Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EARL Lucas a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du préfet de la région Bretagne du 5 octobre 2020 portant refus d'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section AZ 61, 66, 71, 131, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 143, 167, 20, 22, 23, 24, 32, 33, 34, 35, 48A, 52, 54, 57, 58, 59, 60 et section ZY 15B, 15CJ, 15CK sur le territoire de la commune d'Arzano, ainsi la décision portant rejet implicite de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2100956 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2023, l'EARL Lucas, représentée par
Me Dervilliers, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du préfet de la région Bretagne du 5 octobre 2020 lui refusant l'autorisation d'exploiter des parcelles sur le territoire de la commune d'Arzano, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions lui refusant l'autorisation d'exploiter, qui considèrent que sa situation relève de la priorité 9.2 au lieu de 6.3 du SDREA, sont entachées d'erreur de droit ;
- elles sont également fondées sur des faits inexacts dès lors, d'une part, qu'elles relèvent des moyens de production de 46,33 ha de grandes cultures pour le GAEC de Brandérien alors que ce GAEC exploite 190 ha de terres en blé, maïs et betteraves, et, d'autre part, qu'il n'a pas été tenu compte des données d'augmentation des effectifs et de mise à jour du plan d'épandage figurant dans le dossier de demande d'enregistrement de ce GAEC déposé peu avant la décision litigieuse.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête de l'EARL Lucas.
Il soutient que les moyens soulevés par l'EARL Lucas ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL Lucas, qui exploite un élevage de dindes reproductrices au lieu-dit Ristinec, sur le territoire de la commune de Guidel (Morbihan), a présenté le 17 juillet 2020 une demande d'autorisation d'exploiter une surface agricole supplémentaire de 40 ha, 21 a et 54 ca, correspondant à des parcelles libérées situées sur la commune d'Arzano (Finistère). Plusieurs candidatures concurrentes ayant été présentées sur tout ou partie de ces parcelles et l'une de ces demandes, celle du GAEC de Brandérien, ayant été considérée par l'administration comme mieux classée au regard des critères et priorités définis par le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne (SDREA), notamment de la " Priorité 9 réunion d'exploitations ou agrandissement ", la demande de l'EARL Lucas a été rejetée. Cette EARL a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du préfet de la région Bretagne du 5 octobre 2020 lui refusant l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section AZ 61, 66, 71, 131, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 143, 167, 20, 22, 23, 24, 32, 33, 34, 35, 48A, 52, 54, 57, 58, 59, 60 et section ZY 15B, 15CJ, 15CK sur la commune d'Arzano, ensemble la décision portant rejet implicite de son recours gracieux. Elle relève appel du jugement n° 2100956 du
2 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
2. D'une part, aux termes du III de l'article L. 312-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce : " Le schéma directeur régional des exploitations agricoles établit, pour répondre à l'ensemble des objectifs et orientations mentionnés au I du présent article, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2, en prenant en compte l'intérêt économique et environnemental de l'opération ".
3. D'autre part, en vertu du 1° du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles mentionnés à cet article. Le second alinéa de l'article L. 331-3 du même code dispose que l'autorité administrative " vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée. " Aux termes du I de l'article
L. 331-3-1 du même code dans la rédaction applicable en l'espèce : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / (...) ". Aux termes du II de l'article
R. 331-6 : " La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1 ".
4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi de demandes d'autorisation concurrentes par un preneur en place ou un candidat à la reprise répondant à des ordres de priorités différents au regard des prescriptions du schéma directeur régional, le préfet fait en principe application de l'ordre de priorité fixé par le schéma pour rejeter la demande placée à un ordre de priorité inférieur. Il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient.
