qu'il fixe la Fédération de Russie comme pays de renvoi en cas d'éloignement d'office, doit être regardé comme méconnaissant les articles L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".
9. L'obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée par le présent arrêt, le moyen tiré de ce que l'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de cette mesure d'éloignement litigieuse ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du 24 octobre 2023 en tant qu'il rejette la demande de l'intéressé tendant à l'annulation la décision fixant la Fédération de Russie comme pays de destination de l'obligation de quitter le territoire français en cas d'éloignement d'office.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté litigieux en tant seulement qu'il fixe le pays de destination n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme réclamée par M. B... au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 octobre 2023 est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision fixant la Fédération de Russie comme pays de destination de l'obligation de quitter le territoire français en cas d'éloignement d'office et cette dernière décision sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C....
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
Le président,
G. QUILLÉVÉRÉ
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03384