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12/07/2024 | FRANCE | N°23NT01605

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 12 juillet 2024, 23NT01605


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juin 2023 et 8 janvier 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Les Conquérants, représentée par Me Camus, demande à la cour :



1°) d'annuler la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) du 6 avril 2023 autorisant le changement d'activité partiel d'un magasin à l'enseigne Boulanger de 2 801 m2 de surface de vente devenant un magasin à l'enseigne Lidl d'une surface de vente de 1 320,38 m2 sur le territoire de la commune de Rennes ;
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2°) de mettre à la charge de la société en nom collectif (SNC) Lidl la somme...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juin 2023 et 8 janvier 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Les Conquérants, représentée par Me Camus, demande à la cour :

1°) d'annuler la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) du 6 avril 2023 autorisant le changement d'activité partiel d'un magasin à l'enseigne Boulanger de 2 801 m2 de surface de vente devenant un magasin à l'enseigne Lidl d'une surface de vente de 1 320,38 m2 sur le territoire de la commune de Rennes ;

2°) de mettre à la charge de la société en nom collectif (SNC) Lidl la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres de la CNAC auraient reçu communication de l'ensemble des pièces exigées par l'article R. 752-35 du code de commerce et ce vice ne peut être régularisé ;

- il ne ressort pas des pièces du dossier que les avis des ministres chargés du commerce et de l'urbanisme auraient été signés par des personnes dûment habilitées ;

- la définition de la zone de chalandise n'est pas exacte au sens de l'article R. 752-3 du code de commerce et ce faisant la CNAC a été mise dans l'impossibilité d'apprécier l'impact réel du projet ;

- les données portant sur les flux de circulation du dossier de demande étaient insuffisantes ;

- le projet n'est pas compatible avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Pays de Rennes ;

- la localisation du projet risque de générer des friches sur les petits commerces ou sur les commerces composant l'ensemble commercial " la Visitation " ;

- le projet aura un impact négatif sur l'animation de la vie urbaine et ne contribuera pas à la revitalisation du centre-ville ;

- le projet aura un impact négatif sur les flux de livraison ;

- des coûts indirects seront supportés par la collectivité ;

- la configuration de l'accès relativement aux flux de livraisons est source d'insécurité ;

- le projet n'offre aucune complémentarité de l'offre et il ne valorise pas davantage les filières de productions locales ;

- le projet ne permet pas d'assurer la sécurité des consommateurs.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 novembre 2023 et 23 janvier 2024, la SNC Lidl, représentée par Me Bozzi, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Les Conquérants la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la SAS Les Conquérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 24 novembre 2023, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'elle a respecté les dispositions de l'article R. 752-35 du code de commerce.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;

- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Camus pour la société SAS Les Conquérants et de Me Bozzi pour la société SNC Lidl.

Considérant ce qui suit :

1. La SNC Lidl a déposé, le 7 novembre 2022, une demande d'autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'un supermarché à l'enseigne " Lidl " de 1 320,38 m² au 11 rue de " la Visitation " à Rennes, dans le cadre d'un changement de secteur d'activité d'un commerce existant dans un ensemble commercial. Par une décision du 3 janvier 2023 la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) a autorisé le projet. Sur recours de la SAS Les Conquérants, qui exploite un supermarché sous l'enseigne " U Express " à Rennes, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a également autorisé, le 6 avril 2023, le projet. La SAS Les Conquérants demande à la cour de prononcer l'annulation de la décision du 6 avril 2023 de la CNAC.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 752-35 du code de commerce : " La commission nationale se réunit sur convocation de son président. / Cinq jours au moins avant la réunion, chacun des membres reçoit, par tout moyen, l'ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier : / 1° L'avis ou la décision de la commission départementale ; / 2° Le procès-verbal de la réunion de la commission départementale ; / 3° Le rapport des services instructeurs départementaux ; / 4° Le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision ; / 5° Le rapport du service instructeur de la commission nationale. ".

