Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par trois requêtes distinctes, M. B... D..., agissant en qualité de représentant légal des enfants A..., E..., C... et F... D..., M. J... D... et Mme H... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite puis explicite du 4 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises au Togo refusant de leur délivrer un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n°s 2214302, 2214304 et 2214313 du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision contestée du 4 janvier 2023 en tant qu'elle porte refus de visa de long séjour à Mme H... et aux enfants A..., E..., C... et F... D... et, par son article 4, a rejeté le surplus des requêtes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 décembre 2023, M. J... D..., représenté par Me Dewaele, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 juillet 2023 en tant qu'il le concerne ;
2°) d'annuler la décision du 4 septembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant sa demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer le visa sollicité dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision des autorités consulaires françaises ainsi que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont insuffisamment motivées et révèlent un défaut d'examen de sa situation ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle ne fait état d'aucun motif d'ordre public et qu'il établit sa filiation à l'égard de M. B... K... D..., son père ; la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a d'ailleurs pas contesté l'authenticité de son acte de naissance rectifié ; en outre il justifie d'éléments de possession d'état ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 % par une décision du 20 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. J... D..., ressortissant togolais, relève appel du jugement du 21 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite, puis de la décision du 4 janvier 2023, par lesquelles la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision du 28 juin 2022 des autorités consulaires françaises à Lomé (Togo) refusant de lui délivrer un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.
2. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde. Par suite, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. J... D..., dirigées initialement contre la décision consulaire doivent être regardées comme dirigées non pas contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, mais contre la décision du 4 janvier 2023 par laquelle cette commission a explicitement rejeté son recours.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...). L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". L'article L. 811-2 du même code prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Pour justifier du défaut de filiation de M. J... D... à l'égard de M. B... D..., le ministre de l'intérieur souligne les incohérences et contradictions des documents produits par l'intéressé. Le requérant verse toutefois aux débats un jugement civil du tribunal de première instance de première classe de Lomé en date du 24 mars 2021 portant rectification de son acte de naissance dressé le 2 janvier 2004 sous le n° 3 par l'état-civil de Lomé-Bé. Ce jugement, dont le ministre ne conteste pas l'authenticité, a été rendu sur requête de Mme G..., mère de J... D..., et indique que le père de cet enfant est M. B... D.... L'acte de naissance rectifié le 30 mars 2021 en vertu de ce jugement n° 4604/2021 du 24 mars 2021 figure au dossier. Le requérant se prévaut en outre d'une attestation de son grand-père, M. I... D..., indiquant avoir reconnu l'enfant J... à sa naissance en raison du très jeune âge de son père biologique, son propre fils, M. B... D..., qui n'était alors âgé que de 19 ans. Les deux autres attestations de la mère de cet enfant et de la compagne de M. B... D..., confirment les faits et, contrairement à ce que soutient le ministre, ne comportent aucune contradiction quant à la véritable identité du père biologique de M. J... D.... Par suite, et alors même que M. B... D... n'a déclaré cet enfant auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que le 29 juin 2020 alors qu'il a obtenu la qualité de réfugié le 12 mai 2020 et que le requérant avait déclaré que sa mère était décédée et s'était prévalu d'un autre acte de naissance rectifié par un jugement supplétif portant une date différente, le lien de filiation de M. J... D... à l'égard de M. B... D... doit être tenu pour établi par ce jugement du 24 mars 2021. Dès lors, en confirmant le refus de visa opposé au requérant, au motif que son lien familial allégué avec le réunifiant n'était pas établi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. J... D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation sur lequel le présent arrêt est fondé et alors que le ministre de l'intérieur n'invoque aucun autre motif d'ordre public, son exécution implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. J... D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. M. J... D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate, Me Dewaele, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dewaele d'une somme de 1 200 euros hors taxes, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2214302, 2214304 et 2214313 du 21 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 4 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. J... D... un visa de long séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Dewaele, conseil de M. J... D..., la somme de 1 200 euros hors taxes en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03720