Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 27 janvier 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a accepté la demande de constatation du terme de son contrat de travail à durée déterminée et l'a fixé au 1er février 2021 ainsi que la décision du 21 mai 2021 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2101629 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 février 2023, Mme C..., représentée par Me Brand, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 30 décembre 2022 ;
2°) de renvoyer l'examen de la requalification de son contrat de travail devant le conseil de prud'hommes de Caen et de surseoir dans l'attente du jugement définitif de cette question préjudicielle par la juridiction judiciaire ;
3°) d'annuler les décisions contestées des 27 janvier et 21 mai 2021 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, le cas échéant de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il appartient au conseil de Prud'hommes de Caen de déterminer si elle était titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), compte tenu du motif fictif de son recrutement dans le cadre d'un CDD pour pourvoir au remplacement de M. D... et du caractère permanent de son emploi ; cette question soulève une difficulté sérieuse qui détermine la solution du présent litige dans la mesure où, si son contrat est un CDD les décisions de l'inspecteur du travail sont illégales ;
- lorsqu'un employeur a recours à un CDD en dehors des cas limitativement énumérés à l'article L. 1242-2 du code du travail ou pour pouvoir un emploi durable en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1242-1, la requalification de ce contrat en CDI est de droit ;
- le motif de son CDD est fictif puisqu'elle ne remplace pas un salarié absent dès lors que ce dernier occupait un poste d'assistant administratif et non de gestionnaire d'achat ;
- son poste était pérenne ainsi qu'en atteste le recrutement d'un nouveau salarié affecté au service d'ordonnancement en mars 2021 et le recrutement d'autres personnes un peu après ;
- le non renouvellement de son contrat de travail est en lien avec son mandat dès lors que le poste qu'elle occupait n'a pas été supprimé et qu'elle donnait entière satisfaction dans l'exercice de ses missions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2023, la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), représentée par Me Tassel, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance en date du 15 décembre 2023, l'instruction a été close le 17 janvier 2024.
Le mémoire présenté le 29 mars 2024 pour Mme C... n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
- et les observations de Me Tassel, représentant la caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat du 3 août 2018, Mme C... a été recrutée par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), établissement public national à caractère administratif, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée (CDD) prenant effet à compter du 16 août 2018. Elle a été élue membre suppléant du comité social et économique en 2019. Par un courrier du 10 décembre 2020, reçu le 14 suivant, la CNAF a saisi l'inspecteur du travail, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2421-8 du code du travail, d'une demande de constatation du terme du contrat de travail de cette salariée protégée à raison de ses mandats syndicaux, au regard notamment de l'imprécision de la durée de son recrutement. Par une décision du 27 janvier 2021, l'inspecteur du travail a accepté la demande de la CNAF et considéré que la fin du CDD de Mme C... intervenait le 1er février 2021. Cette décision a été confirmée le 21 mai 2021 à la suite du recours gracieux présenté par l'intéressée le 25 mars 2021. Mme C... relève appel du jugement du 30 décembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions des 27 janvier 2021 et 21 mai 2021.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1242-2 du code du travail : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d'un salarié en cas : a) D'absence (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2421-8 du même code : " Pour l'application de la protection prévue au dernier alinéa des articles L. 2412-2, L. 2412-3, L. 2412-4, L. 2412-5, L. 2412-8, L. 2412-9 et L. 2412-13, l'arrivée du terme du contrat de travail à durée déterminée n'entraîne sa rupture qu'après constatation par l'inspecteur du travail, saisi en application de l'article L. 2412-1, que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire. / L'employeur saisit l'inspecteur du travail avant l'arrivée du terme. / L'inspecteur du travail statue avant la date du terme du contrat. ". L'article 2412-3 mentionné ci-dessus dispose que : " La rupture du contrat de travail à durée déterminée d'un membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique ou d'un représentant syndical au comité