3. La SAS Les Conquérants soutient qu'il n'est pas établi que les membres de la CNAC auraient reçu communication de l'ensemble des pièces exigées par l'article R. 752-35 du code de commerce en temps utile. Toutefois, la CNAC, en produisant une attestation de la société Dematis, son prestataire de convocations électroniques, établit avoir envoyé à ses membres, par courriel du 21 mars 2023, une convocation à la séance du 6 avril 2023, au cours de laquelle a été examiné le projet en litige, cette convocation les informant de la mise à disposition des documents nécessaires pour l'examen du dossier au moins cinq jours avant cette séance, sur la plateforme de téléchargement dédiée, avec les précisions suivantes : " Les documents relatifs à ces dossiers seront disponibles sur la plateforme de téléchargement 5 jours au moins avant la tenue de la séance. Ces documents ne seront pas imprimés par le secrétariat de la commission. / En application de l'article R. 752-35 du code de commerce, chaque dossier est composé de : - l'avis ou la décision de la commission départementale - le procès-verbal de la réunion de la commission départementale - le rapport des services instructeurs départementaux - le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision - le rapport du service instructeur de la commission nationale. / En complément, ces dossiers pourront comporter une sélection de cartes ou de plans et la demande d'autorisation d'exploitation commerciale. ". La CNAC produit également un historique de la plate-forme d'échanges de fichiers " SOFIE " faisant état d'un partage de fichiers avec les membres de la CNAC les 22, 29 et 30 mars 2023, cette mise à disposition étant également attestée, le 22 novembre 2023, par la directrice de projet aménagement commercial au sein de la direction générale des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui assure le secrétariat de la CNAC. Il n'est ni établi, ni même allégué par des objections circonstanciées que les membres de la CNAC n'ont pas été mis en mesure d'accéder par ces moyens d'échanges aux documents en cause, dans le délai de cinq jours prévu par ce même article, eu égard notamment aux termes du compte-rendu de la séance du 6 avril 2023 et de la décision de la CNAC, qui s'est au demeurant prononcée à l'unanimité de ses huit membres. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres de la Commission n'auraient pas été en mesure de prendre connaissance en temps utile des documents prévus à l'article R. 752-35 précité du code de commerce. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la convocation de la CNAC doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 752-36 du code de commerce : " (...) Le secrétariat de la commission nationale instruit et rapporte les dossiers. Le commissaire du Gouvernement présente et communique à la commission nationale les avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce. Après audition des parties, il donne son avis sur les demandes. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que l'avis émis au nom du ministre en charge du commerce le 27 mars 2023 a été signé par M. B... A..., en sa qualité de chef du service du tourisme, du commerce, de l'artisanat et des services. Il ressort du Journal officiel de la République française qu'il a été nommé à ce poste par arrêté du 18 janvier 2023 et que conformément à l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, cette qualité l'habilitait à signer " l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité. ". Il ressort également des pièces du dossier que l'avis émis au nom du ministre en charge de l'urbanisme le 5 avril 2023 a été signé par M. D... C..., en sa qualité d' " adjoint au sous-directeur de la qualité du cadre de vie, au sein de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature ". Il ressort du Journal officiel de la République française que conformément à l'article 6 de la décision du 9 mars 2023 portant délégation de signature (direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages), il était habilité à signer " au nom du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets ". Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'il ne serait pas établi que les avis des ministres chargés du commerce et de l'urbanisme auraient été signés par des personnes dûment habilitées doit être écarté comme manquant en fait.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 752-3 du code de commerce : " Pour l'application du présent titre, constitue la zone de chalandise d'un équipement faisant l'objet d'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale l'aire géographique au sein de laquelle cet équipement exerce une attraction sur la clientèle. Elle est délimitée en tenant compte notamment de la nature et de la taille de l'équipement envisagé, des temps de déplacement nécessaires pour y accéder, de la présence d'éventuelles barrières géographiques ou psychologiques et de la localisation et du pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existants. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que la zone de chalandise a été déterminée en tenant compte de plusieurs critères, tels que la nature et la taille de l'équipement envisagé, les temps de déplacements nécessaires pour y accéder en voiture ou à pied, les principaux axes routiers, les barrières géographiques ou psychologiques, la localisation et le pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existant au sein du périmètre proche du projet et hors de la zone de chalandise, et les points de vente exploités sous la même enseigne. S'agissant en particulier du temps de déplacement nécessaire pour accéder au projet, si seul un trajet d'un maximum de sept minutes en voiture est mentionné dans la demande d'autorisation d'exploitation commerciale pour définir la zone de chalandise, cette-dernière correspond à celle définie dans l'analyse d'impact, délimitée par un rayon maximal de déplacements entre 4 et 9 minutes en voiture et de quinze minutes à pied. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le pouvoir d'attraction du projet pour les clients se déplaçant à pied, à vélo ou en transports en commun aurait été occulté de sorte que la zone de chalandise aurait été définie inexactement et que la Commission n'aurait pas été mise à même d'apprécier l'impact réel du projet doit être écarté.

8. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce : " I. La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments mentionnés ci-après ainsi que, en annexe, l'analyse d'impact définie au III de l'article L. 752-6 (...) 3° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : / (...) c) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules de livraison générés par le projet et description des accès au projet pour ces véhicules ; (...) ". La circonstance que le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de commerce, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité cette autorisation que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

9. Le dossier de demande indique, à sa page 37, que la future enseigne " Lidl " sera livrée une à deux fois par jour (entre 7h et 11h) du lundi au samedi, en dehors des heures d'ouverture de l'ensemble commercial. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) avait relevé qu'au regard de l'horaire d'ouverture de l'ensemble commercial (10 h) les livraisons seraient susceptibles de générer des nuisances les jours de grande fréquentation. Devant la CDAC, le porteur de projet a précisé que ces livraisons auront lieu entre 7h et 9h. Un courrier de la société Weldom du 23 mars 2023, gérant le magasin voisin du projet et portant sur les flux de livraison a également été soumis à la CNAC afin de compléter son information. Ainsi, il n'est pas établi que le dossier de demande aurait été de nature à fausser l'appréciation portée par la CNAC sur ce point. Par suite, le moyen tiré du caractère incomplet du dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale doit être écarté.

Sur la légalité interne :

10. Aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi ". Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; /b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; /f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; /2° En matière de développement durable : /a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; /b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; /c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; /3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; /b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; /c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs (...) ".

11. Il résulte des dispositions combinées citées au point précédent que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes. Enfin, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ne figure plus au nombre de ces critères.

12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale (...) ". Il appartient aux commissions d'aménagement commercial non de vérifier la conformité des projets d'exploitation commerciale qui leur sont soumis aux énonciations des schémas de cohérence territoriale, mais d'apprécier la compatibilité de ces projets avec les orientations générales et les objectifs qu'ils définissent.

En ce qui concerne la compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale du pays de Rennes :

13. Il ressort du 2.1. du document d'orientation et d'objectifs (DOO) du SCoT du Pays de Rennes approuvé le 29 mai 2015 et modifié le 22 octobre 2019 qu' " afin de favoriser la mixité des fonctions urbaines et l'agglomération des commerces dans les lieux les plus opportuns, les futurs développements de commerces se localiseront préférentiellement dans les centralités des communes du Pays ". La ville de Rennes est identifiée par le DOO du SCoT comme le cœur de métropole. Les centralités du cœur de métropole constituent ainsi le lieu privilégié d'implantation des commerces répondant à des besoins courants, occasionnels ou même exceptionnels et les implantations commerciales peuvent s'y faire sans contrainte. Le document d'aménagement commercial (DAC) du SCoT confirme le développement, libre, sans contrainte, dans le centre-ville de Rennes, précise qu' " il s'agit de développer des concepts innovants susceptibles de marquer la singularité du centre-ville de Rennes, de moderniser son offre commerciale notamment sur des sites emblématiques (Colombia - 3 soleils, Visitation...) (...) " et indique que " les équipements commerciaux doivent se localiser préférentiellement dans les centralités des communes (...). Le centre-ville de Rennes, première centralité du territoire, doit être conforté. (...) ".

14. En l'espèce, le projet litigieux, qui s'implante dans le centre commercial de " la Visitation ", situé dans le centre-ville de Rennes, consiste en l'implantation d'un magasin à l'enseigne " Lidl " à la place d'une partie d'une cellule vacante anciennement occupée par un magasin à l'enseigne " Boulanger ". Cette implantation contribue ainsi au développement et à la singularisation de l'offre commerciale de cet ensemble situé en centre-ville, ce qui correspond aux orientations du DOO et du DAC du SCoT. Par conséquent, alors même qu'il ne développe pas de concept innovant, le moyen tiré de l'incompatibilité du projet litigieux avec le schéma de cohérence territoriale doit être écarté.

