Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, de condamner l'Etat, en sa qualité d'employeur, à lui verser la somme globale de 30 000 euros, assortie des intérêts légaux capitalisés, en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposée pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2100786 du 16 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 juillet et 22 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Macouillard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 mai 2023 ;
2° de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat statuant sur la prescription de l'action des ouvriers d'Etat ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence ;
5°) de juger que ces sommes seront assorties des intérêts et de leur capitalisation à compter de la date de sa première demande d'indemnisation ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de l'Etat pour carence fautive est engagée à son égard dans la mesure où le ministère de la défense n'a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les ouvriers d'Etat des dangers de l'amiante dans le cadre de la gestion de ses services des munitions ;
- les études scientifiques attestent des risques induits en matière de santé par l'inhalation de fibres d'amiante ;
- son relevé de carrière et les témoignages qu'elle produit attestent de son préjudice moral ;
- elle fait l'objet d'un suivi-post-professionnel entrant dans le cadre de l'arrêté du 28 février 1995 et établit la réalité des troubles dans ses conditions d'existence qu'elle invoque.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens présentés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 modifié ;
- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- l'arrêté du 21 décembre 2001 relatif à la liste des professions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
- l'arrêté du 8 juillet 2005 relatif à la liste des professions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été employée au service des munitions de Brest, au sein de la direction du service de soutien de la flotte (DSSF) de Brest, en qualité de secrétaire du bureau " dépiégeage " et de gestionnaire " finances ", en particulier du 19 janvier 1997 au 31 juillet 2011. Le 4 juin 2019, elle a adressé au ministre des armées une réclamation indemnitaire préalable en sollicitant la réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition aux poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace fourni par l'employeur. Sa demande a été rejetée la 10 décembre 2020. L'intéressée relève appel du jugement du 16 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire. Elle demande à la cour de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 30 000 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur :
2. L'Etat employeur a une obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous sa responsabilité, et, à cet effet, de veiller à la mise en œuvre effective des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire au risque d'exposition aux poussières d'amiante. La carence de l'Etat, employeur, dans cette mise en œuvre est de nature à engager sa responsabilité.
3. Le décret visé ci-dessus du 17 août 1977, relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, comporte, entre autres, des dispositions interdisant l'exposition des travailleurs à l'amiante au-delà d'un certain seuil et impose aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail, de nature à réduire le risque de maladie dans les établissements concernés. Le ministre des armées soutient avoir engagé des actions pour la protection de ses personnels contre les poussières d'amiante et précise que des combinaisons spécifiques avec serrage aux chevilles, poignets et cou ainsi que des cagoules ou masques à adduction d'air ou à filtre doivent être portées par les agents concernés. Il se prévaut en outre de la notice amiante n° 23 HSCT du 8 décembre 2003, préconisant lors de la manipulation de matériaux amiantés, l'arrêt de la ventilation du local concerné, le port d'un masque FFP3 jetable, le travail à mains nues avec rinçage des mains à la fin des opérations et l'utilisation de sacs spécifiques pour les " déchets amiantés ". Il justifie également de la réalisation de mesures d'empoussièrement notamment à l'occasion du démontage de câbles amiantés de certains missiles. Par ces seuls éléments généraux, il n'établit toutefois pas que l'Etat se serait conformé au sein du service des munitions de Brest de la direction du service de soutien de la flotte à l'ensemble des obligations définies par le décret susvisé du 17 août 1977 et que Mme A... aurait effectivement bénéficié dès 2006 des mesures ainsi prévues, en particulier des équipements de protection individuelle et collective requis. Cette carence est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, en qualité d'employeur.
Sur le préjudice d'anxiété :
4. Le service des munitions du " SSF " de Brest figure à l'annexe III de l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense. En revanche, ni les fonctions de secrétaire du bureau " dépiégeage ", ni celles de gestionnaire " finances ", exercées par Mme A... ne relèvent de la liste des professions permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) visée à l'annexe I du même texte. Ces fonctions n'étaient pas davantage mentionnées dans les précédents arrêtés des 8 juillet 2005 et du 21 décembre 2001. Si l'attestation établie le 29 septembre 2020 par son employeur mentionne que l'intéressée, qui est née le 8 mai 1964, pouvait envisager un départ à la retraite au titre du " dispositif amiante " le 24 juin 2020, les témoignages qu'elle produit n'apportent aucune précision sur ses fonctions. Dans ces conditions, l'intéressée, dont il n'est pas soutenu qu'elle bénéficierait ou pourrait bénéficier de l'ASCAA, ne peut être regardée comme établissant la réalité du préjudice d'anxiété dont elle sollicite la réparation.
5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme A... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I.PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02054