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28/06/2024 | FRANCE | N°23NT02188

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 28 juin 2024, 23NT02188


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... C... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier (CH) de Saint-Malo à leur verser une somme globale de 1 285 568,51 euros en réparation de leurs préjudices.



Par un jugement n° 2003930 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a ordonné avant dire droit une expertise médicale confiée à un pédiatre spécialiste en néonatalogie.



Procédure devant la cour :
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Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 juillet 2023 et 19 février 2024, Mme D... C..., agissan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier (CH) de Saint-Malo à leur verser une somme globale de 1 285 568,51 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement n° 2003930 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a ordonné avant dire droit une expertise médicale confiée à un pédiatre spécialiste en néonatalogie.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 juillet 2023 et 19 février 2024, Mme D... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légale de sa fille B... A... et M. E... A..., représentés par Me Bourges-Bonnat, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 mai 2023 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la nouvelle mesure d'expertise ordonnée avant dire droit est inutile pour établir l'existence d'un ictère nucléaire et le lien de causalité avec l'état de santé de B... ;

- elle est également inutile pour évaluer le taux de perte de chance.

Par un mémoire, enregistré le 21 septembre 2023, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me Di Palma, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 mai 2023 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser une somme de 215 914,90 euros en remboursement des débours exposés, avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser une somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

4°) de condamner centre hospitalier de Saint-Malo aux entiers dépens ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé n'être pas en mesure de déterminer si l'atteinte dont l'enfant B... A... reste atteinte est imputable à un ictère nucléaire ou à une lésion cérébrale anténatale ;

- il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions de l'expert judiciaire que l'atteinte pyramidale est la conséquence d'un ictère nucléaire et que le fait de ne pas l'avoir traitée par phytothérapie exclusive est constitutive d'une faute dans l'organisation du service hospitalier qui a fait perdre à l'enfant une chance d'éviter les lésions cérébrales séquellaires dont elle demeure atteinte et que cette perte doit être évaluée à 20% ;

- elle a donc droit au remboursement de ses débours correspondant aux dépenses de santé actuelles d'un montant de 215 914,90 euros dont son médecin conseil a attesté de l'imputabilité au manquement du centre hospitalier de Saint-Malo ;

- elle a droit à une indemnité forfaitaire de gestion de 1 162 euros en application de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociale ;

- elle peut également prétendre au versement d'une somme de 1 500 euros pour la première instance et de 2 000 euros pour l'appel au titre des frais irrépétibles sur le fondement distinct de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, le centre hospitalier de

Saint-Malo, représente Me Le Prado, demande à la cour de rejeter les conclusions des consorts A... et de la CPAM d'Ille-et-Vilaine dirigées contre lui.

Il soutient que :

- sa responsabilité n'est pas susceptible d'être engagée, dès lors qu'il résulte de l'expertise réalisée à la demande de la CCI corroborée sur ce point par les avis de deux praticiens spécialisés, que la fragilité de l'expertise judiciaire ne permet pas de remettre sérieusement en cause, que l'encéphalopathie de l'enfant B... ne résulte pas d'un ictère nucléaire et qu'aucune faute et notamment pas dans l'organisation du service ne peut lui être reprochée ;

- l'expertise ordonnée avant dire droit par les premiers juges était bien frustratoire ;

- les conclusions de la CPAM d'Ille-et-Vilaine tendant à sa condamnation à lui verser une somme de 215 914,90 euros sont irrecevables dès lors que l'appel principal des consorts A... ne tendait qu'à l'annulation du jugement en tant qu'il a ordonné une expertise avant dire droit ; en toute hypothèse, les conditions d'engagement de sa responsabilité n'étant pas réunies, les conclusions de la CPAM ne peuvent qu'être rejetées ;

- à titre subsidiaire, l'imputabilité à son prétendu manquement des débours dont la CPAM demande le remboursement n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Bourges-Bonnat, représentant M. A... et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 janvier 2006 à 8H55, Mme C... a accouché au centre hospitalier (CH) de Saint-Malo d'une petite fille nommée B... A.... Dans les heures qui ont suivi la naissance, l'état de l'enfant s'est très rapidement dégradé avec apparition d'un ictère traité notamment par des séances de photothérapie, conventionnelle et intensive, avant que l'enfant ne soit transférée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes. La jeune B... est toutefois restée atteinte d'une encéphalopathie dyskinétique à l'origine d'un handicap neuromoteur grave. S'interrogeant sur les conditions de prise en charge de sa fille, Mme C... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui, après avoir ordonné une expertise médicale, a émis le 28 juin 2016 un avis concluant à l'absence de faute du CH de Saint-Malo. Saisi par Mme C..., le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a ordonné une expertise médicale. L'expert a déposé son rapport le 1er mars 2019. Par une réclamation préalable du 2 juin 2020, Mme C..., agissant en qualité de représentante de sa fille ainsi qu'en son nom propre, et son fils M. E... A..., ont sollicité l'indemnisation par le CH de Saint-Malo des préjudices qu'ils imputent au manquement de l'établissement dans la prise en charge de la jeune B.... A la suite du rejet de cette demande le 16 juillet 2020, Mme C... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une requête indemnitaire. Par un jugement avant dire droit du 26 mai 2023, le tribunal a ordonné avant dire droit une nouvelle expertise afin de déterminer si l'atteinte extrapyramidale dont l'enfant B... A... reste atteinte est imputable à un ictère nucléaire ou à une lésion cérébrale anténatale et, dans la première hypothèse, si l'absence de mise sous photothérapie exclusivement intensive de l'enfant, avait fait perdre à celle-ci une chance d'éviter ou de limiter les lésions dont elle reste atteinte, et dans l'affirmative d'évaluer l'ampleur de la chance perdue. Mme C... et M. A... demandent à la cour d'annuler ce jugement. La CPAM d'Ille-et-Vilaine demande la condamnation du CH à lui verser la somme de 215 914,90 euros en remboursement des débours exposés en faveur de son assurée.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Saint-Malo :

