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12/03/2024 | FRANCE | N°22NT02979

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 12 mars 2024, 22NT02979


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2021 par lequel l'inspecteur du travail a autorisé la société ... à procéder à son licenciement pour motif économique.



Par un jugement n° 2102062 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 12 sept

embre 2022 et 14 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Gautier-Lair, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2021 par lequel l'inspecteur du travail a autorisé la société ... à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 2102062 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 12 septembre 2022 et 14 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Gautier-Lair, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 13 juillet 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2021 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de la société ... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation d'une double consultation du CSE n'a pas été respectée ; au titre de ses attributions générales, le comité social et économique (CSE) doit être consulté sur toutes les mesures " de nature à affecter la structure et le volume des effectifs " dans les conditions fixées par l'article L.2312-8 du code du travail ; il doit également être consulté spécifiquement sur le projet de licenciement pour motif économique sur le fondement de l'article L.1233-8 du code du travail ; pour chaque consultation, il doit disposer des informations écrites et précises, dans un délai suffisant, pour lui permettre d'émettre un avis éclairé dans les deux cas ; le comité social et économique, au cas d'espèce, n'a à aucun moment été consulté avant l'engagement de la procédure de licenciement ; la société ne justifie pas que le CSE qui n'a pas rendu d'avis ait été consulté sur le fondement de l'article L.2312-8 du code du travail ;

- le délai dont dispose le comité social et économique pour rendre un avis n'a pas été respecté ; la seule convocation par l'entreprise du CSE sur le projet de licenciement collectif est celle du 29 janvier 2021 pour la réunion du 4 février suivant ;

- il n'a pas été informé de son droit à être auditionné par le comité social et économique ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juin 2023 et 17 janvier 2024, et un mémoire complémentaire présenté le 8 février 2024 qui n'a pas été communiqué, la société ..., représentée par Me Jamais, conclut au rejet de la requête présentée par M. A... et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'intéressé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

En réponse à une mesure d'instruction diligentée par la cour le 23 janvier 2024 et adressée aux parties, des pièces ont été produites pour M. A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Deux notes en délibéré ont été produites le 16 février 2024, à 10h58 puis 16h29, pour la société ... et n'ont pas été communiquées.

Deux notes en délibéré ont été produites le 16 février 2024 à 12h 21 puis 17h15, pour M. A... et n'ont pas été communiquées.

Considérant ce qui suit :

1. La société ..., spécialisée dans la papeterie et les fournitures scolaires et de bureau, a rencontré des difficultés économiques en raison de l'évolution des marchés liée à la transformation numérique, au confinement lors de la pandémie de COVID-19 et à l'incidence du télétravail. Sa situation économique dégradée l'a conduite à envisager de licencier huit de ses salariés, dont M. A..., responsable achat au sein de l'entreprise et membre titulaire du comité social et économique. Elle a alors, le 17 mai 2021, sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier. Par une décision du 20 juillet 2021, cette autorisation a été accordée. M. A... a formé un recours hiérarchique contre cette décision, qui a été reçu le 20 septembre 2021 par la ministre du travail, et il a saisi le lendemain soit le 21 septembre 2021 le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 20 juillet 2021 de l'inspectrice du travail. Son recours hiérarchique a été implicitement rejeté en cours d'instance, le 20 janvier 2022. M. A... relève appel du jugement du 17 janvier 2022 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée :

2. M. A... soutient que l'obligation de double consultation du comité social et économique (CSE) avant l'engagement d'une procédure de licenciement a été méconnue au regard des articles L. 1233-8 et L. 2312-8 du code du travail, ce qui aurait dû conduire l'inspectrice du travail à refuser l'autorisation de le licencier.

3. La consultation du comité social et économique sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs et la consultation du même comité sur un projet de licenciement collectif pour motif économique de personnes désignées constituent deux procédures distinctes qui, si elles peuvent être conduites de manière concomitante, doivent être suivies l'une et l'autre, eu égard à leur différence d'objet.

En ce qui concerne la consultation prévue par l'article L. 2312-8 du code du travail :

4. Aux termes de l'article L. 2312-8 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la décision contestée et qui est inséré dans la deuxième partie du code, consacrée aux relations collectives de travail : " Le comité social et économique (...) est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur : / 1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs (...) ". L'article L.2315-88 du même code dispose : " Le comité social et économique peut décider de recourir à un expert-comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise prévue au 2° de l'article L. 2312-17 ". Selon cet article L.2312-17 : " Le comité social et économique est consulté dans les conditions définies à la présente section sur : 1° Les orientations stratégiques de l'entreprise ; / 2° La situation économique et financière de l'entreprise ; / 3° La politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi. ".

5. S'agissant tout d'abord de l'absence invoquée de consultation du CSE au titre de ses attributions générales résultant de l'article L. 2312-8 du code du travail, il ressort des pièces versées au dossier qu'à l'automne 2020, période à laquelle le projet de suppression de postes a été envisagé par la société ..., le CSE a décidé de confier à la société Syncea, à l'issue de la réunion du 23 septembre 2020, une expertise relative à la situation économique et financière de la société au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2019, en vue de sa consultation sur la situation économique et financière. Il est constant que le rapport commandé à l'initiative du CSE a été remis à ses membres le 13 novembre 2020 et a ensuite été explicité par l'expert à l'occasion d'une réunion extraordinaire du CSE qui s'est tenue le 17 novembre 2020, sans que cet organisme formule d'observation ou d'avis à l'issue des débats. Si aucun procès-verbal de cette consultation n'a été dressé à l'issue de cette réunion, cette circonstance relève uniquement de la responsabilité du secrétaire du CSE. Dans ces conditions, le comité social et économique doit être regardé comme ayant été consulté au titre de ses attributions générales au cours de la séance du 17 novembre 2020, ainsi que l'avait d'ailleurs estimé la présidente du tribunal judiciaire de Caen, dans un jugement définitif du 20 mai 2021.

