Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 73 915,09 euros augmentée des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des fautes commises dans la gestion de sa carrière.
Par un jugement n° 2001904 du 12 octobre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 22NT03896, les 14 décembre 2022 et 22 décembre 2023, Mme A..., représentée par Me Bourges, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 12 octobre 2022 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 73 915,09 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'illégalité fautive de la décision du 5 janvier 2016 refusant sa réintégration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- le rectorat a commis une faute en ne saisissant pas la commission de réforme dans un délai raisonnable ainsi que dans le traitement de sa situation ; il avait l'obligation de saisir la commission de réforme indépendamment des conclusions de l'expertise judiciaire diligentée ; il s'est écoulé pus de deux ans entre le moment où les services du rectorat lui ont indiqué que la commission de réforme serait saisie et le moment où elle s'est réunie ; son état de santé permettait sa réintégration dès le 8 novembre 2012 de sorte qu'elle a été maintenue en position irrégulière jusqu'au 25 avril 2016 ;
- en la convoquant à plus de 500 km de chez elle pour examiner les conditions de sa réintégration et en évoquant un " cafouillage administratif " l'Etat a commis une faute inacceptable ;
- elle est fondée à solliciter une indemnité réparant sa perte de revenus qui peut être évalué à 32 186,69 euros ;
- elle peut également prétendre au remboursement des frais engagés à hauteur de 5 332,36 euros ;
- son préjudice financier s'élève à 53 582,73 euros ;
- elle a en outre subi un préjudice moral ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence, lesquels peuvent être chiffrés à 15 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2023, le recteur de l'académie de Rennes conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête présentée par Mme A... est tardive et que les moyens qu'elle soulève ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bourges, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., titularisée en qualité de professeure des écoles en 1988, a été placée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée du 8 novembre 2007 au 7 novembre 2012. Alors qu'elle a sollicité, le 14 octobre 2015, sa réintégration auprès du recteur de l'académie de Rennes, ce n'est que par un arrêté du 25 avril 2016 qu'elle a reçu une affectation provisoire sur un poste en zone départementale d'ajustement rattaché administrativement à un établissement scolaire de .... Par deux courriers du 26 décembre 2019, reçus le 2 janvier 2020, Mme A... a, d'une part, sollicité la régularisation de sa situation pour la période comprise entre le 8 novembre 2012 et le 24 avril 2016 et, d'autre part, présenté une réclamation préalable tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises dans la gestion de sa situation à l'expiration de son congé de longue durée. Elle évalue ses préjudices à la somme globale de 73 915,09 euros. Dans le cadre de la présente requête, elle relève appel du jugement n° 2001904 du 12 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le recteur de l'académie de Rennes :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) ". Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à Mme A... par un courrier adressé en lettre recommandée avec accusé de réception le 12 octobre 2022. Ce courrier a été réceptionné par l'intéressée le 13 octobre 2022. Par suite, le délai franc de deux mois qui lui était imparti pour faire appel de ce jugement expirait le 14 octobre 2022. Contrairement à ce que soutient le recteur, la requête présentée devant la cour par Mme A..., enregistrée au greffe le 14 octobre 2022, n'est dès lors pas tardive.
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. Aux termes de l'article 51 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État alors en vigueur : " La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d'origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l'avancement et à la retraite. (...) La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l'intéressé, soit d'office à l'expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l'article 34 (...). ". Aux termes de l'article 43 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'État, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " La mise en disponibilité ne peut être prononcée d'office que dans les conditions prévues par l'article 48 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires. ". Sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade.
