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06/05/2024 | FRANCE | N°23NT03515

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 06 mai 2024, 23NT03515


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 octobre 2019 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " C... " a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie constatée le 6 avril 2018 et de condamner l'EHPAD " C... " à lui verser une somme de 14 000 euros en réparation de ses préjudices financier et moral en lien avec la décision dont l'annulation est sollic

itée et avec la pathologie imputable au service.



Par un jugement n° 1914055 du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 octobre 2019 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " C... " a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie constatée le 6 avril 2018 et de condamner l'EHPAD " C... " à lui verser une somme de 14 000 euros en réparation de ses préjudices financier et moral en lien avec la décision dont l'annulation est sollicitée et avec la pathologie imputable au service.

Par un jugement n° 1914055 du 27 septembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 14 octobre 2019, enjoint à la directrice de l'EHPAD " C... " de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... constatée le 6 avril 2018 avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et rejeté les demandes indemnitaires de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2023, l'Etablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) "C...", représenté par Me Marchand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 septembre 2023 ;

2°) de rejeter les demandes de Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la pathologie de Mme A... constatée le 6 avril 2018 était imputable au service dès lors que les conditions de travail ne pouvaient s'analyser en un contexte professionnel pathogène de nature à déclencher la maladie et que les difficultés rencontrées par Mme A... dans l'exercice de ses fonctions constituent un fait personnel détachable du service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2024, Mme B... A..., représentée par Me Parent, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de condamner l'EHPAD " C... " à lui verser une somme de 14 000 euros en réparation du préjudice financier et du préjudice moral qu'elle estime avoir subis en lien avec la décision litigieuse refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et de mettre à la charge de l'EHPAD une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen invoqué par l'EHPAD " C... " n'est pas fondé ;

- l'illégalité de la décision du 14 octobre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie lui a causé divers préjudices d'ordres financier et moral qu'il y a lieu d'évaluer à la somme globale de 14 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Angibaud, représentant l'EHPAD " C... ", et de Me Parent, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., adjointe des cadres hospitaliers titulaire, exerçait ses fonctions au sein l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " C... " à E..., en qualité de gestionnaire des ressources humaines, depuis le mois de juillet 2017. Par une décision du 19 mars 2018, la directrice de l'établissement l'a informée de son changement d'affectation sur un poste d'accueil physique et téléphonique. Mme A... a déclaré, le 6 avril 2018, un arrêt maladie pour syndrome anxiodépressif réactionnel. Par un courrier du 30 mars 2019, elle a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie. Malgré l'avis favorable émis le 26 septembre 2019 par la commission départementale de réforme, la directrice de l'EHPAD, par une décision du 14 octobre 2019, a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cette dernière décision et la condamnation de l'établissement au versement d'une somme de 14 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision et de l'imputabilité au service de sa pathologie. L'EHPAD " C... " relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 septembre 2023 en tant qu'il a annulé la décision du 14 octobre 2019. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires et de condamner l'EHPAD à lui verser une somme de 14 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".

3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement ou d'une telle maladie, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par un rapport d'expertise du 20 mai 2019, un médecin psychiatre a estimé que l'état de santé de Mme A... était en lien direct et exclusif avec son activité professionnelle et que la pathologie dont elle souffrait, imputable au service, devait être prise en charge à compter du 6 avril 2018. La commission départementale de réforme s'est également prononcée en faveur d'une telle imputabilité aux termes d'un avis du 26 septembre 2019.

5. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le poste de responsable des ressources humaines sur lequel Mme A... a été recrutée l'amenait à assumer la gestion administrative et de carrière des 145 agents de l'établissement, ainsi que cela ressort de l'extrait du rapport d'activité de l'année 2017 produit, et impliquait une très lourde charge de travail. Il ressort également des pièces du dossier que ce poste était resté vacant pendant un mois et demi, cette circonstance ayant généré un certain retard, et Mme A... soutient, sans être sérieusement contestée, n'avoir pas bénéficié, contrairement à ce qui avait été initialement prévu, d'une prise de poste en doublon avec la précédente gestionnaire pendant quatre semaines. Il est constant que l'intéressée rencontrait des difficultés pour absorber sa charge de travail. En outre, il ressort des attestations de l'agent qui a organisé son recrutement et de l'infirmière coordonnatrice de l'établissement qu'à compter du mois de novembre 2017, les relations ont commencé à se tendre entre Mme A... et la directrice de l'établissement. L'intimée produit également des courriels émanant de la CFDT permettant de constater que le climat social était dégradé au sein de l'EHPAD. Enfin, le changement d'affectation dont Mme A... a fait l'objet sept mois après sa prise de fonctions, a été annulé par un arrêt de la cour du 15 mars 2024, au motif qu'il constituait une sanction disciplinaire déguisée. Alors même que Mme A... a été déchargée d'une partie de ses fonctions à compter du mois de janvier 2018, une telle situation est de nature à caractériser un contexte professionnel pathogène de nature à susciter le syndrome dépressif de Mme A....

6. En outre, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il ressort aussi des pièces du dossier, tant des attestations établies par des collègues de travail de Mme A... que des fiches de notation de l'intéressée, que cette dernière était compétente et appréciée dans l'exercice de ses fonctions, au sein de l'EHPAD " C... " comme au sein d'autres établissements sociaux et médico sociaux, au service desquels elle avait assuré auparavant des missions de gestionnaire des ressources humaines. Enfin, ni les retards accumulés par Mme A..., ni les observations qu'elle a formulées à l'adresse de sa directrice sur la régularité des décisions prises par celle-ci ou des procédures qui lui étaient soumises, ne sauraient s'analyser en un fait personnel ou des circonstances particulières conduisant à détacher du service la survenance de la maladie. Il en va de même des difficultés d'ordre personnel que Mme A... a pu rencontrer, comme de la pathologie ayant conduit l'intéressée à suivre des séances de laser oculaire, qui demeurent sans lien direct avec la maladie constatée à l'origine de ses arrêts de travail. Dès lors, l'EHPAD " C... " a commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... constatée le 6 avril 2018.

7. Il résulte de ce qui précède que l'EHPAD " C... " n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 14 octobre 2019.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. L'illégalité de la décision du 14 octobre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'EHPAD " C... " à l'égard de l'intéressée et à ouvrir droit à réparation à son profit sous réserve que les préjudices dont elle se prévaut présentent un lien direct et certain avec cette illégalité.

9. La requérante se prévaut d'abord d'un préjudice financier. Toutefois, la perte des indemnités liées à l'exercice effectif de ses fonctions de responsable des ressources humaines et l'absence de versement de la prime de départ octroyée par le comité de gestion des œuvres sociales des établissements hospitaliers publics ne présentent pas de lien direct avec l'illégalité de la décision litigieuse. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'illégalité fautive ait fait perdre à Mme A... des jours au titre de la " réduction du temps de travail ". Si elle fait valoir qu'elle a été privée du maintien de son plein traitement, l'exécution du jugement annulant la décision litigieuse du 14 octobre 2019 implique nécessairement le rétablissement de son plein traitement pour la période au titre de laquelle elle en a été illégalement privée ainsi que la prise en charge des frais en lien avec cette maladie. Il en va de même du versement d'une rente d'invalidité, dont le droit est conditionné à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie.

10. Mme A... se prévaut également d'un préjudice moral. Elle fait valoir que le refus pendant près de deux ans de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie l'a fragilisée et profondément affectée et que le fait d'avoir été privée tout au long de cette période du plein traitement auquel elle avait droit a en soi impacté sa situation personnelle. Il sera fait une équitable appréciation du préjudice moral ainsi subi par l'intéressée en l'évaluant à la somme globale de 2 500 euros. Si Mme A... demande réparation du préjudice moral lié à sa dépression réactionnelle, ce préjudice a été indemnisé dans le cadre de l'arrêt de la cour du 15 mars 2024.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice moral.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EHPAD " C... " demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de cet établissement une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'EHPAD " C... " est condamné à verser à Mme A... une somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 27 septembre 2023 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er.

Article 3 : L'EHPAD " C... " versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La requête de l'EHPAD " C... " et le surplus des conclusions de Mme A... sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) C... et à Mme B... A....

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03515


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03515
Date de la décision : 06/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL CORNET VINCENT SEGUREL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-06;23nt03515 ?
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