La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/04/2024 | FRANCE | N°23NT00554

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 23 avril 2024, 23NT00554


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, devenu compétent par détermination de la loi, d'annuler la décision du 11 juillet 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision pour aggravation de sa pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ".



Par un jugement n° 2000555 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procé

dure devant la cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 février et 9 novembre 2023 a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, devenu compétent par détermination de la loi, d'annuler la décision du 11 juillet 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision pour aggravation de sa pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ".

Par un jugement n° 2000555 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 février et 9 novembre 2023 ainsi que le 3 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Mattler, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 11 juillet 2018 ;

3°) de dire qu'il conservait à la date du 3 juin 2016 une invalidité de 15 % pour l'infirmité lombalgies chroniques et invalidantes ;

4°) d'ordonner, le cas échéant, une expertise médicale, aux frais avancés de l'Etat ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens.

Il soutient que :

- il a sollicité une pension pour l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques " et non pour l'infirmité " anomalies constitutionnelles de spondylolisthésis de grade I, de L5 sur S1 " ;

- le taux de 10 % retenu au titre d'un état antérieur, qui serait lié à une maladie étrangère au service, ne résulte d'aucune décision qui lui aurait été notifiée ;

- il n'est pas établi que les avis de la commission consultative médicale rendus les 17 avril 1989 et 9 avril 2018 seraient réguliers ; l'avis de la commission de réforme du 10 juillet 2018 est insuffisamment motivé ; ces avis, pas plus que celui du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité ne lui sont opposables ;

- son taux d'invalidité de 15 % est entièrement imputable au service ;

- il appartient au ministre d'établir que l'expert qui l'a examiné le 22 février 2018 a été régulièrement désigné et que lui-même a été informé de son droit de produire tout certificat médical ou d'être assister par son médecin traitant ;

- la circonstance qu'il n'aurait subi aucun nouveau traumatisme est sans incidence dès lors qu'il demande la prise en compte de l'évolution d'une infirmité déjà pensionnée et donc imputable au service ;

- les sauts en parachute entraînent nécessairement des traumatismes dorsaux dont les conséquences se révèlent parfois après la fin du service ;

- il ne soulève aucun moyen de légalité externe en appel.

Par des mémoires, enregistrés les 12 octobre et 15 décembre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens de légalité externe dirigés contre la décision contestée sont tardifs et par suite irrecevables ;

- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Le mémoire présenté le 15 janvier 2024 par le ministre des armées n'a pas été communiqué.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né en 1947, a servi dans l'armée de terre du 1er novembre 1965 au 2 octobre 1987. Il a été victime de deux accidents de service, survenus lors de sauts en parachute, les 1er octobre 1983 et 7 mars 1985. A compter du 20 mars 1987, une pension militaire d'invalidité au taux global de 50 % lui a été allouée pour les infirmités suivantes : 1 - " hypoacousie bilatérale " dont le taux d'invalidité a été fixé à 25 %, 2 - " séquelles d'un traumatisme cervical " au taux de 10 %, et 3 " séquelles de contusion vertébrale " au taux de 10 %. Ce taux de 50 % a été réduit à 40 % à compter du 20 mai 1990 sur la base des seules infirmités 1 et 2. Par une décision du 3 mai 1990, il a en effet été considéré que l'infirmité 3 n'ouvrait plus droit à pension en raison de son taux d'invalidité inférieur au minimum indemnisable fixé à 10 %. Par un courrier reçu le 6 juin 2016, M. B... a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation concernant l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ". Sa demande a été rejetée par une décision du 11 juillet 2018 de la ministre des armées. M. B... relève appel du jugement du 17 janvier 2023, par lequel le tribunal administratif de Nantes, devenu compétent par détermination de la loi, a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cette décision. Il demande à la cour de fixer le taux d'invalidité correspondant à l'infirmité 3 à 15 %.