5. En premier lieu, selon la priorité 6, relative à la " compensation des surfaces perdues de l'exploitation ", figurant à l'article 3 du SDREA de Bretagne : " Si la taille de l'exploitation du demandeur, dont la mesure est définie au point 4 de l'article 4 du présent arrêté, est inférieure à 150 % de la moyenne régionale définie au point 2 de l'article 5 du présent arrêté, cette priorité joue pour la compensation des surfaces perdues de l'exploitation quand celles-ci ont fait l'objet d'indemnisation (justification à apporter par le demandeur). (...) / En outre, le bénéfice de cette priorité est exclu pour l'attribution de parcelle ou îlot de parcelles se situant à plus de 5 km du siège de l'exploitation (...) ". Aux termes de la priorité 9 relative à la réunion d'exploitations ou agrandissement : " Réunion d'exploitations tel que définie à l'article 1. / Agrandissements d'exploitations se situant au-delà du seuil de viabilité avant l'opération projetée / Agrandissement à raison de surfaces au-delà de l'application de la priorité 8 en cas de plafonnement. / Agrandissement d'exploitation se situant en deçà du seuil de viabilité avant l'opération projetée et ne remplissant pas le critère d'IDE/UTA composé à plus de 70% de productions animales ou de fruits et légumes frais. / Agrandissements d'exploitations de dimension économique inférieure au seuil de viabilité avant l'opération projetée dans le cas d'une demande portant sur des parcelles situées à plus de 5 km du siège d'exploitation. / Le seuil de viabilité est précisé au point 2 de l'article 5 et caractérisé par un niveau d'IDE appelé IDE viabilité. ".
6. Si l'EARL Lucas soutient que sa demande d'autorisation relevait du rang de priorité 6.3, elle ne conteste pas qu'elle exploitait, à la date de la décision attaquée, une surface de
35 hectares de grandes cultures et un élevage de 2 600 places de dindes reproductrices pour une unité de travail, ni, en conséquence, que son indicateur de dimension économique par unité de travail annuel (IDE/UTA) devait être évalué à 78 720 euros. Il ressort ainsi des pièces du dossier que l'IDE de son exploitation était supérieure au seuil de 150 % fixé au point 2 de l'article 5 du SDREA. Il en ressort également que le siège de l'exploitation est situé à plus de 5 kilomètres des parcelles faisant l'objet de la demande d'autorisation d'exploiter. Dès lors, en considérant que la demande d'autorisation d'exploiter de l'EARL Lucas ne pouvait se voir attribuer un rang de priorité 6, l'administration n'a pas commis d'erreur de droit. Ce moyen doit par suite être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) de Bretagne : " Règles et dispositions particulières : / a) règles s'appliquant à toutes les priorités : En cas de demandes concurrentes relevant du même rang de priorité, les candidatures sont classées au regard des critères et règles fixés à l'article 5. / Si ce classement ne permet pas de les départager, des autorisations sont délivrées pour chacune d'elles. / Au sein d'une même priorité, on départagera les demandes en fonction des sous-priorités. (...) ". Le 3) de l'article 5 du SDREA de Bretagne définit la sous-priorité 9.6, qui peut être mise en œuvre en cas de demandes relevant de la même priorité 9 " agrandissement et/ ou réunion d'exploitation ", comme concernant le " Demandeur dont l'IDE/UTA de l'exploitation est le moins élevé au moment du dépôt de la demande, après application d'une modulation selon la distance, telle que définie à l'article 1 du présent arrêté, entre le siège de l'exploitation et le fonds demandé. A moins de 10 000 euros d'écart, les candidatures seront considérées comme de rang équivalent (...) ".
8. L'administration s'est fondée, pour prendre la décision contestée, sur la circonstance que la demande d'autorisation déposée par le GAEC de Brandérien pour les parcelles en litige était prioritaire au regard de la sous-priorité 9.6, dès lors que l'indicateur de dimension économique par unité de travail annuel (IDE/UTA) concernant ce GAEC devait être fixé à 69 222 euros contre 90 817 euros pour l'EARL de Kerangoarec, 106 155 euros pour le GAEC
Van't Klooster et 110 208 euros pour l'EARL Lucas, ce dernier montant étant calculé après application d'une majoration de 40% destinée à tenir compte du fait que le fonds demandé se trouvait à plus de 5 km du siège de l'exploitation.
