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24/05/2024 | FRANCE | N°23NT01821

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 24 mai 2024, 23NT01821


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Caen de lui allouer une provision de 10 000 euros à faire valoir sur l'indemnisation de ses préjudices et de condamner le centre hospitalier (CH) d'Avranches-Granville à lui verser la somme de 24 179,79 euros en réparation de ses préjudices.



Par un jugement n° 2002149 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Caen a condamné le CH d'Avranches-Granville à verser à Mme B... une somme de 1 920 euros en r

éparation des préjudices résultant de sa prise en charge dans cet établissement et à verser à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Caen de lui allouer une provision de 10 000 euros à faire valoir sur l'indemnisation de ses préjudices et de condamner le centre hospitalier (CH) d'Avranches-Granville à lui verser la somme de 24 179,79 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 2002149 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Caen a condamné le CH d'Avranches-Granville à verser à Mme B... une somme de 1 920 euros en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge dans cet établissement et à verser à la CPAM du Calvados la somme de 2 471,50 euros en remboursement des débours exposés avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2023 ainsi qu'une somme de 823,83 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 juin 2023, 11 juillet 2023 et 12 avril 2024, Mme A... B..., représentée par Me Fouet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2023 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner le CH d'Avranches-Granville à lui verser une somme globale de 24 179,76 euros en réparation des préjudices résultant des manquements de l'établissement dans sa prise en charge ;

3°) de mettre à la charge du CH d'Avranches-Granville une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les fautes commises par le CH d'Avranches-Granville sont intégralement à l'origine de l'aggravation de son état de santé ;

- elle a droit aux indemnités suivantes :

* 495 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total du 24 au 28 juillet 2020 ;

* 5 000 euros au titre des souffrances endurées évaluées par l'expert judiciaire à 2 sur une échelle de 7 ;

* 2 000 euros au titre du préjudice esthétique évalué à 0,5 sur une échelle de 7 par l'expert ;

* 4 000 euros au titre du préjudice sexuel évalué à 1 sur une échelle de 7 par l'expert ;

* 9 034,76 euros au titre de la perte de revenus ;

* 3 150 euros au titre des frais d'assistance par une tierce personne nécessaire à hauteur de 5 heures par jour pendant 3 semaines ;

* 500 euros au titre des frais divers.

Par des mémoires, enregistrés les 19 juillet 2023 (non communiqué) et 29 août 2023, la CPAM du Puy-de-Dôme, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) de condamner le CH d'Avranches-Granville à lui verser une somme de 3 089,37 euros en remboursement des débours exposés en faveur de Mme B..., avec intérêts de droit à compter du jour du jugement ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avranches-Granville une somme de 1 029,79 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a droit au remboursement des prestations servies en faveur de son assurée en lien avec les fautes du CH, soit :

o 3 016 euros en remboursement des frais hospitaliers ;

o 54,60 euros au titre des frais médicaux ;

o 357,70 euros au titre des frais pharmaceutiques ;

o 23,77 euros au titre des frais d'appareillage ;

- elle a droit à une somme de 1 029,79 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, le centre hospitalier Avranches-Granville, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., née en 1998, s'est présentée le 9 juillet 2020 au centre hospitalier d'Avranches-Granville pour des douleurs abdominales. Le scanner

abdomino-pelvien n'ayant révélé aucune anomalie significative, elle a été renvoyée à son domicile. Les douleurs persistant, Mme B... s'est à nouveau présentée au centre hospitalier d'Avranches-Granville le 14 juillet 2020. Un traitement pour suspicion d'infection urinaire lui a été prescrit. Un nouveau scanner abdomino-pelvien et une échographie ont été réalisés dans la journée du 24 juillet 2020. La consultation en urgence au service gynécologique du centre hospitalier a conduit à l'hospitalisation de Mme B.... Le 26 juillet 2020, un examen pour dépistage de la chlamydiae, infection génitale, est revenu positif. Mme B... a bénéficié d'un traitement médicamenteux et a subi un lavement de la cavité péritonéale. Estimant que sa prise en charge était inadaptée, Mme B... a saisi le centre hospitalier d'Avranches-Granville d'une réclamation indemnitaire que l'établissement de santé a rejetée par un courrier du 7 septembre 2020.