social et économique avant l'échéance du terme en raison d'une faute grave ou de l'inaptitude constatée par le médecin du travail, ou à l'arrivée du terme lorsque l'employeur n'envisage pas de renouveler un contrat comportant une clause de renouvellement, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 771-2 du code de justice administrative : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle. ". Aux termes de l'article L. 1411-2 du code du travail : " Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges des personnels des services publics, lorsqu'ils sont employés dans les conditions du droit privé. ". Aux termes de l'article L. 1411-3 du même code : " Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l'occasion du travail. "
4. En premier lieu, il ressort des termes de son contrat conclu le 3 août 2018, que Mme C... a été recrutée par la CNAF dans le cadre d'un CDD, sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 1242-2 du code du travail " afin de remplacer M. D..., employé en qualité d'assistant administratif ", en congés de maladie. Ce contrat précise que l'intéressée est recrutée à compter du 16 août 2018, " pour une durée de six mois minimum, soit jusqu'au 16 février 2019 " et ajoute que son terme est fixé à la date de retour de M. D... dans son emploi. Il indique également que Mme C... exercera les fonctions d'assistante administrative sur le site de Caen. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, que, par un jugement rendu le 24 novembre 2023, le conseil de prud'hommes de Caen, saisi le 24 novembre 2022 par Mme C..., qui avait bénéficié par le passé de plusieurs contrats de travail avec la CNAF, a requalifié son contrat de travail en CDI à compter du 9 janvier 2017 mais que ce jugement, contesté par la CNAF dans une instance pendante devant la cour d'appel depuis le 21 décembre 2023, n'est dès lors pas définitif. Au vu de ces éléments, Mme C... demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'examen de la requalification de son contrat de travail par la cour d'appel judiciaire. Toutefois, eu égard à la particularité de la relation de travail unissant un employeur et un salarié, il appartient à l'administration saisie sur le fondement de l'article L. 2421-8 du code du travail d'exercer son contrôle uniquement sur le point de savoir si le non-renouvellement de son contrat présente un caractère discriminatoire au regard du mandat syndical qu'il détient. En l'espèce, l'inspecteur du travail ne s'est pas prononcé sur la requalification du contrat de travail de Mme C... mais s'est borné à déterminer, ainsi que la CNAF le lui demandait, le terme de son dernier contrat prenant effet à compter du 16 août 2018. Dans ces conditions, la solution du présent litige, qui ne porte pas sur la nature de la relation de travail qui unissait Mme C... à la CNAF, ne soulève pas une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire. Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par la cour d'appel judiciaire.
5. En deuxième lieu, il est constant que M. D... était, à la date du 16 août 2018, placé en arrêt de maladie. Si la requérante soutient qu'en réalité elle n'exerçait pas les mêmes fonctions que ce salarié, la CNAF précise qu'ils avaient tous les deux pour mission d'envoyer les bons de commande aux fournisseurs, et d'engager les dépenses qui s'y rapportaient en vérifiant l'adéquation entre le bon de commande et l'attestation de service rendu. L'avenant au contrat de travail de M. D... conclu le 27 septembre 2007 indique en effet qu'il est employé en qualité de " technicien administration du personnel " sur le site de Caen et qu'il assurera le remplacement d'une technicienne " budget ordonnancement " absente. L'intéressé a été affecté définitivement sur ce poste à partir du 1er janvier 2010. Une note du 19 décembre 2016 confirme la mise à jour des libellés d'emploi afin de mieux tenir compte de leur finalité et des activités principales qu'ils impliquent. A cette occasion, M. D... a été informé que son emploi était désormais répertorié comme " technicien logistique et maintenance ", sans que cette nouvelle appellation n'entraine la modification de ses fonctions. A la suite de la contestation des nouveaux libellés de postes par certains salariés, un courrier du 25 juillet 2017 lui a indiqué que la dénomination définitive de ses fonctions était " assistant administratif ". Un courriel du 21 février 2018 confirme que M. D... s'occupait bien de l'aspect comptable des contrats signés avec les fournisseurs. Plusieurs courriels adressés par sa hiérarchie étaient adressés simultanément à M. D... et Mme C.... Par ailleurs, selon l'organigramme établi au 1er janvier 2020 et produit au dossier, M. D... apparaissait bien comme ordonnateur affecté sur le site de Caen. