Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... alias B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet du Finistère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera susceptible d'être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2303046 du 12 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 octobre 2023 et 14 février 2024,
M. A... alias B..., représenté par Me Blanchot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 12 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 5 juin 2023 et celui du même jour l'assignant à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, et dans le délai de huit jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est entachée d'un vice de procédure, dès lors que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) n'a pas été préalablement recueilli ;
- elle méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 425-9 du même code ;
- elle méconnaît l'article 8 du la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire Français d'une durée de deux ans :
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision portant assignation à résidence :
- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre prise de base légale la décision portant assignation à résidence.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 février 2024, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun de moyens soulevés par M. A... alias B... n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
13 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux a été entendu au cours de l'audience publique ;
- et les observations de Me Pavy, représentant M. C... A... alias B....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... alias B..., ressortissant tunisien né en 1976, a fait l'objet de deux mesures d'éloignement, les 27 août 2014 et 26 juin 2015. À la suite de son placement en garde à vue le 5 juin 2023 pour des faits de violence sur une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, le préfet du Finistère a, par deux arrêtés du même jour, d'une part, obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a déterminé le pays à destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans, et, d'autre part, assigné l'intéressé à résidence. M. A... alias B... relève appel du jugement du 12 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". Aux termes de l'article R. 611-2 du même code : " L'avis mentionné à l'article R. 611-1 est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu : / 1° D'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier ; 2° Des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a notamment indiqué, le 5 juin 2023 lors de son audition par les services de gendarmerie, qu'il avait la tuberculose, l'épilepsie, affection pour laquelle il était suivi en France et qu'il consultait un " psy ". Il est constant qu'il n'a alors fourni à l'appui de ses affirmations aucun élément. Il a produit, cependant, devant le tribunal puis devant la cour notamment plusieurs certificats médicaux, dont un établi en juillet 2023, qui relate le suivi médical régulier de l'intéressé par un centre d'accueil médicalisé entre 2013 et 2017, et depuis 2021. Il ressort de cette dernière pièce qu'il souffre d'une épilepsie partielle complexe à point de départ frontal gauche et secondairement généralisée, mal contrôlée par le traitement, qu'il est atteint de lésions tuberculeuses qui sont stables depuis 2022 et qui nécessitent un suivi et qu'il est suivi par un psychiatre pour des troubles anxio-dépressifs. Si les documents produits permettent d'établir que l'état de santé du requérant nécessite un traitement médical, ils ne permettent pas, à eux seuls, de démontrer que le défaut d'un tel traitement aurait pour l'intéressé des conséquences d'une exceptionnelle gravité. De plus, si M. A... soutient que les traitements médicaux que son état de santé nécessite ne seraient pas disponibles en Tunisie, la décision des autorités sanitaires tunisienne du 30 mars 2018 relative au retrait d'un lot de Dépakine et le courriel d'une société pharmaceutique précisant qu'un des médicaments qu'il prend, le Trileptal, n'est pas commercialisé en Tunisie ne permettent pas de l'établir. Enfin, l'intéressé n'a pas obtenu précédemment de titre de séjour en France pour raisons de santé, alors qu'il allègue, sans l'établir, qu'il y séjourne depuis 2005. S'il soutient avoir sollicité un titre pour cette raison en 2017, cela ne ressort pas de la seule confirmation d'une réservation pour un rendez-vous en préfecture pour obtenir un titre de séjour, sans précision sur la nature du titre envisagé. Dans ces conditions, les moyens tirés du vice de procédure tenant à l'absence de consultation du collège médical de l'OFII et de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent doivent, dès lors, être écartés.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. M. A... alias B... se prévaut d'une présence en France depuis 2005. Toutefois, les documents qu'il produit ne permettent pas d'établir une présence continue sur le territoire français depuis cette date. Si le requérant fait aussi valoir qu'il vit depuis 2013 avec une ressortissante française, les éléments qu'il verse au dossier et notamment une attestation de vie commune postérieure à la décision contestée, deux factures de décembre 2020 et février
2021 comportant une adresse commune ne suffisent pas à établir l'ancienneté et l'intensité de cette relation. De plus, la décision contestée a été prise à la suite de son interpellation le 4 juin 2023 pour violence sur sa compagne. Il ressort des pièces du dossier que M. A... alias B..., qui était sans emploi ni ressources sur le territoire français, avait déjà fait l'objet de deux mesures d'éloignement qu'il n'a pas exécutées. Par suite, l'obligation de quitter le territoire français en litige n'a pas porté au droit de M. A... alias B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du but en vue duquel elle été prise. Elle ne méconnaît donc pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
7. Eu égard à ce qui a été dit au point 5, le moyen tiré de ce que l'interdiction de retour d'une durée de deux ans prise à l'encontre du requérant méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. Eu égard à ce qui a été dit aux points 3 et 5, en l'absence de circonstance humanitaire justifiant que l'obligation de quitter le territoire français sans délai prononcée à l'encontre du requérant ne soit pas assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français, la décision contestée ne méconnaît pas l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
9. L'obligation de quitter le territoire français en litige n'étant pas annulée, le moyen tiré de ce que l'assignation à résidence dont a fait l'objet M. A... alias B... devrait être annulée par voie de conséquence ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... alias B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... alias B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... alias B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2024.
Le rapporteur,
X. CATROUXLa présidente,
C. BRISSON
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT02941