Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2023 par lequel le préfet du Morbihan lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office une fois ce délai expiré.
Par un jugement n° 2303465 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 février, 18 mars et 29 avril 2024, M. A... B..., représenté par Me Beguin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 septembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Morbihan du 17 janvier 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Morbihan de lui délivrer un titre de séjour ou à titre subsidiaire de réexaminer sans situation en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il est indiqué qu'il a vécu au Gabon jusqu'à ses 15 ans alors qu'il a quitté ce pays à l'âge de 8 ans ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur en examinant sa demande sur le terrain de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'elle relevait des dispositions de l'article L. 423-23 du même code.
Par un mémoire en défense, enregistrés les 15 avril 2024, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant gabonais né le 21 mars 2002, est entré en France avec sa mère le 30 décembre 2017 sous couvert d'un visa de court séjour. A sa majorité, il a engagé des démarches auprès de la préfecture du Morbihan afin d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article
L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 17 janvier 2023, le préfet du Morbihan lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office une fois ce délai expiré. M. B... relève appel du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
" Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... résidait en France depuis cinq ans à la date de l'arrêté litigieux, avec sa mère, son beau-père de nationalité française et sa
demi-sœur née en 2015 en Côte d'Ivoire. Entré en France en décembre 2017 avec sa mère alors qu'il était âgé de quinze ans, il a été scolarisé dès son arrivée, d'abord en seconde générale à Lorient, puis au lycée professionnel d'Hennebont (Morbihan), en première puis en terminale professionnelle " Gestion Administration ". Sa mère est titulaire d'une carte de résident et sa demi-sœur est de nationalité française. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions portées sur le titre de séjour délivré à sa mère par les autorités gabonaises, et des pièces produites, dont certaines l'ont été pour la première fois en appel, qu'avant son entrée en France, M. B... résidait, au moins depuis le mois de mars 2014, avec sa mère et son beau-père, en Côte d'Ivoire, pays dans lequel sa demi-sœur est née en 2015, et qu'il avait quitté son pays d'origine depuis près de dix ans à la date de l'arrêté litigieux. Au regard de l'ensemble de ces éléments, en particulier des attaches familiales fortes, stables et anciennes qu'il a sur le territoire français, de son jeune âge, et en dépit de son décrochage scolaire à la fin de sa terminale professionnelle à l'issue de l'année 2020-2021, en refusant de délivrer à M. B... un titre de séjour, le préfet du Morbihan a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il a ainsi fait une inexacte application des dispositions de l'article L 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de son titre de séjour. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination doivent être annulées par voie de conséquence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. B... d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet du Morbihan de lui délivrer un tel titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sans qu'il n'y ait lieu à ce stade d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Beguin, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Beguin de la somme de 1 200 euros hors taxe.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 28 septembre 2023 et l'arrêté du 17 janvier 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Morbihan de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Beguin une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Beguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00387