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la requérante n'établit pas qu'elle n'aurait pas assuré les mêmes fonctions que son collègue en arrêt de maladie et qu'elle n'aurait pas été temporairement recrutée pour assurer son remplacement sur le poste permanent qu'il occupait. Enfin, si Mme C... se prévaut de la circonstance qu'elle a été recrutée par la CNAF, aux termes d'un contrat du 6 janvier 2017, en qualité de gestionnaire d'achats pour la période du 9 janvier 2017 au 30 juin 2017, puis, par l'intermédiaire d'une société d'intérim, pour une mission auprès de la CNAF de Caen du 21 août au 29 juin 2018 pour la gestion des portefeuilles achats en raison d'un accroissement temporaire d'activité, il est constant que ces missions étaient achevées à la date de la signature de son nouveau CDD le 3 août 2018 et ne sont pas utilement invocables dans la présente instance.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 18 novembre 2020, M. D... a informé la CNAF de sa volonté de faire valoir ses droits à la retraite au 31 janvier 2021. A la suite de cette information, la CNAF a, par un courrier en date du 10 décembre 2020, saisi l'inspecteur du travail sur le fondement de l'article L. 2421-8 du code du travail d'une demande de constater l'échéance du terme exact du CDD de Mme C..., eu égard à l'imprécision des termes de son contrat. Une " note de contextualisation " datée du 10 décembre 2020 était annexée à cette demande. Elle indique que le volume de jours de travail des quatorze ordonnateurs intervenant sur les cinq sites est de 1995 jours, soit 142,5 jours de travail par agent pour 205 jours normalement travaillés. Ce document précise que la CNAF a mis en place au 1er janvier 2021 une optimisation de l'activité " ordonnancement " pour gagner en efficience et que cette fonction est désormais centralisée sur un seul site. Il n'appartient ni à l'inspecteur du travail, ni au juge, de remettre en cause ce choix de gestion qui relève de la seule appréciation de l'établissement.
7. La requérante conteste cependant la réalité de la suppression du poste sur lequel elle a été recrutée. Elle se prévaut du " recrutement " de M. B... à compter du 8 mars 2021. La CNAF justifie toutefois par les pièces qu'elle produit que ce salarié, auparavant rattaché à la direction des systèmes d'information, a bénéficié d'une réaffectation en interne sur un poste d'ordonnateur situé à Noisy-le-Grand. La CNAF ajoute que ce redéploiement est effectué en prévision des départs à la retraite et souligne qu'il ne se situait pas à Caen, contrairement au poste de M. D.... Par suite, la requérante, qui n'était titulaire que d'un CDD dont le motif était de pourvoir à un remplacement au sens de l'article L. 1242-2 du code du travail, n'est pas fondée à soutenir que ce poste aurait dû lui être proposé en priorité. La CNAF précise enfin que les autres vacances d'emploi auxquelles Mme C... se réfère sont relatives à un emploi temporaire situé à Paris et un CDD situé à Noisy-le-Grand, distincts du poste de M. D.... Par suite, Mme C... n'établit pas que l'emploi sur lequel elle avait été recrutée pour assurer le remplacement à Caen de M. D... n'aurait en réalité pas été supprimé et qu'elle en aurait été évincée illégalement.
8. En dernier lieu, à l'occasion des élections professionnelles des 9 et 15 octobre 2019, Mme C... a été élue membre suppléante CFTC du comité social et économique (CSE). Elle était également secrétaire de la commission relative à la formation professionnelle du CSE. L'intéressée soutient que les fonctions d'ordonnateur peuvent être exercées n'importe où en France et qu'elle donnait entière satisfaction. Elle prétend que la suppression du poste qu'elle occupait serait en réalité liée à ces mandats. Si les qualités professionnelles de l'intéressée ne sont pas remises en cause, le choix de recentrer l'activité d'ordonnancement en région parisienne relève du seul pouvoir d'organisation de la CNAF. Par ailleurs, dans sa décision du 27 janvier 2021, et après avoir procédé à une enquête contradictoire, l'inspecteur du travail a estimé que la suppression du poste de Mme C... entraînant de ce fait la fin de son CDD ne présentait pas de lien avec son mandat syndical. A l'appui de ses allégations, qui ne font état d'aucune entrave ou obstacle mis à l'exercice du mandat, la requérante n'apporte aucun autre élément de nature à remettre en cause cette appréciation. Par suite, ce moyen sera également écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CNAF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme C... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme C... le versement à la CNAF de la somme qu'elle sollicite au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la CNAF tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à la caisse nationale des allocations familiales, et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 avril 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00562