Sur le bien-fondé de la décision contestée :

2. Par un courrier du 3 juin 2016, M. B... a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ". Il soutient qu'en se référant à l'infirmité " lombalgies chroniques invalidantes. Anomalies constitutionnelles de spondylolisthésis de grade I de L5 sur S1 ", la décision contestée ne correspond pas à sa demande. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette infirmité était déjà pensionnée, à titre temporaire, pour la période allant du 20 mars 1987 au 19 mars 1990 et que son intitulé exact était alors, selon l'intercalaire descriptif des infirmités ayant donné lieu à l'attribution d'une pension militaire d'invalidité, se référant à l'arrêté du 23 mai 1989 non produit : " Séquelles de contusion vertébrale - douleur lombaire mécanique, avec raideur, douleurs au changement de temps, épisodes de blocage aigu avec sciatalgie droite ou gauche incomplète. Limitation modérée en fin de mouvement. Distance doigts - sol 10 cm. Inflexion subnormale. Extension en décubitus retrouve une flexion. Rotation, inflexion lombaire normale. Radio : séquelles dorsales de maladie de Scheuermann antélisthésis L5, atypie transitionnelle. ". Par ailleurs la décision du 3 mai 1990, qui fait référence à ce même arrêté du 23 mai 1989, précise que cette infirmité ne peut être prise en compte pour le calcul de sa pension en raison de " son taux devenu inférieur au taux minimum indemnisable fixé à 10 % ". Le ministre produit les accusés de réception de ces deux décisions. Par ailleurs, il est constant que l'intéressé a perçu les pensions correspondant aux taux de 50 % puis de 40 % durant les périodes concernées. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir, d'une part, que ces décisions ne lui seraient pas opposables à défaut de lui avoir été régulièrement notifiées et, d'autre part, que la ministre se serait méprise sur l'objet de sa demande.

3. Aux termes de l'article R. 11 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Les visites auxquelles sont soumis les militaires (...) en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité sont effectuées par un seul médecin mandaté par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre de la demande. / Ce médecin, qualifié médecin expert, est choisi soit parmi les médecins militaires, soit parmi les médecins civils spécialement agréés à cet effet. L'agrément des médecins civils est délivré, pour une durée d'un an tacitement renouvelable, par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre. ". L'article R. 12 du même code précise que : " Préalablement à l'examen de l'intéressé, le médecin expert doit être mis en possession des pièces de l'instruction nécessaires à cet examen. Il établit un certificat qui est revêtu de sa signature. / L'intéressé a la faculté de produire au médecin expert tout certificat médical ou document qu'il juge utile et dont il peut demander l'annexion au dossier. Il peut également à chacune des visites auxquelles il est procédé, se faire assister par son médecin traitant : ce médecin présente, s'il le juge utile, des observations écrites, qui sont jointes au procès-verbal. ".

4. M. B... soutient qu'il n'a pas été invité à se rendre à l'expertise confiée au docteur C..., muni de tous les documents médicaux en sa possession et qu'en outre, il ne lui a pas été précisé qu'il avait la possibilité de se faire accompagner à ses frais par un médecin. Le ministre a indiqué ne pas être en mesure de produire la convocation adressée à M. B.... Par suite, ce dernier est fondé à soutenir qu'il a été privé d'une garantie à l'occasion de la procédure d'expertise et qu'en conséquence la décision contestée, qui est notamment fondée sur les conclusions de cet expert, est entachée d'irrégularité. Il s'ensuit que cette décision doit être annulée.

Sur les droits à pension de M. B... au titre de l'infirmité 3 :

5. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ". Aux termes de l'article L. 4 : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. ". Selon l'article L. 5 du même code : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. ". Enfin, l'article L. 6 de ce code dispose que : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Lorsque l'instruction médicale est achevée, le dossier est soumis pour avis à la commission consultative médicale dans les cas où cet avis est obligatoire ou lorsque l'un ou l'autre des services chargés de l'instruction ou de la liquidation de la pension l'estime utile. Le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre procède au constat provisoire des droits à pension et en notifie le résultat à l'intéressé ". L'article 15 dispose que " l'intéressé peut demander l'examen de son dossier par la commission de réforme ". Aux termes de l'article R. 17 du même code : " La commission de réforme ne délibère valablement que si son président ou son suppléant et un autre membre sont présents. ".

