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26/03/2024 | FRANCE | N°23NT00352

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 26 mars 2024, 23NT00352


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 28 septembre 2021 par laquelle le président du Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) de Cléguérec l'a suspendue de ses fonctions à compter du 1er octobre 2021.



Par un jugement n° 2106059 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enreg

istrée le 8 février 2023, Mme A..., représentée par Me Legrand, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 28 septembre 2021 par laquelle le président du Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) de Cléguérec l'a suspendue de ses fonctions à compter du 1er octobre 2021.

Par un jugement n° 2106059 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 février 2023, Mme A..., représentée par Me Legrand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 décembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 28 septembre 2021 ;

3°) de la rétablir dans ses droits s'agissant de son ancienneté, de ses congés et de sa retraite ;

4°) de mettre à la charge du CCAS de Cléguérec le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le sens des conclusions du rapporteur public ne reflète pas la décision prise à l'audience ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs ;

- les faits sont " acquis " dès lors que le CCAS n'a pas produit de mémoire en défense devant le tribunal administratif et n'était pas représenté à l'audience ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- cette décision est contraire à la loi du 5 août 2021 et au décret du 1er juin 2021 dès lors qu'elle n'est pas un agent concerné par l'obligation vaccinale anti-Covid dans la mesure où elle ne relève pas d'une activité médicale ou paramédicale, n'est pas tenue de se rendre au domicile des administrés et n'exerce pas dans le domaine de la petite enfance ; les structures qui dépendent du CCAS, voire les services municipaux, sont susceptibles de lui permettre d'exercer ses fonctions en dehors de tout contact avec le public ;

- elle a exprimé auprès de son administration sa volonté de se soumettre à des tests " PCR " périodiques et d'en communiquer les résultats à son employeur, solution qui s'avérait équivalente en termes de protection pour ses collègues et le public ;

- la décision contestée présente un caractère disproportionné ;

- cette décision est contraire au droit de la fonction publique et dépourvu de fondement juridique ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 impose un entretien préalable avant toute mesure coercitive ;

- elle est fondée à se prévaloir du secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, du respect de l'intégrité de sa personne et du droit de ne pas faire l'objet d'une différence de traitement ainsi que le prévoient les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle a été victime d'une discrimination à raison de son état de santé, ce qui constitue une atteinte manifeste aux principes d'égalité et de non-discrimination, dans la mesure où elle a été empêchée d'accéder à son lieu de travail et privée de sa rémunération ;

- les articles 1er et 5 de la loi constitutionnelle n° 20056205 du 1er mars 2005 peuvent être invoqués directement devant le juge pour contester la constitutionnalité d'un acte règlementaire, en l'occurrence le décret dont se prévaut le CCAS.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, le centre communal d'action sociale de Cléguérec, représenté par Me Deniaud, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 700 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi constitutionnelle n° 2005-205 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Legrand, représentant Mme B..., épouse A....

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 28 septembre 2021, le président du Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) de Cléguérec a suspendu temporairement Mme B..., épouse A..., de ses fonctions d'agente sociale à compter du 1er octobre 2021, sans rémunération, et jusqu'à ce qu'elle produise un justificatif de vaccination contre la Covid ou de contre-indication à cette vaccination. L'intéressée a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Rennes. Elle relève appel du jugement du 9 décembre 2022, par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 7 du code de justice administrative : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". Aux termes de l'article R. 711-3 du même code : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". Aux termes de l'article R. 732-2 de ce code : " La décision est délibérée hors la présence des parties et du rapporteur public. ".

3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point 2, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