2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a expressément réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas statué par le jugement attaqué incluant l'ensemble des conclusions relatives à l'indemnisation des préjudices. Il ne peut, en conséquence, être statué sur ces conclusions dans le cadre de la présente instance d'appel qui ne porte que sur la prescription d'une expertise médicale, seul point sur lequel le jugement avant dire droit a statué. Il s'ensuit que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Malo à lui verser une somme au titre des débours exposés en faveur de la jeune B... A... et au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'utilité de l'expertise ordonnée avant dire droit par le jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

4. Il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise médicale que Mme B... A... souffre de trois pathologies : une anémie hémolytique héréditaire, un trismus congénital et une atteinte extrapyramidale séquellaire ayant entraîné une encéphalopathie sévère. Cette dernière pathologie se caractérise par une tétraparésie séquellaire invalidante empêchant la marche et ne permettant qu'une préhension grossière. Les consorts A... en imputent l'origine à une prise en charge fautive du centre hospitalier de Saint-Malo.

5. L'expert judiciaire affirme que l'atteinte extrapyramidale séquellaire de la jeune B... résulte de manière directe et certaine d'un ictère nucléaire ; il estime que cette atteinte est en lien avec le rôle toxique de la bilirubine en période néonatale sur les noyaux gris centraux et le thalamus. Afin d'asseoir cette conclusion, l'expert fait valoir, en s'appuyant sur une littérature médicale, que le taux de bilirubine constaté au centre hospitalier de Saint-Malo était supérieur au seuil de bilirubine à risque après photothérapie et transfusion d'albumine, que malgré un taux d'hémoglobine normal à la naissance, le caractère hémolytique de l'ictère devait être retenu en raison d'une forte diminution du taux dans les 36 heures suivantes et d'un taux de bilirubine précocement très élevé. Il met aussi en avant les signes cliniques présentés par l'enfant pendant le transport et à l'arrivée au CHU de Rennes, non observés antérieurement, et enfin l'évolution régressive des aspects retrouvés sur les images IRM interprétées au CHU de Rennes. L'expert admet cependant que l'ictère nucléaire n'apparaît habituellement que pour des concentrations à 428 micromoles par litre, seuil préconisé pour la transfusion d'échange et que l'atteinte décrite dans les ictères nucléaires au niveau des noyaux gris centraux concerne généralement les " pallidi " et non les " thalami " et qu'il n'y a pas de déficit auditif constaté. Or, l'expertise réalisée à la demande de la CCI exclut l'hypothèse d'un ictère nucléaire et conclut, en sens contraire, que la pathologie de la jeune B... est la conséquence d'une lésion anténatale procédant d'une anomalie congénitale du cerveau en mettant en avant des arguments également documentés par la littérature médicale. Les experts de la CCI font en ce sens valoir une hypotonie présente dès la naissance alors qu'en cas d'ictère nucléaire, elle est observée entre 24 et 48 heures après celle-ci, l'absence d'hémolyse sur tous les prélèvements, un taux de bilirubine inférieur au seuil considéré comme toxique, des aspects constatés à l'IRM non retrouvés dans l'ictère nucléaire, des potentiels auditifs normaux, et relèvent que le trismus fait partie des anomalies anténatales du développement cérébral. Enfin, l'expert judiciaire indique qu'il est très difficile d'évaluer le pourcentage de perte de chance de limiter ou d'éviter les lésions cérébrales imputables au manquement dans la mesure où les complications neurologiques sont survenues alors que le taux de bilirubine totale n'était que faiblement supérieur au seuil toxique théorique et propose une évaluation au taux de 20% correspondant " objectivement au taux de manquement à l'obligation de moyens dans le traitement de l'ictère néonatal " de l'enfant. Dans ces conditions, eu égard aux contradictions des rapports d'expertise et à la technicité des arguments médicaux sur lesquels ils s'appuient, l'état du dossier ne permet pas de déterminer avec certitude l'étiologie de l'encéphalopathie et par conséquent de se prononcer sur l'existence d'une faute médicale susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Malo.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... et M. A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a ordonné une expertise avant dire droit.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Malo, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les consorts A... et la CPAM d'Ille-et-Vilaine demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... et de M. A... et les conclusions présentées par la CPAM d'Ille-et-Vilaine sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à M. E... A..., au centre hospitalier de Saint-Malo et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.

Une copie en sera transmise, pour information, à l'expert.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02188


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02188
Date de la décision : 28/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SARL LE PRADO GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-28;23nt02188 ?
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