6. Ainsi qu'il a été rappelé au point 2, l'infirmité 3 dont souffre M. B... concerne des " séquelles de contusion vertébrale ". Elles entraînent des douleurs lombaires mécaniques, une raideur et des épisodes de blocage aigu avec sciatalgie et une limitation modérée de ces mouvements. L'intéressé présente en outre des séquelles dorsales consécutives à une maladie de Scheuermann contractée avant son engagement dans l'armée et un glissement de vertèbre L5 S1 dit " antélisthésis ". Si le ministre des armées fait valoir que le taux de 10 % non imputable au service mentionné dans l'arrêté du 23 mai 1989 au sujet de cette infirmité a acquis un caractère définitif, il résulte de l'instruction que, sur les 20 % retenus par l'expert puis la commission consultative médicale lors de sa séance du 17 avril 1989, cette décision a néanmoins admis un taux d'invalidité de 10 % imputable au service en raison de très nombreux sauts en parachute pratiqués par M. B... durant sa carrière militaire. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministre, la décision du 3 mai 1990 ne remet pas en cause le principe d'une part imputable au service de cette infirmité mais constate qu'elle est désormais inférieure au taux minimum indemnisable de 10 %. Dans le cadre de son expertise réalisée le 22 février 2018, le docteur C... s'est borné à indiquer qu'il était impossible de ventiler le taux d'invalidité qu'il proposait de retenir pour cette infirmité entre la part imputable au service et celle qui ne l'est pas, sans écarter tout lien avec le service. Dans ces conditions, l'infirmité n°3 dont est affectée M. B... présente au moins partiellement un caractère imputable au service. En revanche, les pièces du dossier ne permettent pas d'évaluer la part imputable au service de cette infirmité. En conséquence, il y a lieu d'ordonner avant dire-droit, ainsi que le demande le requérant, une nouvelle expertise médicale dans les conditions mentionnées ci-dessous.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 11 juillet 2018 est annulée.

Article 2 : L'infirmité n°3 " Séquelles de contusion vertébrale - douleur lombaire mécanique, avec raideur, douleurs au changement de temps, épisodes de blocage aigu avec sciatalgie droite ou gauche incomplète. Limitation modérée en fin de mouvement. Distance doigts - sol 10 cm. Inflexion subnormale. Extension en décubitus retrouve une flexion. Rotation, inflexion lombaire normale. Radio : séquelles dorsales de maladie de Scheuermann antélisthésis L5, atypie transitionnelle. " dont reste atteint M. B... est partiellement imputable au service.

Article 3 : Il sera procédé, avant dire droit, à une expertise médicale contradictoire entre les parties.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il pourra solliciter la désignation d'un sapiteur et accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 5 : L'expert aura pour mission de :

- prendre connaissance du dossier administratif et médical complet de M. B..., en ce qui concerne l'infirmité 3 mentionnée à l'article 2 du présent arrêt, se faire communiquer tout document utile auprès de tout tiers détenteur et entendre tout sachant ;

- examiner l'intéressé, décrire son état de santé actuel ;

- déterminer l'origine des symptômes se rattachant à cette infirmité, en précisant clairement la part non imputable au service résultant d'une pathologie ou anomalie constitutionnelle, et la part imputable au service présentant un lien direct notamment avec les nombreux sauts en parachute effectués par M. B... dans le cadre de ses fonctions militaires ;

- dire si les symptômes résultant de sa pathologie ou anomalie constitutionnelle ont été aggravés par ses fonctions militaires et évaluer le taux de cette aggravation imputable au service ;

- de façon générale, donner tous autres éléments d'information nécessaires.

Article 6 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour en deux exemplaires et l'expert en notifiera des copies aux parties, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord des parties.

Article 7 : L'expert appréciera l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport.

Article 8 : Les frais et honoraires d'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.

Article 9 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 avril 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00554


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00554
Date de la décision : 23/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : MATTLER LAURE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-23;23nt00554 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award