En ce qui concerne la localisation du projet et de son intégration urbaine :

15. Il est constant que le projet en cause permet de requalifier une partie d'une friche commerciale laissée par l'enseigne " Boulanger " dans l'ensemble commercial de " la Visitation ". Si la société requérante soutient qu'" une telle implantation n'est pas sans conséquence sur les petits commerces existants, de même que sur les commerces composant l'ensemble commercial " la Visitation ", elle n'apporte aucun élément à l'appui de cette allégation. Ainsi, le moyen tiré de ce que le projet serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière de localisation et d'intégration urbaine doit être écarté.

En ce qui concerne l'impact du projet sur l'animation urbaine et commerciale et de sa contribution à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville :

16. Il ressort des pièces du dossier que le projet, qui permet de reprendre un local vacant dans la galerie marchande de l'ensemble de " la Visitation ", vise à pérenniser la vocation de centralité commerciale de cet ensemble et devrait contribuer à limiter l'évasion commerciale vers les hypermarchés hors du centre-ville. Si le projet sera susceptible d'avoir un impact sur les commerces de centre-ville, comme l'a reconnu le ministre en charge du commerce dans son avis du 27 mars 2023 (-10% sur le chiffre d'affaires de chaque enseigne concurrente) et s'implante dans un quartier dont la démographie est en baisse (-13,1% en 2019 selon l' " Ilot Regroupé pour l'Information Statistique " - IRIS- Hoche), le taux de vacance est faible (environ 6,5% dans le centre-ville de Rennes) et il n'est pas contesté que la baisse démographique est moindre sur la zone de chalandise (-3,1% en 10 ans) et que sur la commune de Rennes dans son ensemble, la population est en légère hausse sur la même période. Enfin, la société " Lidl " ne peut utilement soutenir que la densité commerciale est à relativiser au regard de la délimitation de la zone de chalandise dès lors que la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ne figure pas au nombre des critères applicables. En tout état de cause, elle ne conteste pas que la densité commerciale en alimentaire de la zone de chalandise est nettement inférieure à la densité moyenne nationale. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le projet serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière d'impact sur l'animation urbaine et commerciale et de sa contribution à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville doit être écarté.

En ce qui concerne l'impact du projet sur les flux de transports :

17. Comme il a été dit au point 9, le dossier de demande indique, à sa page 37, que la future enseigne " Lidl " sera livrée une à deux fois par jour (entre 7h et 11h) du lundi au samedi, en dehors des heures d'ouverture de l'ensemble commercial. La DDTM avait relevé qu'au regard de l'horaire d'ouverture de l'ensemble commercial (10 h) les livraisons seraient susceptibles de générer des nuisances en jour de grande fréquentation. Toutefois, devant la CDAC, le porteur de projet a précisé que ces livraisons auront lieu entre 7h et 9h. Un courrier de la société Weldom du 23 mars 2023, exploitant le magasin voisin du projet, et portant sur les flux de livraison, a également été soumis à la CNAC et indique qu'il n'y aura que deux livraisons en camion porteur par semaine et une livraison en camion petit porteur par semaine, le reste des livraisons étant effectué par des taxis colis ou des camionnettes en moyenne au trimestre ou tous les deux mois. Selon le dossier de demande d'autorisation, les camions de livraison accèderont au site par la place Hoche, puis par la rue Saint-Melaine, en direction de la rue d'Antrain. Les camions (largeur 2,5 mètres, longueur 11 mètres) stationneront sur l'espace public. L'acheminement des marchandises de la rue Saint-Melaine jusqu'aux réserves en sous-sol se fera grâce à deux monte-charges (capacité de deux palettes chacun) dont l'installation est prévue dans le projet. L'accessibilité se fera par une entrée dédiée aux flux de marchandises desservant un espace commun jusqu'à la réserve. La future enseigne " Lidl " profitera de la proximité de la plateforme Liffré, située à 20,3 km du projet. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que la configuration de l'accès des véhicules de livraison serait source de dangerosité et d'insécurité tant pour les usagers du centre commercial, que de la rue Sainte Melaine. Ainsi, le moyen tiré de ce que le projet serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière de flux de transports doit être écarté.

En ce qui concerne les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports :

18. Si la société requérante soutient que le flux de clientèle accédant au projet en deux roues aura nécessairement pour effet de rendre insuffisants les espaces de stationnements dédiés et imposera à la collectivité de prévoir des aménagements spécifiques, elle ne l'établit pas, en se bornant à se prévaloir d'un avis de la DDTM indiquant qu'" il faudra observer une vigilance sur les besoins en matière de stationnement pour les deux-roues. (...) Les emplacements pour stationner les vélos aux abords de " la Visitation " risquent d'être assez rapidement en nombre insuffisant. A ce titre, la collectivité pourrait donc être amenée à intervenir sur l'espace public. Il serait judicieux d'estimer le nombre de déplacements en véhicules deux roues motorisés ou non afin d'anticiper cette problématique. ". Cette argumentation est donc, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de l'autorisation litigieuse.