4. Par ailleurs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

5. Il ressort des pièces du dossier que le sens des conclusions du rapporteur public devant le tribunal administratif de Rennes, tendant au " rejet au fond " de la demande présentée par Mme A... a été portée à la connaissance des parties au moyen de l'application Télérecours le 30 novembre 2022 à 11h30, en vue d'une audience devant se tenir le 2 décembre 2022 à 11H30. Les circonstances que des affaires concernant des litiges se rapportant aux mêmes questions ont été appelées simultanément au cours de l'audience et que le rapporteur public a lu des conclusions communes à ces instances connexes, ou qu'il aurait omis de se prononcer sur certains moyens soulevés par Mme A..., sont sans incidence sur la régularité de la procédure suivie devant ce tribunal, dès lors qu'ainsi qu'il a été rappelé au point 2, le rapporteur public ne participe pas au délibéré et donc à la solution retenue par la formation de jugement pour régler le litige dont le tribunal est saisi. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige le rapporteur public à transmettre, sous forme écrite, l'intégralité de ses conclusions quand un requérant lui en fait la demande ; enfin, Mme A... ne saurait utilement, et en tout état de cause, eu égard à l'indépendance du rapporteur public, rappelée au point 2, se plaindre de ce que " le sens de ses conclusions ne reflèterait pas la décision prise à l'issue de l'audience ".

6. En deuxième lieu, Mme A... se prévaut de la circonstance qu'au point 11 du jugement attaqué le tribunal administratif a indiqué, par erreur, qu'en prenant la décision contestée " le directeur du centre hospitalier " n'avait pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, au point 5 de ce même jugement le tribunal avait expressément indiqué que " le CCAS de Cléguérec, chargé de missions d'accueil des personnes âgées et d'accueil de personnes handicapées " faisait partie des établissements dont les personnels étaient soumis à l'obligation vaccinale prévue par la loi du 5 août 2021. En dépit de l'erreur purement matérielle rappelée ci-dessus, le tribunal administratif a ainsi suffisamment motivé son jugement, lequel n'est entaché d'aucune contradiction.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Le défendeur à l'instance qui, en dépit d'une mise en demeure, n'a pas produit avant la clôture de l'instruction est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant dans ses écritures. Il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier.

8. Mme A... soutient que le CCAS de Cléguérec n'a pas produit de mémoire en défense devant le tribunal administratif et n'était pas représenté à l'audience. Il ressort toutefois de l'instruction que le CCAS, défendeur, n'a pas été mis en demeure de produire. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué méconnaitrait les dispositions précitées de l'article R. 612- 6du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 2 à 8, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularités.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué:

10. En premier lieu, la décision contestée du 28 septembre 2021 vise la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ainsi que le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Elle indique que Mme A... est soumise à l'obligation vaccinale. Elle ajoute qu'entre le 15 septembre 2021 et le 15 octobre 2021, les personnes concernées devaient présenter à leur employeur un certificat de statut vaccinal ou à défaut le justificatif d'une première dose et d'un test virologique négatif, et à partir du 16 octobre suivant, un certificat de statut vaccinal ou un certificat médical de contre-indication transmis au médecin de prévention, qui devait en informer son employeur. La décision contestée précise que Mme A... ne remplissait pas cette obligation vaccinale et qu'elle était suspendue de ses fonctions sans percevoir la rémunération correspondant à son grade. Par suite, et en dépit de la circonstance qu'elle ne se réfère pas expressément à l'article de la loi qui soumet les agents des CCAS à l'obligation vaccinale contre la Covid, cette décision est suffisamment motivée. Ce moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée ne peut ainsi, et en tout état de cause, qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 12 de la loi susvisée du 5 août 2021 : " I - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : (...) k) Les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code ; (...) III. - Le I ne s'applique pas aux personnes chargées de l'exécution d'une tâche ponctuelle au sein des locaux dans lesquels les personnes mentionnées aux 1°, 2°, 3° et 4° du même I exercent ou travaillent. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " I.- Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale (...) ".

12. Il n'est pas contesté que le CCAS de Cléguérec accueille des personnes âgées ou leur apporte à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, et qu'il assure des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale au sens des dispositions précitées de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, et quel que soit l'emplacement des locaux dans lesquels Mme A... devait exercer son activité et alors même qu'elle n'était pas elle-même en contact direct avec des personnes âgées ou vulnérables, elle était soumise, comme tous les autres agents du CCAS, à l'obligation vaccinale contre la Covid. Aucune disposition législative ou règlementaire n'imposait alors à son employeur, de rechercher si d'autres postes auraient pu lui être proposés dans une autre collectivité et notamment à la mairie de Cléguérec. Ces moyens ne pourront dès lors qu'être écartés.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal (...) Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement (...) 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. ". Aux termes de l'article 14 de la même loi : " (...) B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. (...) ".

