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07/06/2024 | FRANCE | N°23NT01503

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 07 juin 2024, 23NT01503


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 2 juillet 2021 par laquelle le directeur du centre de détention d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a refusé de restituer son matériel informatique et d'enjoindre à l'administration de lui restituer son ordinateur personnel.



Par un jugement n° 2101885 du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête sommaire et un mémoire enregistrés les 24 mai et 19 juillet 2023,

M. B... A..., représenté par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 2 juillet 2021 par laquelle le directeur du centre de détention d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a refusé de restituer son matériel informatique et d'enjoindre à l'administration de lui restituer son ordinateur personnel.

Par un jugement n° 2101885 du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et un mémoire enregistrés les 24 mai et 19 juillet 2023,

M. B... A..., représenté par Me Bosquet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 2 juillet 2021 par laquelle le directeur du centre de détention d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a refusé de restituer son matériel informatique ;

3°) d'enjoindre au directeur du centre de détention d'Alençon-Condé-sur-Sarthe de lui restituer son ordinateur personnel ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision contestée est fondée sur le règlement intérieur type des établissements pénitentiaires figurant en annexe à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale et particulièrement sur son article 19-VII, à valeur réglementaire, qui est contraire au droit de toute personne au respect de son droit de propriété consacré tant par l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen que par l'article 1 du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la restriction prévoyant que la personne détenue ne peut conserver en format électronique que les seuls documents relatifs aux activités socioculturelles, d'enseignement, de formation ou professionnelles est infondée et disproportionnée par rapport à l'objectif de sécurité et de contrôle recherché par les pouvoirs publics, comme le montrent les avis du Conseil économique, social et environnemental et du contrôleur général des lieux de privation de liberté ;

- il entend également faire valoir le moyen tiré de l'exception d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité des dispositions réglementaires dont la décision litigieuse fait application, qui portent au droit de toute personne au respect de sa vie privée une atteinte excessive, contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision litigieuse est entachée d'une erreur manifeste dans l'application des conditions prévues à l'article 19-VII du règlement type permettant à l'administration de retenir des équipements personnels du détenu, soit des raisons d'ordre et de sécurité ou l'impossibilité d'accéder, du fait volontaire de la personne détenue, aux données informatiques stockées sur un matériel informatique, conditions qui ne sont pas satisfaites au cas particulier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, en particulier son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2013-368 du 30 avril 2013 ;

- la circulaire du 13 octobre 2009 relative à l'accès à l'informatique pour les personnes placées sous main de justice (NOR : JUSK0940021C) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., condamné à une peine d'emprisonnement criminelle de 25 ans qui l'a amené à être incarcéré dans divers établissements pénitentiaires successifs, a été transféré à partir du 20 avril 2021 au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-Sur-Sarthe. Un contrôle de son ordinateur personnel par le service informatique à la suite de ce transfert a été réalisé le 11 mai 2021, qui a révélé des anomalies. Cet équipement a donc fait l'objet d'une mesure de retenue au vestiaire. La demande de restitution de ce matériel formée par M. A... a été rejetée par une décision du 2 juillet 2021 du directeur du centre de détention. M. A... relève appel du jugement du 12 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 728 du code de procédure pénale : " Des règlements intérieurs types, prévus par décret en Conseil d'Etat, déterminent les dispositions prises pour le fonctionnement de chacune des catégories d'établissements pénitentiaires ". Aux termes de l'article R. 57-6-18 de ce code : " Le règlement intérieur type pour le fonctionnement de chacune des catégories d'établissements pénitentiaires, comprenant des dispositions communes et des dispositions spécifiques à chaque catégorie, est annexé au présent titre. Le chef d'établissement adapte le règlement intérieur type applicable à la catégorie dont relève l'établissement qu'il dirige en prenant en compte les modalités spécifiques de fonctionnement de ce dernier. (...) ". Le VII de l'article 19 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, annexé à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale dispose que " La personne détenue peut acquérir par l'intermédiaire de l'administration et selon les modalités qu'elle détermine des équipements informatiques. / En aucun cas elle n'est autorisée à conserver des documents, autres que ceux liés à des activités socioculturelles, d'enseignement, de formation ou professionnelles, sur un support informatique. / Ces équipements ainsi que les données qu'ils contiennent sont soumis au contrôle de l'administration. Sans préjudice d'une éventuelle saisie par l'autorité judiciaire, tout équipement informatique appartenant à une personne détenue peut être retenu et ne lui être restitué qu'au moment de sa libération, dans les cas suivants : / 1° Pour des raisons d'ordre et de sécurité ; / 2° En cas d'impossibilité d'accéder aux données informatiques, du fait volontaire de la personne détenue ".