En ce qui concerne les nuisances générées par le projet :

19. Comme il a été dit aux points 17 et 18 et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que la configuration de l'accès des véhicules de livraison et le stationnement des deux-roues seraient source de dangerosité et d'insécurité pour les clients et les piétons. De même, en tout état de cause, il n'est pas établi que la sécurité de la clientèle ne serait pas garantie, alors que l'autorisation de travaux pour les établissements recevant du public (ERP) a été délivrée le 25 janvier 2023, au vu de l'avis favorable de la sous-commission départementale de sécurité ERP-IGH et de l'avis favorable de la sous-commission départementale d'accessibilité et sous réserve que le demandeur fasse procéder à l'exécution des prescriptions émises par ces sous-commissions. En outre, devant la CDAC, la SNC Lidl a indiqué que les livraisons seront effectuées par semi-remorques au bio gaz pour limiter les nuisances sonores. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière de nuisances au détriment de l'environnement proche.

En ce qui concerne la variété de l'offre proposée par le projet, notamment par la valorisation de filières de production locales :

20. Au vu du dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale, le groupe " Lidl " prévoit un engagement à mettre en avant des produits locaux, le " made in France " ou encore les produits de la marque " distributeur ". De plus, le dossier détaille la liste des producteurs locaux de l'activité " Lidl ", implantés dans les départements limitrophes au projet, ainsi que la liste des entreprises collaborant avec la direction régionale de Liffré pour la construction des supermarchés et auxquelles " Lidl " sera susceptible de faire appel. Enfin, l'offre du magasin Lidl, avec des produits frais pré-emballés, est complémentaire de l'offre alimentaire des petits commerces de centre-ville, ces derniers bénéficiant d'une attractivité liée au conseil et au choix. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière de variété de l'offre proposée.

En ce qui concerne les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs :

21. Il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que la configuration de l'accès des véhicules de livraison et le stationnement des deux-roues seraient source de dangerosité et d'insécurité pour les clients et les piétons. En outre, il n'est pas établi que la sécurité de la clientèle ne serait pas garantie, alors que l'autorisation de travaux ERP a été délivrée le 25 janvier 2023, au vu de l'avis favorable de la sous-commission départementale de sécurité ERP-IGH et de l'avis favorable de la sous-commission départementale d'accessibilité et sous réserve que le demandeur fasse procéder à l'exécution des prescriptions émises par ces sous-commissions. Parmi ces prescriptions figuraient la mise en place d'une cloison toute hauteur entre le magasin " Lidl " et le magasin " Weldom ". La circonstance que la SNC Lidl aurait réalisé les travaux sans fournir les éléments permettant de vérifier la conformité des aménagements réalisés aux règles concernant le désenfumage des locaux est sans influence sur la légalité de la décision contestée. Concernant les conditions d'évacuation, une prescription a été émise sur la formation du personnel par la sous-commission départementale de sécurité. Enfin, il est constant que le projet bénéficie d'une dérogation pour les distances maximales à respecter par rapport à un escalier protégé et si la société requérante soutient que l'ascenseur ne disposerait pas d'une alimentation électrique de sécurité et que le niveau R-1 ne disposerait pas d'espace d'attente sécurisé, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces circonstances, à les supposer établies, auraient fait obstacle à l'octroi de la dérogation. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le projet litigieux serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière de mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs doit être écarté.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la société Les Conquérants n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de la CNAC du 6 avril 2023.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SNC Lidl, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la SAS Les Conquérants demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SAS Les Conquérants une somme de 1 500 euros à verser à la société Lidl, au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Les Conquérants est rejetée.

Article 2 : La SAS Les Conquérants versera à la société Lidl une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Les Conquérants, à la société en nom collectif Lidl et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée, pour information, à la Commission nationale d'aménagement commercial et à la commune de Rennes.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Derlange, président,

- M. Penhoat, premier conseiller,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

S. DERLANGE

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01605


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01605
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DERLANGE
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : LEONEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;23nt01605 ?
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