En ce qui concerne la consultation prévue par l'article L. 1233-8 du code du travail :

6. M. A... soutient qu'en l'absence, d'une part, de consultation du comité social et économique (CSE) sur le licenciement collectif pour motif économique au titre de ses attributions spéciales et à défaut, d'autre part, d'avoir respecté le délai préfix d'un mois dont disposait cet organe pour rendre un avis, les dispositions de l'article L. 1233-8 du code du travail ont été méconnues, ce qui aurait dû conduire l'inspectrice du travail à refuser l'autorisation sollicitée par la société ... de le licencier.

7. Aux termes de l'article L. 1233-8 du code du travail, qui est inséré dans la première partie du code, consacrée aux relations individuelles de travail : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité social et économique dans les entreprises d'au moins onze salariés, dans les conditions prévues par la présente sous-section. / Le comité social et économique rend son avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de la première réunion au cours de laquelle il est consulté, à un mois. En l'absence d'avis rendu dans ce délai, le comité social et économique est réputé avoir été consulté ".

8. En premier lieu, il ressort des pièces versées au dossier que la direction de la société ... a décidé, le 15 décembre 2020, de reprendre la procédure de consultation du comité social et économique sur le fondement de l'article L. 1233-8 du code du travail, déjà initiée puis poursuivie les 5 novembre, 24 novembre et 4 décembre 2020. Elle a ainsi convoqué, le 29 janvier 2021, le CSE pour tenir réunion le 4 février 2021 en lui transmettant une note de synthèse et deux notes supplémentaires ainsi que des annexes dont le compte de résultat de l'exercice 2020. Les membres du CSE ont relevé lors de cette réunion que " les documents demandés lui permettant de rendre potentiellement un avis ne lui ont été remis que le 29 janvier et que le délai d'un mois expirait, en conséquence, le 28 janvier 2021 " et ajouté alors " qu'ils avaient besoin d'éclaircissements et de précisions sur un certain nombre de points " en sollicitant l'intervention du contrôleur de gestion de la société, acceptée par la direction. Le CSE a ainsi été consulté de manière éclairée. Il est constant que le CSE n'a pas rendu d'avis à l'issue de la réunion du 4 février 2021. Il résulte de ce qui précède que la consultation prévue au 1er alinéa de l'article L. 1233-8 du code du travail, cité au point précédent, a été menée à bien. Pour ce motif, la première branche de moyen sera écartée.

9. En second lieu, toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 1233-8 du code du travail que le comité social et économique dispose, pour rendre son avis, d'un délai d'un mois à compter de la date de la première réunion au cours de laquelle il est consulté, qui est nécessairement celle au cours de laquelle il a disposé d'une information complète et loyale de la part de la direction de la société sur le projet de licenciement pour motif économique. Il ressort des pièces du dossier que ce n'est qu'à la date de la réunion du 4 février 2021 que les membres du comité social et économique étaient détenteurs de cette information qui, malgré les observations et critiques exprimées rappelées au point précédent, doit être regardée comme complète et de qualité suffisante, ainsi que l'a d'ailleurs estimé, dans son jugement du 20 mai 2021, la présidente du tribunal judiciaire saisie pour se prononcer sur une prorogation du délai. Le délai dont disposait ainsi le CSE pour rendre un avis expirait, en conséquence, le 4 mars 2021. Or, il ressort des pièces du dossier, tout d'abord, que la société ..., a par un courrier du 10 février 2021, informé les membres du personnel, qu'elle considérait le délai d'un mois dont disposait l'instance pour émettre un avis comme expiré et qu'en conséquence la phase de consultation était terminée, annonçant l'envoi " des questionnaires sur situations personnelle des salariés concernés... ". Ensuite, la société a effectivement transmis, le 11 février 2021, une demande d'actualisation de leurs données personnelles aux salariés dont le licenciement était envisagé afin de mettre en œuvre le processus d'application des critères d'ordre de licenciement. Enfin, il ressort des termes du procès-verbal de la réunion extraordinaire du CSE du 26 février 2021 à 11 heures que ce dernier a été informé, le 26 février 2021, de l'application par la société des critères de l'ordre des licenciements et des propositions de reclassement transmises aux salariés concernés et nommément désignés, qui disposaient d'un délai de quinze jours pour présenter leur candidature à l'une des propositions de reclassement soumises. En décidant de mettre en œuvre, dès le 11 février 2021, la procédure de licenciement des salariés concernés avant l'expiration du terme du délai légal d'un mois dont disposait le comité social et économique pour rendre son avis, la société ... a méconnu les dispositions du second alinéa de l'article L. 1233-8 du code du travail. M. A... est, par suite, fondé à soutenir qu'en autorisant son licenciement, l'inspectrice du travail a entaché d'illégalité la décision du 20 juillet 2021, confirmée implicitement sur recours hiérarchique par le ministre du travail.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, d'une part, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société ..., partie perdante dans la présente instance, le versement à M. A... d'une somme de 1500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. D'autre part, les dispositions du même article faisant obstacle au versement de frais à la partie perdante, la demande présentée par la société ... sur le même fondement sera rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2102062 du 13 juillet 2022 du tribunal administratif de Caen et la décision du 20 juillet 2021 de l'inspectrice du travail, confirmée implicitement par le ministre du travail, sont annulés.

Article 2 : La société ..., versera à M. A... la somme de 1500 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société ... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société ... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 16 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I.PETTON

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT02979 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02979
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : JAMAIS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;22nt02979 ?
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