4. Les dispositions précitées du code de procédure pénale prévoient la faculté pour la personne détenue d'acquérir, par l'intermédiaire de l'administration et selon les modalités qu'elle détermine, des équipements informatiques, les types de documents qui peuvent y être conservés, le principe d'un contrôle de l'administration pénitentiaire sur les équipements et les données qu'ils contiennent, et la faculté pour cette administration de retenir un équipement informatique, pour des raisons d'ordre et de sécurité ou en cas d'impossibilité d'accéder aux données informatiques stockées du fait volontaire de la personne détenue, l'équipement en cause devant toutefois être restitué à l'intéressé au moment de sa libération. Elles disposent notamment que les détenus ne peuvent conserver sur support informatique des documents autres que ceux liés à des activités socioculturelles, d'enseignement, de formation ou professionnelles. Il résulte en particulier des dispositions impératives plus précises de la circulaire du 13 octobre 2009 relative à l'accès à l'informatique pour les personnes placées sous main de justice, publiée au bulletin officiel du ministère de la justice du 30 décembre 2009, limitant les équipements informatiques dont peuvent disposer les détenus et leurs usages, que la mise en place de scellés de sécurité sur les matériels informatiques est obligatoire pour tout ordinateur en cellule, de manière à prévenir toute ouverture de celui-ci par son utilisateur, et que sont interdits notamment les périphériques et technologies de communication, les technologies d'enregistrement sur support amovible telles que les lecteurs de cartes mémoire, les graveurs de CD-ROM et de DVD-ROM, les supports vierges (CD, DVD, clé USB, baladeur MP3, cartes mémoires ...) à l'exception des disquettes CD, DVD et de l'informatique de travail fournis et marqués par l'administration pénitentiaire ou des CD ou DVD provenant d'éditeurs, ainsi que les logiciels permettant la dissimulation ainsi que le chiffrement de données.

5. En premier lieu, si le requérant excipe du caractère inconstitutionnel et inconventionnel des dispositions qui lui ont été appliquées du VII de l'article 19 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, annexé à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale, au regard des dispositions et stipulations, protectrices de la vie privée et du droit de propriété, figurant aux articles 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du protocole n° 1 annexé à cette convention, les restrictions apportées par ces dispositions se justifient notamment par l'exigence d'un contrôle strict de la personne détenue, par le risque de communication des détenus entre eux ou avec l'extérieur, par la difficulté pour l'administration pénitentiaire d'exercer le contrôle des données conservées sur support informatique, justifiant une limitation du volume de ces données, et répondent à l'objectif d'intérêt général de protection de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Une telle restriction ne peut, alors que les intéressés sont autorisés à disposer de documents personnels et notamment de photographies de leurs proches conservés sur support papier, être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes détenues ou à leur droit de propriété. Le moyen tiré par le requérant, par voie d'exception, de la contrariété des dispositions réglementaires qui lui ont été appliquées à la Constitution et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que l'analyse de l'ordinateur personnel de M. A... par le service informatique a donné lieu à un rapport faisant état de nombreux manquements aux règles de détention et d'utilisation du matériel informatique applicables. Ainsi, il n'est pas contesté que les scellés de sécurité garantissant que l'ordinateur de l'intéressé ne soit pas modifié ou qu'aucun objet n'y soit dissimulé ont été brisés et que ce matériel contient de nombreux fichiers révélant une utilisation et un stockage non réglementaires de données, un fichier vidéo révélant un téléchargement à partir de plateformes de téléchargement illégales, ainsi que des traces de logiciels servant au cryptage des données. Si M. A... fait valoir que son ordinateur contient des fichiers personnels tels que des photos de famille, des écrits personnels, et d'autres documents servant à la préparation d'une demande de révision de sa situation pénale qu'il doit soumettre à la Cour de cassation, le stockage de telles données n'en est pas moins contraire aux règles rappelées ci-dessus au point 3. Compte tenu de ces éléments, en décidant le placement au vestiaire du matériel informatique de M. A... jusqu'à sa mise en conformité avec le règlement applicable, sans prévoir aucune destruction de son contenu numérique, le directeur du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-Sur-Sarthe n'a pas fait une inexacte application des dispositions qu'il a mises en œuvre, prévoyant qu'un tel matériel peut être retenu " pour des raisons d'ordre et de sécurité ". Est à cet égard sans incidence, eu égard aux manquements, objectivement constatés, reprochés à M. A..., ainsi qu'à l'objectif de prévention poursuivi par la mesure de rétention de son ordinateur, la circonstance qu'il ne serait " pas démontré que les fichiers sur l'ordinateur de M. A... compromettent l'ordre et la sécurité ". Enfin, le requérant ne peut utilement faire valoir les circonstances, à supposer

celles-ci avérées, qu'il avait été autorisé à conserver son ordinateur, régulièrement contrôlé et contenant alors les mêmes fichiers litigieux, dans les établissements où il était précédemment incarcéré, que les éléments concernant le dossier pénal d'un autre détenu lui sont parvenus " sans fraude ou ruse " dans le cadre d'une activité bénévole d'assistance administrative de ce détenu, qu'il n'a rencontré aucune difficulté au cours de ses incarcérations dans d'autres établissements, que le règlement intérieur dont il lui a été fait application a été adopté postérieurement à l'acquisition par lui de son matériel, ou encore que son ordinateur ne dispose d'aucun accès à internet.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A..., dont les conclusions à fin d'annulation et, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction, et celles présentées au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B... A..., à Me Bosquet et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01503


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01503
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET LABEY BOSQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;23nt01503 ?
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