4. Aux termes de l'article 41 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Le bénéficiaire d'un congé de longue maladie ou de longue durée ne peut reprendre ses fonctions à l'expiration ou au cours dudit congé que s'il est reconnu apte, après examen par un spécialiste agréé et avis favorable du comité médical compétent (...) ". Aux termes de l'article 42 du même décret : " Si, au vu de l'avis du comité médical compétent et, éventuellement, de celui du comité médical supérieur (...), le fonctionnaire est reconnu apte à exercer ses fonctions, il reprend son activité (...). / Si, au vu du ou des avis prévus ci-dessus, le fonctionnaire est reconnu inapte à exercer ses fonctions, le congé continue à courir ou est renouvelé. Il en est ainsi jusqu'au moment où le fonctionnaire sollicite l'octroi de l'ultime période de congé rétribué à laquelle il peut prétendre. / Le comité médical doit alors, en même temps qu'il se prononce sur la prolongation du congé, donner son avis sur l'aptitude ou l'inaptitude présumée du fonctionnaire à reprendre ses fonctions à l'issue de cette prolongation. / Si le fonctionnaire n'est pas présumé définitivement inapte, il appartient au comité médical de se prononcer, à l'expiration de la période de congé rémunéré, sur l'aptitude du fonctionnaire à reprendre ses fonctions. / A l'expiration de la dernière période de congé de longue maladie ou de longue durée, le fonctionnaire reconnu apte à exercer ses fonctions par le comité médical reprend son activité. / S'il est présumé définitivement inapte, son cas est soumis à la commission de réforme qui se prononce, à l'expiration de la période de congé rémunéré, sur l'application de l'article 47 ci-dessous ". Aux termes de ce dernier article : " Le fonctionnaire ne pouvant, à l'expiration de la dernière période de congé de longue maladie ou de longue durée, reprendre son service est soit reclassé dans un autre emploi (...), soit mis en disponibilité, soit admis à la retraite après avis de la commission de réforme. Pendant toute la durée de la procédure requérant soit l'avis du comité médical, soit l'avis de la commission de réforme, soit l'avis de ces deux instances, le paiement du demi-traitement est maintenu jusqu'à la date de la décision de reprise de service ou de réintégration, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite (...) ". Enfin, l'article 48 de ce décret, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée, dispose que : "La mise en disponibilité prévue aux articles 27 et 47 du présent décret est prononcée après avis du comité médical ou de la commission de réforme sur l'inaptitude du fonctionnaire à reprendre ses fonctions. / Elle est accordée pour une durée maximale d'un an et peut être renouvelée à deux reprises pour une durée égale. /Toutefois, si à l'expiration de la troisième année de disponibilité le fonctionnaire est inapte à reprendre son service, mais s'il résulte d'un avis du comité médical qu'il doit normalement pouvoir reprendre ses fonctions avant l'expiration d'une nouvelle année, la disponibilité peut faire l'objet d'un troisième renouvellement. /L'avis est donné par la commission de réforme lorsque le congé antérieur a été accordé en vertu du deuxième alinéa de l'article 34 (4°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. /Le renouvellement de la mise en disponibilité est prononcé après avis du comité médical. Toutefois, lors du dernier renouvellement de la mise en disponibilité, l'avis est donné par la commission de réforme. ".
5. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 8 juin 2012, le directeur académique des services de l'éducation nationale des Côtes d'Armor a indiqué à Mme A... que ses droits à congé de longue durée expiraient le 7 novembre 2012 en l'invitant à lui préciser ses intentions à l'issue de celui-ci. Le 12 septembre 2012, le recteur a saisi le comité médical départemental afin qu'il se prononce sur son aptitude à reprendre ses fonctions. Le 14 novembre 2012, ce comité a émis un avis d'inaptitude définitive de cette professeure à toutes fonctions. Cet avis a été confirmé, sur recours de l'intéressée, le 12 novembre 2013, par le comité médical supérieur. Cet avis a été notifié aux parties au cours du mois de février suivant. Par un courrier du 26 février 2014, le recteur a indiqué à Mme A... que, compte tenu de cet avis, il demandait à la commission de réforme de statuer sur son placement à la retraite pour invalidité. Il est toutefois constant que le recteur n'a saisi cette commission que le 8 février 2016. Ce délai anormalement long est de nature à engager la responsabilité de l'Etat alors même que Mme A... a elle-même saisi le juge des référés afin qu'une expertise médicale soit diligentée et qu'elle ne souhaitait pas être placée d'office à la retraite mais au contraire reprendre son activité professionnelle.
