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07/06/2024 | FRANCE | N°24NT00550

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 07 juin 2024, 24NT00550


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé son admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office s'il n'exécute pas lui-même cette mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2302090 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de

Caen a rejeté la requête de M. D... A... B....



Procédure devant la cour :



Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé son admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office s'il n'exécute pas lui-même cette mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2302090 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de M. D... A... B....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 février et 29 avril 2024, M. D... A... B..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 octobre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé son admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé Djibouti comme pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour d'un an ou de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision de refus de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires enregistrés les 4 avril et 2 mai 2024, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A... B..., ressortissant djiboutien né le 24 juin 1995, est entré en France avec son père le 6 octobre 2012, à l'âge de dix-sept ans, muni d'un visa de court séjour. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée le 18 juin 2014 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puis le 14 novembre 2014 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il a sollicité en 2021 son admission au séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 janvier 2023, le préfet du Calvados a refusé son admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi. M. A... B... relève appel du jugement du 20 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Caen était saisi, en première instance, des moyens de légalité interne tirés de la violation par l'autorité administrative des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En s'abstenant de se prononcer sur le second de ces moyens, qui n'était pas inopérant dès lors que l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituait l'un des fondements de la demande de titre de séjour du requérant, sur lequel le préfet s'est d'ailleurs expressément prononcé, les premiers juges ont entaché d'irrégularité leur jugement, qui doit donc être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par

M. A... B... devant le tribunal administratif de Caen.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Calvados du 20 janvier 2023 :

En ce qui concerne le moyen commun aux décisions attaquées :

4. Par un arrêté du 19 janvier 2023, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 14-2023-12 du même jour et consultable sur le site internet de la préfecture, le préfet du Calvados a donné délégation à Mme C... E..., cheffe du bureau du séjour, à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions de ce bureau. Celles-ci comprennent, en application de l'article 3-4-1 de l'arrêté préfectoral du 30 août 2021 portant organisation des services de la préfecture du Calvados, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 14-2021-158 du 31 août 2021 et consultable sur le site internet de la préfecture, la rédaction et la notification des décisions de refus de séjour avec ou sans obligation de quitter le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'acte doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant refus de titre de séjour :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et

L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". D'autre part, l'article L. 435-1 du même code dispose que : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

6. Si M. A... B... fait valoir qu'il vivait en France depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée, qu'il a cherché à régulariser sa situation administrative et a obtenu un travail, et qu'il est hébergé par un de ses frères de nationalité française, une de ses sœurs étant titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle, il ne justifie pas lui-même d'une insertion remarquable ou même significative, malgré la durée alléguée de son séjour en France, ni même, avant 2021, d'efforts ou de démarches lui permettant de se former ou de s'insérer professionnellement. S'il soutient être depuis huit ans sans nouvelles de son père, avec qui il est entré en France en 2012, il ressort des pièces du dossier que sa mère et l'un de ses frères font, comme lui, l'objet d'une mesure d'éloignement vers Djibouti. Ainsi, il ne peut être considéré que le requérant, célibataire sans enfant à charge, serait isolé dans son pays d'origine. M. A... B..., qui se borne à faire état sans précision d'une scolarisation entre 2012 et 2015 et des " déménagements successifs de ses parents [qui] ne lui ont pas permis d'obtenir un diplôme et de poursuivre sereinement ses études ", produit une copie du titre professionnel de préparateur de commande en entrepôt qu'il a obtenu en 2021 après une formation courte effectuée du 10 septembre au 14 octobre 2021 dans le cadre d'un projet personnalisé d'accès à l'emploi financé par Pôle Emploi, une attestation et un bulletin de paie pour des missions d'intérim réalisées en octobre et novembre 2021 pour la société ..., ainsi qu'un courriel de l'agence d'intérim qui a fait appel à lui, informant la préfecture que l'employeur recourant à ses prestations souhaiterait que l'intéressé, après régularisation de sa situation administrative, puisse reprendre son poste. Mais ces documents, qui datent de 2021 alors que le requérant, né le 24 juin 1995, allègue avoir résidé en France de manière continue depuis 2012, sans toutefois apporter d'éléments sur sa situation et ses occupations durant cette longue période, n'attestent pas d'une intégration professionnelle particulière. Par ailleurs, M. A... B... ne justifie pas d'une intégration sociale ou amicale en France. Dès lors, compte tenu des conditions de son séjour et malgré l'avis favorable à une régularisation de l'intéressé rendu le 3 janvier 2023 par la commission du titre de séjour, le préfet du Calvados n'a pas porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris sa décision. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 5 doit être écarté.

7. En second lieu, l'article L. 435-1 du même code dispose que : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

8. Eu égard à ce qui a déjà été dit ci-dessus au point 6, et même si la commission du titre de séjour a émis un avis favorable à la délivrance à M. A... B... d'un titre de séjour, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait fait une appréciation manifestement erronée des faits de l'espèce en estimant que l'admission exceptionnelle au séjour de l'intéressé ne répondait pas à des considérations humanitaires ou ne se justifiait pas au regard de motifs exceptionnels au sens des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du même code. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen dirigé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :

9. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé précédemment que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas annulée. Par suite, le requérant ne peut pas se prévaloir de l'annulation de cette décision pour demander, par voie de conséquence, l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.

11. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

12. M. A... B..., qui se borne à faire état de considérations générales sur la situation sécuritaire à Djibouti, notamment en raison des conflits armés et des activités terroristes en cours dans les Etats voisins, ne produit aucun élément probant qui permettrait d'établir qu'il encourrait personnellement des risques de mauvais traitements en cas de retour dans son pays d'origine. Sa demande d'asile a d'ailleurs été rejetée par la Cour nationale du droit d'asile en 2014. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doit être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Ses conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2302090 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2r : La demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Caen est rejetée, ainsi que le surplus de ses conclusions présentées devant la cour.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. D... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Brisson, présidente,

M. Vergne, président-assesseur,

Mme Lellouch, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00550
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;24nt00550 ?
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