9. L'EARL Lucas fait valoir que l'arrêté attaqué comporterait une erreur déterminante en retenant des surfaces de " grandes cultures " exploitées par le GAEC de Brandérien de 46,33 ha au lieu de " 190 ha de terres en blé, maïs et betteraves ". Toutefois, le préfet de la région Bretagne, dont la légalité de la décision doit s'apprécier à la date à laquelle elle a été prise, expose en défense avoir tenu compte des seules données figurant dans la demande d'autorisation d'exploiter du GAEC de Brandérien en date du 15 juillet 2020, faisant état d'une surface de
46,33 ha de grandes cultures et d'un élevage de 151 vaches laitières. La requérante n'apporte pas la preuve du caractère inexact de ces données par la production d'articles de presse postérieurs de près de deux ans à la date de la décision attaquée. Si elle fait valoir aussi qu'il n'a pas été tenu compte des données d'augmentation des effectifs et de mise à jour du plan d'épandage figurant dans le dossier de demande d'enregistrement de ce GAEC, l'existence, à la date de la décision litigieuse, d'un tel dossier modificatif dont il aurait dû être tenu compte par l'autorité compétente n'est pas démontrée. La production par l'EARL d'une demande d'enregistrement d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) datée du 21 juillet 2021, correspondant au projet du GAEC d'" augmentation de l'effectif de vaches laitières à 180 ", mentionnant que " le GAEC exploite une surface agricole utile de 188,24 ha ", ne permet pas d'établir que le préfet, à la date du 5 octobre 2020 à laquelle il a statué, aurait tenu compte de surfaces de grandes cultures inexactes, alors qu'il ressort de cette demande d'enregistrement que les animaux sont nourris par du maïs ensilage, de l'herbe ensilée, du foin et, de mars à octobre, de l'herbe pâturée, que la surface exploitée se décompose en 53,5 ha de céréales, 63,5 ha de maïs, 8 ha d'" autres fourrages " et 63,2 ha de prairies pâturées, et que, donc, l'essentiel de la surface agricole sert à nourrir les animaux sur l'exploitation et n'avait pas à être prise en compte, par application du point 3.1 de l'annexe 3 du SDREA de Bretagne, relatif à la méthode mise en œuvre pour évaluer la dimension économique des exploitations, qui prévoit que l'indicateur de cette dimension est déterminé par unité de production et que, pour les IDE relatifs aux productions animales, la valeur concernant les cultures de ventes est retirée, ce qui implique que la valeur des cultures destinées aux productions animales est déjà prise en compte dans la dimension économique de ces dernières productions. Enfin, l'existence d'une erreur de fait entachant la décision litigieuse ne saurait résulter de la seule mention, dans un tableau du dossier de la demande d'enregistrement susmentionnée, de 20 jeunes bovins à viande élevés par le GAEC de Brandérien, la valorisation à 376 euros par unité des " jeunes bovins et génisses viande " ne concernant, selon l'article 3.2 de l'annexe 3 au SDREA, que " les animaux engraissés n'étant pas nés sur l'exploitation " et " vendus au cours du dernier exercice comptable ". A supposer qu'il puisse être néanmoins retenu une erreur du préfet sur ce second point, la correction d'une telle inexactitude, aboutissant à minorer de 7 520 euros (20 x 376 euros) l'IDE/UTA attribuée au GAEC de Brandérien, n'aurait pas pour effet de remettre en cause le classement en première position de ce GAEC, ni pour conséquence de réduire à moins de 10 000 euros la différence entre les IDE/UTA respectives du GAEC retenu et de son plus proche concurrent, ce qui aurait impliqué de classer leurs demandes au même rang de priorité. Le moyen tiré de l'erreur de fait entachant la décision litigieuse ne peut donc être accueilli.
10. En dernier lieu, il n'est pas démontré ni même allégué que l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du SDREA, auraient justifié que le préfet délivre à l'EARL Lucas, en dépit du rang inférieur de la demande de celle-ci par rapport aux autres demandes dont l'administration était saisie, une autorisation d'exploiter sur tout ou partie des terres en cause.
11. Il résulte de ce qui précède que l'EARL Lucas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 octobre 2020 lui ayant refusé l'autorisation d'exploiter des parcelles sur la commune d'Arzano, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par l'EARL sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'EARL Lucas est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Lucas, au GAEC Brandérien, à l'EARL de Kerangoarec, au GAEC Van't Klooster, à la Sarl de Rosgodec et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la région Bretagne.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01348