2. Mme B... a alors saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande indemnitaire tendant à l'octroi d'une provision de 10 000 euros et le prononcé d'une expertise avant dire-droit. Par un jugement avant dire-droit du 1er octobre 2021, le tribunal a rejeté la demande de provision, et a ordonné une expertise avant dire-droit. Le rapport d'expertise a été déposé le 26 septembre 2022. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Caen du 23 avril 2023 en tant qu'en lui allouant une somme de 1 920 euros, il n'a que partiellement fait droit à sa demande. La CPAM du Puy-de-Dôme demande à la cour de porter à la somme de 3 089,50 euros la somme que le centre hospitalier a été condamné à lui verser ainsi qu'à 1 029,79 euros la somme allouée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur la responsabilité du centre hospitalier d'Avranches-Granville :

3. Les parties ne contestent pas le principe de l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier d'Avranches-Grandville, sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, à raison d'une prise en charge fautive à l'origine d'un retard de diagnostic. Mme B... conteste en revanche le taux de perte de chance d'éviter l'aggravation de son état de santé résultant de ce retard de diagnostic évalué à 80% par le tribunal administratif.

4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

5. Il résulte de l'instruction que l'expert judiciaire a évalué à 80% la chance que le retard de diagnostic fautif a fait perdre à Mme B... d'éviter l'aggravation de son état de santé. L'expert a évalué ce taux sur la base de la chance qu'avait Mme B... d'éviter la nécessité de réaliser une coelioscopie pour procéder à un drainage d'un abcès de la trompe utérine indépendamment d'un quelconque manquement de l'établissement de santé ou du comportement de Mme B.... L'intéressée n'apporte aucun élément pour remettre en cause l'évaluation de l'expert selon laquelle, du fait de son état antérieur, Mme B... avait en toute hypothèse 20% de " chance " de ne pouvoir éviter la coelioscopie. Dès lors, il y a lieu de confirmer le taux de perte de chance de 80% retenu par les premiers juges.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

6. En premier lieu, Mme B... sollicite à ce titre la somme de 9 034,76 euros, correspondant à la perte de sept mois de revenus au SMIC brut, et soutient qu'elle bénéficiait d'une promesse d'emploi en tant que serveuse à hauteur de 35 heures par semaine par l'entreprise Zhu pour la période du 1er août 2020 au 31 octobre 2020, susceptible de déboucher sur un CDI. Toutefois, l'attestation de la gérante de cette entreprise selon laquelle il lui aurait été proposé un contrat à durée déterminée pour la période du 1er août au 31 octobre 2020 ne revêt pas de caractère probant. En outre, il ressort du rapport d'expertise que Mme B... a indiqué à l'expert avoir bénéficié des indemnités d'une rupture conventionnelle du 15 juin 2020 et ne pas avoir été en mesure de rechercher un emploi avant le mois de février 2021 et les avis d'imposition de Mme B... mentionnent un revenu annuel de 10 231 euros en 2019 et de 11 059 euros en 2020. Par suite, à supposer que l'attestation établie par la gérante de l'entreprise Zhu, dont la requérante n'a pas fait état devant l'expert, puisse suffire à établir une perte de chance sérieuse d'occuper un emploi du 1er août au 31 octobre 2020, la perte de revenus en lien avec les manquements de l'établissement n'est pas établie. Il s'ensuit que la demande de Mme B... relative à sa perte de gains professionnels doit être rejetée.

7. En second lieu, l'expert judiciaire n'a pas reconnu l'existence d'un préjudice tenant à un besoin d'assistance par une tierce personne dès lors qu'il a porté la mention " sans objet " sous cette rubrique. Dans ces conditions, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... ait réagi à cette conclusion de l'expert dans le cadre des opérations d'expertises, l'attestation de ses parents selon laquelle ils l'ont assistée pour " l'approvisionnement des courses " pendant trois semaines environ entre fin juillet et fin août 2020 ne peut suffire à établir la réalité de ce chef de préjudice.