14. Aux termes du III de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public (...) ".

15. Au vu des dispositions précitées des articles 12, et 13 de la loi du 5 août 2021, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée serait dépourvue de base légale. Par ailleurs si la requérante, qui ne conteste pas avoir contracté le Covid à trois reprises entre la fin du mois de décembre 2021 et le mois d'août 2022, indique qu'elle a exprimé par écrit son accord pour se soumettre à des tests " PCR " périodiques et d'en communiquer les résultats à son employeur, les dispositions précitées ne permettaient pas à compter du 1er octobre 2021 de retenir une telle possibilité, laquelle ne pouvait être regardée comme apportant des garanties équivalentes en termes de protection tant pour ses collègues que pour le public au contact duquel ils assuraient leur mission. Le moyen sera écarté dans toutes ses branches.

16. En quatrième lieu, si aux termes du III de l'article 14 l'employeur informe sans délai l'agent des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation, qui peut consister notamment en l'utilisation de jours de congés payés, il n'est pas contesté que Mme A... a bénéficié de la prise en compte de ses congés annuels et des jours de congés attribués au titre de la réduction du temps de travail, durant les 15 derniers jours du mois de septembre 2021. Par suite, elle a nécessairement été informée des conséquences du non-respect de son obligation vaccinale préalablement à sa suspension. En outre, une mesure de suspension prise dans l'intérêt du service, qui est limitée à la période au cours de laquelle l'intéressé s'abstient de se conformer aux obligations qui sont les siennes en application des dispositions précitées, se borne à constater que l'agent ne remplit pas les conditions légales pour exercer son activité. Elle ne présente pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'a dès lors pas à être précédée de la mise en œuvre des garanties procédurales attachées au prononcé d'une sanction administrative tenant notamment à l'organisation d'un entretien préalable avec son employeur. Ces moyens ne peuvent ainsi qu'être écartés.

17. En cinquième lieu, le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

18. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Le fait que l'obligation de vaccination concerne aussi des personnels qui ne sont pas en contact direct avec les malades est sans incidence dès lors qu'ils entretiennent nécessairement, eu égard à leur lieu de travail, des interactions avec des professionnels de santé en contact avec ces derniers. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé ou un établissement à caractère social, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'intégrité physique garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision contestée serait contraire aux stipulations des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.

19. L'article 13 de la loi du 5 août 2021 charge les employeurs de contrôler le respect de l'obligation par les personnes placées sous leur responsabilité. Il prévoit que les agents ou salariés présentent un certificat de statut vaccinal ou un certificat de rétablissement ou un certificat médical de contre-indication. Il fait obligation aux employeurs de s'assurer de la conservation sécurisée de ces documents. Les agents ou salariés peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur du fait que l'obligation a été satisfaite. Il résulte de ces dispositions que l'employeur ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. L'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, applicable au contrôle de l'obligation vaccinale en vertu de son article 49-1, énumère limitativement les informations auxquelles les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs ont accès. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions, qui constituent le fondement juridique de la décision contestée, méconnaitraient le secret médical et seraient contraires aux dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ni qu'elles porteraient, pour ce motif, une atteinte excessive au droit à la vie privée.

20. En sixième lieu, l'obligation vaccinale et la liste des catégories de personnes qui en relèvent résultent de la loi elle-même et non des dispositions règlementaires ou de la décision contestée. Contrairement à ce que soutient Mme A..., la différence faite entre personnes vaccinées et non vaccinées ou entre catégories professionnelles, qui ne se trouvent pas dans la même situation au regard des risques encourus de contaminer des personnes fragiles, n'est pas discriminatoire. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait contraire au principe d'égalité ne peut qu'être écarté.

21. En dernier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. ". Aux termes de l'article 5 de la même loi : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ". Il résulte de ces dispositions que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Dès lors, il ne saurait être utilement invoqué par la requérante à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision la suspendant de ses fonctions.

22. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre communal d'action sociale Cléguérec, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme A... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme A..., le versement au CCAS de Cléguérec d'une somme de 1 500 euros sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Mme A... versera au centre communal d'action sociale Cléguérec une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A... et au centre communal d'action sociale Cléguérec.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 mars 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. COIFFET

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00352


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00352
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : LEGRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;23nt00352 ?
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