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20/02/2024 | FRANCE | N°23NT01863

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 février 2024, 23NT01863


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 9 septembre 2022 par lequel le préfet des Côtes-d'Armor a prononcé son expulsion, ensuite d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge d

e l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispos...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 9 septembre 2022 par lequel le préfet des Côtes-d'Armor a prononcé son expulsion, ensuite d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2205728 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juin 2023, M. A... B..., représenté par Me Vayssières, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 mai 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 9 septembre 2022 du préfet des Côtes-d'Armor prononçant son expulsion ;

3°) d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté du 9 septembre 2022 du préfet des Côtes-d'Armor prononçant son expulsion est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; depuis le 12 juin 2017, il est père d'un enfant français et justifie contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant malgré des difficultés tant physiques qu'économiques ;

- il n'est pas justifié par le préfet que son expulsion du territoire français constituerait une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ou a minima que sa présence constituerait une menace grave à l'ordre public ; il relève de " la petite délinquance " ; la décision d'expulsion est consécutive non pas à la gravité de faits délictuels mais à son silence aux demandes de la préfecture lors du renouvellement de son titre de séjour ainsi qu'à son absence devant la commission d'expulsion qui sont dus au grave accident qu'il a subi ;

- l'arrêté du 9 septembre 2022 du préfet des Côtes-d'Armor prononçant son expulsion méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il vit en France de façon continue depuis 7 ans, est père d'un enfant français qu'il éduque et entretient et sa famille vit régulièrement sur le territoire français ;

- l'arrêté du 9 septembre 2022 du préfet des Côtes-d'Armor prononçant son expulsion méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ; lui et sa fille sont très complices et sa fille est très affectée par la perspective de son expulsion ;

La requête a été communiquée au préfet des Côtes-d'Armor qui n'a pas produit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Après avoir séjourné sur le territoire français entre la fin de l'année 2012 et le début de l'année 2015, M. A... B..., ressortissant tunisien né le 1er juillet 1984 à Souassi (Tunisie), y est de nouveau entré de façon irrégulière en janvier 2016, selon ses déclarations. Il a bénéficié, le 12 mars 2018, d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français, C..., née le 12 juin 2017 à E.... Saisie pour avis, lors de sa séance du 30 juin 2022, la commission départementale d'expulsion, après avoir constaté l'absence de l'intéressé, a prononcé un avis favorable à son expulsion " compte tenu des condamnations prononcées à son encontre et de son absence d'arguments de sa part ou de justificatifs relatifs à sa vie personnelle, de même qu'une démonstration de sa participation à l'éducation et à l'entretien de son enfant ". M. A... B... a, le 9 septembre 2022, fait l'objet d'un arrêté d'expulsion du préfet des Côtes-d'Armor. Il a alors saisi, le 11 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. M. A... B... relève appel du jugement du 2 mai 2023 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté d'expulsion :

2. L'arrêté d'expulsion contesté du 9 septembre 2022 prononcé à l'encontre de M. A... B... est motivé par le fait notamment, d'une part, que " son comportement du fait des nombreuses condamnations dont il a fait l'objet [...] trouble gravement l'ordre public, que l'intéressé montre une absence totale d'intégration du fait de la récidive, de la fréquence des délits et de la durée totale des peines prononcées qui s'élève à 6 ans et 1 mois dont 18 mois avec sursis, que son absence à la commission souligne sa désinvolture à faire valoir ses motivations à se réinsérer dans la société française et à montrer son réel engagement dans l'éducation de son enfant, qu'il ne tient visiblement aucun compte des condamnations persistant dans la délinquance, y compris encore récemment ", et d'autre part, qu'il n'établit pas contribuer à l'entretien de sa fille C... et que la vie commune avec la mère de l'enfant a cessé.

3. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ". Aux termes de l'article L. 631-2 du même code: " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l'article L. 631-3 n'y fasse pas obstacle : / 1° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (...) ". Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une menace grave à l'ordre public pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

4. En premier lieu, M. B... soutient que son comportement, qui a été sanctionné pénalement d'emprisonnement ferme, relève de la petite délinquance et ne peut fonder légalement une mesure d'expulsion du territoire français et qu'il justifie contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant malgré des difficultés tant physiques qu'économiques. Il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, que M. A... B... a été condamné à plusieurs reprises du 3 octobre 2012 au 5 janvier 2021, condamnations comportant de l'emprisonnement ferme pour des faits réitérés notamment, et à deux reprises, de vol en réunion avec violence ayant entrainé une ITT n'excédant pas 8 jours et, à plusieurs reprises, de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, la durée totale des peines prononcées à son encontre s'élevant à 6 ans et 1 mois dont 18 mois avec sursis. Il est constant que les condamnations prononcées n'ont pas modifié son comportement persistant dans la délinquance. Eu égard à la gravité des faits commis par le requérant, à leur réitération, à son absence de remise en cause, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que la présence en France de M. B... constituait une menace grave pour l'ordre public. D'autre part, il est constant que M. A... B... est père d'une enfant française avec laquelle il ne réside plus depuis sa séparation d'avec la mère de l'enfant. Il n'établit pas davantage en appel qu'en première instance qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant depuis au moins un an, en se bornant à produire une attestation de la mère, non circonstanciée dans un premier temps, qui déclarait que " l'intéressé contribue à l'entretien et à l'éducation de son enfant " puis une seconde attestation, établie le 7 juin 2023, indiquant " qu'il lui remettait régulièrement entre la fin de l'année 2021 et la fin de l'année 2022 de l'argent en espèces, achetait des chaussures et des habits, des affaires scolaires pour sa fille ", et le récépissé d'un unique versement de cent euros en avril 2022 durant l'instruction de sa demande de renouvellement de son titre de séjour. A cet égard, le requérant n'établit pas que l'accident dont il a été victime au mois de juin 2021, qui a occasionné une fracture du genou gauche l'aurait privé de ressources, quand bien même il a dû être hospitalisé une dizaine de jours en mars 2022 pour achever de manière intensive la rééducation musculaire qu'il n'effectuait plus par lui-même. Il s'ensuit que M. A... B... n'est pas fondé à se prévaloir de la protection contre une décision d'expulsion prévue à l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rappelée au point 3.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " Il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., célibataire, est séparé de la mère de son enfant et ne réside pas avec son enfant mineur. Ainsi qu'il vient d'être dit au point précédent, il n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien ou l'éducation de cet enfant. Par ailleurs, l'intéressé conserve des attaches familiales dans son pays d'origine où vivent sa mère, sa sœur et l'un de ses frères et où il a résidé la majeure partie de sa vie jusqu'à l'âge de 28 ans. Dans ces conditions, le préfet des Côtes-d'Armor n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris la décision contestée et n'a, dès lors, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions politiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ainsi qu'il a été rappelé au point 4, M. A... B... n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant et en l'absence d'éléments suffisants pour établir l'existence et l'intensité des liens entre le père et l'enfant, avec lequel ainsi qu'il a été rappelé plus haut, M. A... B... ne vit pas, le préfet n'a pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de cet enfant en prenant la décision d'expulsion contestée. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant sera écarté. Pour les motifs, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision d'expulsion serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur les frais d'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... B... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet des Côtes-d'Armor.

Délibéré après l'audience du 2 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT01863 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01863
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : VAYSSIERES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;23nt01863 ?
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