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04/06/2024 | FRANCE | N°23NT02005

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 04 juin 2024, 23NT02005


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, de condamner l'Etat, en sa qualité d'employeur, à lui verser la somme globale de 30 000 euros, assortie des intérêts légaux capitalisés, en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficac

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, de condamner l'Etat, en sa qualité d'employeur, à lui verser la somme globale de 30 000 euros, assortie des intérêts légaux capitalisés, en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui résultent de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102756 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet et 22 septembre 2023, M. A..., représenté par Me Macouillard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 mai 2023 ;

2° de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du conseil d'Etat statuant sur la prescription de l'action des ouvriers d'Etat ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence ;

5°) de juger que ces sommes seront assorties des intérêts et de leur capitalisation à compter de la date de sa première demande d'indemnisation ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat pour carence fautive est engagée à son égard dans la mesure où le ministère de la défense n'a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les ouvriers d'Etat des dangers de l'amiante dans le cadre de la gestion de son service public administratif, la direction des constructions navales (DCN) de C..., qui assurait la fabrication et la réparation des bâtiments de la marine nationale ;

- la DCN de C... fait partie des établissements ouvrant droit à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité amiante (ASCAA) visés par l'arrêté du 21 avril 2006 ;

- en dépit du fait qu'il ne bénéficie pas de l'ASCAA, il fait état d'éléments personnels circonstanciés démontrant qu'il a été exposé pendant une période suffisamment significative aux poussières d'amiante et justifie du lien de causalité entre les préjudices qu'il invoque et la faute de l'Etat ;

- les études scientifiques attestent des risques induits en matière de santé par l'inhalation de fibres d'amiante ;

- il a exercé un métier visé par l'arrêté du 21 avril 2006 et les témoignages qu'il produit attestent de son préjudice moral ;

- il fait l'objet d'un suivi-post-professionnel entrant dans le cadre de l'arrêté du 28 février 1995 et établit la réalité des troubles dans ses conditions d'existence qu'il invoque.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens présentés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;

- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été employé au sein de la direction des constructions navales (DCN) de C... en qualité d'ouvrier spécialisé, d'appareilleur et d'agent spécialisé du 2 mars 1970 au 9 décembre 1997. Le 18 février 2021, il a adressé au ministre des armées une réclamation indemnitaire préalable en sollicitant la réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition aux poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace fourni par l'employeur. Sa demande a été implicitement rejetée. L'intéressé relève appel du jugement du 4 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire. Il demande à la cour de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 30 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers ou anciens ouvriers de l'Etat relevant ou ayant relevé du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant à certains ouvriers d'Etat ayant travaillé dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales figurant sur une liste établie par arrêté interministériel, de percevoir, sous certaines conditions, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA), sous réserve de cesser toute activité professionnelle.

4. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un ouvrier d'Etat éligible à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante mentionnée au point 3 naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante. La publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel dans les conditions mentionnées au point 3, est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de publication de cet arrêté. Lorsque l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ASCAA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé. Enfin, dès lors que l'exposition a cessé, la créance se rattache, en application de ce qui a été dit au point 4, non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite, la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a demandé à être indemnisé au titre du préjudice d'anxiété mentionné au point 5, au motif que les fonctions d'ouvrier spécialisé, d'appareilleur et d'agent spécialisé qu'il a exercées au sein des DCN de C... et de Papeete, du 2 mars 1970 au 9 décembre 1997, entreraient dans le champ d'application de l'arrêté interministériel du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'intéressé doit dès lors être regardé comme ayant acquis la connaissance du risque pesant sur sa santé au titre de l'exposition aux poussières d'amiante à compter de la date de publication de cet arrêté, le 10 mai 2006. Le délai de prescription quadriennale prévu par la loi du 31 décembre 1968 a donc débuté le 1er janvier 2007. Par suite, et ainsi que le soutenait en première instance la ministre des armées, la créance de M. A... était prescrite au 31 décembre 2010 et sa réclamation préalable présentée le 18 février 2021 était tardive.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02005


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02005
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-04;23nt02005 ?
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