6. A la suite de sa demande de réintégration renouvelée le 14 octobre 2015, la directrice académique des Côtes d'Armor a proposé à Mme A..., par un courrier du 6 novembre 2015, un rendez-vous afin d'étudier les modalités de sa reprise d'activité. Si, à cette date, l'intéressée était domiciliée en région parisienne, elle restait néanmoins affectée, pour la gestion de sa carrière, à l'académie de Rennes. En outre, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que cet entretien aurait été écourté ou n'aurait pas présenté d'utilité, ainsi que le soutient la requérante. Dans ces conditions, cette dernière n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat à raison de ces faits.
7. Il ressort enfin des pièces du dossier que, par un courrier du 5 janvier 2016, la directrice académique des Côtes d'Armor a informé Mme A... qu'à la suite de sa demande de réintégration, le comité médical départemental lui avait fait savoir qu'il ne pouvait revenir sur son avis émis le 14 novembre 2012, confirmé par le comité médical supérieur le 12 novembre 2013. Ce courrier se terminait en lui indiquant qu'il lui appartenait de saisir le juge administratif " afin de solliciter son avis sur [sa] reprise de fonctions ". Si les services du rectorat ne peuvent être tenus responsables du fait que le comité médical a refusé de réexaminer l'aptitude de cette enseignante à reprendre ses fonctions, en revanche il leur incombait de régulariser la situation de Mme A... en saisissant la commission de réforme. Il ressort des pièces du dossier que ce n'est qu'après avoir pris connaissance des motifs de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes du 4 février 2016, saisi le 18 janvier 2016 par l'intéressée d'une demande de suspension de la décision du 5 janvier 2016, que le recteur a saisi la commission de réforme, qui, par un avis du 19 avril 2016, a reconnu son aptitude à l'exercice des fonctions d'enseignante. Il s'ensuit que la requérante est fondée à soutenir qu'en ne procédant pas de sa propre initiative, en sa qualité d'employeur, à la saisine de la commission de réforme en vue de sa réintégration, le recteur a également commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
Sur les préjudices :
8. Il n'est pas contesté que Mme A..., qui a été placée en disponibilité d'office à titre conservatoire dans l'attente de la saisine de la commission de réforme, n'a perçu entre le mois de février 2014 et le mois de février 2016, qu'un demi-traitement complété à hauteur de 77 % par son assurance complémentaire santé. Par suite, et compte tenu des éléments non contestés produits par la requérante, il sera fait une juste appréciation de son préjudice financier en l'évaluant à 14 000 euros. En revanche, il n'y a pas lieu de tenir compte des avancements de carrière invoqués par l'intéressée, lesquels ne présentent pas un caractère certain. De même, les sommes allouées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative étant réputées couvrir intégralement les frais d'instance, Mme A... n'est pas fondée à solliciter une indemnisation complémentaire au titre des dépenses qui seraient restées à sa charge.
9. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, Mme A... a dû attendre plus de deux ans et saisir le juge administratif au fond et en référé afin que le recteur saisisse la commission de réforme, avant de procéder à sa réintégration par une décision du 25 avril 2016. Dans ces conditions, il y a lieu de fixer à 2 000 euros la somme que l'Etat versera à la requérante en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qu'elle a subis à raison de cette carence fautive.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a refusé de l'indemniser de ses préjudices à hauteur de 16 000 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
10. Mme A... a droit, ainsi qu'elle le demande, à ce que la somme de 16 000 euros porte intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 2020, date de réception de sa réclamation préalable par le recteur. Les intérêts seront capitalisés à compter du 2 janvier 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001904 du 12 octobre 2022 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 16 000 euros à Mme A.... Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 2020, lesquels seront capitalisés à compter du 2 janvier 2021, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Mme A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au recteur de l'académie de Rennes et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 16 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03896