8. En troisième lieu, Mme B... réclame une somme de 500 euros au titre des frais divers correspondant aux frais de déplacement qu'elle soutient avoir exposés pour se rendre au cabinet de son conseil à Caen, à l'expertise qui a eu lieu à Rouen en 2022, puis à celle organisée à Rennes en 2023. Elle ne produit pas plus en appel qu'en première instance de carte grise lisible établie à son nom ou à celui de son conjoint. Dès lors, la somme de 210 euros allouée à ce titre par les premiers juges doit être confirmée.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

9. En premier lieu, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que Mme B... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 24 au 28 juillet 2020 puis une incapacité temporaire de classe I, soit de 10%, jusqu'au 3 septembre 2020, date de consolidation de son état de santé. Il sera fait une équitable appréciation du déficit fonctionnel temporaire de Mme B... en l'évaluant à la somme de 133,5 euros (83,33+50).

10. En deuxième lieu, les souffrances endurées par Mme B... ont été évaluées à 2 sur une échelle de 1 à 7. Le conjoint de Mme B... a attesté avoir été témoin de l'intensité des douleurs présentées par elle pendant l'été 2020. Il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi par l'intéressée en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

11. En troisième lieu, Mme B... a subi un préjudice esthétique que l'expert judiciaire a évalué à 0,5 sur une échelle de 1 à 7 en relevant une cicatrice fine dans l'ombilic de 2,5 cm. Elle produit de récentes photographies dont il ressort que cette cicatrice, qui ne saurait se confondre avec celle qui résulterait de la césarienne qu'elle a subie, est toujours visible. Il sera fait une équitable appréciation du préjudice esthétique tant temporaire que permanent en l'évaluant à la somme de 500 euros.

12. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... a repris une activité sexuelle deux mois et demi après l'intervention. Ainsi qu'elle l'avait indiqué à l'expert, l'époux de l'intéressé atteste que depuis cette intervention par coelioscopie, leurs rapports sexuels sont nettement moins fréquents. Mme B... fait état d'une perte de libido, dont elle justifie par la production de certificats médicaux du gynécologue-obstétricien qui l'a vue en consultation en août 2022 et juin 2023. L'expert judiciaire a évalué à 1 sur une échelle de 1 à 7 le préjudice sexuel permanent. Ce poste de préjudice peut être équitablement évalué à la somme de 2 000 euros.

13. Il résulte de ce qui précède que la somme totale à laquelle peut prétendre Mme B... en réparation des préjudices dont le centre hospitalier d'Avranches-Granville est responsable est de 3 920 euros, après application du taux de perte de chance [(4 637,5*0,8) + 210].

Sur les droits de la CPAM du Puy-de-Dôme :

14. La CPAM du Puy-de-Dôme sollicite, comme en première instance, le remboursement des débours exposés en faveur de son assurée à hauteur de 3 089,37 euros. Le centre hospitalier a été condamné par le jugement attaqué, qui n'a pas remis en cause l'imputabilité de ces débours au manquement de l'établissement, à lui verser la somme de 2 471,50 euros par la simple application du taux de perte de chance de 80% retenu, confirmé par le présent arrêt. Dès lors, les conclusions présentées par la CPAM à ce titre doivent être rejetées. La demande présentée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion doit être rejetée par voie de conséquence.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que le centre hospitalier d'Avranches-Granville a été condamné à verser à Mme B... doit être portée à celle de 3 920 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Dans les circonstances de l'espèce et en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier

d'Avranches-Granville une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier la somme réclamée par la CPAM du Puy-de-Dôme au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 1 920 euros que le centre hospitalier d'Avranches-Granville a été condamné à verser à Mme B... est portée à la somme de 3 920 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2023 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er.

Article 3 : Le centre hospitalier d'Avranches-Granville versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier d'Avranches-Granville et à la Caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Une copie en sera transmise, pour information, à l'expert judiciaire.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01821


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01821
Date de la décision : 24/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SARL LE PRADO GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-24;23nt01821 ?
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