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09/02/2024 | FRANCE | N°23NT02707

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 09 février 2024, 23NT02707


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les décisions des 19 septembre 2022 et 18 octobre 2022 par lesquelles le préfet du Calvados a rejeté sa demande de regroupement familial en faveur de son épouse et de leurs trois enfants vivant en Algérie, d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa demande de regroupement familial dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de prendre une nouvelle décision au terme de

ce délai.



Par un jugement n° 2202046, 2202801 du 17 juillet 2023, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les décisions des 19 septembre 2022 et 18 octobre 2022 par lesquelles le préfet du Calvados a rejeté sa demande de regroupement familial en faveur de son épouse et de leurs trois enfants vivant en Algérie, d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa demande de regroupement familial dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de prendre une nouvelle décision au terme de ce délai.

Par un jugement n° 2202046, 2202801 du 17 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 septembre et 20 novembre 2023,

M. B... A..., représenté par Me Le Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 juillet 2023 ;

2°) d'annuler les décisions des 19 septembre 2022 et 18 octobre 2022 par lesquelles le préfet du Calvados a rejeté sa demande de regroupement familial en faveur de son épouse et de leurs trois enfants vivant en Algérie ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de procéder à un réexamen de sa demande de regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui accorder le bénéfice du regroupement familial ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- les décisions contestées sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et portent une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;

- elle méconnaissent les article 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La procédure a été transmise au préfet du Calvados, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 26 février 1970, réside en France depuis 1999 et dispose d'un certificat de résidence valable jusqu'au 16 janvier 2024. Le 7 octobre 2021, il a déposé auprès de la délégation territoriale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) une demande de regroupement familial pour son épouse et ses trois enfants, nés en 2016 et 2020, qui résident en Algérie. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le préfet du Calvados sur cette demande, à laquelle le préfet du Calvados a toutefois expressément répondu par une décision du 19 septembre 2022 refusant à l'intéressé le regroupement familial qu'il sollicitait. Le juge des référés du tribunal administratif de Caen ayant, par une ordonnance du 6 octobre 2022, ordonné la suspension de l'exécution de cette dernière décision et enjoint à l'administration de procéder au réexamen de la demande de

M. A..., par une décision du 18 octobre 2022, le préfet du Calvados a rejeté de nouveau la demande de regroupement familial. M. A... relève appel du jugement n° 2202046, 2202801 du 17 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 19 septembre 2022 et 18 octobre 2022.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. / (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 434-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorisation d'entrer en France dans le cadre de la procédure du regroupement familial est donnée par l'autorité administrative compétente après vérification des conditions de logement et de ressources par le maire de la commune de résidence de l'étranger ou le maire de la commune où il envisage de s'établir. Le maire, saisi par l'autorité administrative, peut émettre un avis sur la condition mentionnée au 3° de l'article L. 434-7. Cet avis est réputé rendu à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication du dossier par l'autorité administrative ". Aux termes de l'article R. 434-23 du même code : " A l'issue des vérifications sur les ressources et le logement du demandeur du regroupement familial, le maire de la commune où doit résider la famille transmet à l'Office français de l'immigration et de l'intégration le dossier accompagné des résultats de ces vérifications et de son avis motivé. En l'absence de réponse du maire à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication du dossier, cet avis est réputé favorable. ".

4. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 14 de cette même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet du Calvados a opposé à

M. A..., pour lui refuser le bénéfice du regroupement familial, le fait qu'il ne disposait que de ressources mensuelles de 947 euros nets, inférieures au montant minimum fixé pour un foyer composé de cinq personnes. Or M. A... était attributaire, en raison d'un handicap évalué entre 50 % et 80 %, d'une allocation aux adultes handicapés qui lui a été accordée par une décision de la maison départementale des personnes handicapées du Calvados du 28 janvier 2022 avec effet rétroactif au 1er mars 2021, situation dont le préfet ne pouvait pas ne pas tenir compte, pour lui opposer l'insuffisance de ses ressources, sans méconnaître les stipulations combinées de l'article 4 de l'accord franco-algérien et des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, le requérant est fondé à soutenir que les décisions qu'il conteste sont entachées d'illégalité eu égard à l'appréciation par le préfet de ce que ses ressources mensuelles n'étaient pas suffisantes.

6. En deuxième lieu, toutefois, le préfet a également fondé ses décisions de refus sur le motif tiré de la superficie insuffisante de son logement au regard de la composition de sa famille. Il ressort sur ce point des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, M. A... résidait à Hérouville-Saint-Clair dans un logement d'une superficie de 19 m2 habitable (et de 46 m2 de surface corrigée) selon le contrat de bail qu'il fournit, logement qui ne peut, du fait de cette superficie, être considéré comme normal pour une famille composée d'un couple et trois enfants. Si le requérant se prévaut d'un courrier de son bailleur social du 2 juin 2022 indiquant, en réponse à sa demande, que " votre catégorie de foyer et vos ressources ne peuvent pas nous permettre de vous faire une proposition d'un logement plus grand qu'un T2 " et que " Dans la situation où votre demande de regroupement familial serait acceptée ou que vos ressources évoluent, je vous invite à nous le faire savoir pour une nouvelle étude de votre dossier ", cette correspondance ne permet pas d'établir qu'il disposera, à la date d'arrivée de sa famille, d'un logement considéré comme normal au sens de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Le motif tiré de la superficie insuffisante du logement de M. A..., ainsi retenu par le préfet du Calvados à bon droit conformément à l'avis des services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), était suffisant pour justifier à lui seul les décisions de refus litigieuses et il résulte de l'instruction que l'autorité administrative aurait pris ces décisions si elle ne s'était pas fondée sur leur autre motif, retenu à tort ainsi qu'il a été dit ci-dessus.

7. En troisième lieu, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande même dans le cas où l'étranger demandeur du regroupement ne justifierait pas remplir l'une des conditions requises tenant aux ressources, au logement ou à la présence anticipée d'un membre de la famille sur le territoire français, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Si M. A... se prévaut d'une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale que lui porteraient les décisions litigieuses, il est constant que, ayant choisi de résider en France depuis de nombreuses années, il vit séparé de sa femme, qu'il a épousée en 2015, et de ses enfants, tous domiciliés en Algérie. Il ne justifie pas par les pièces qu'il produit de l'intensité des liens qu'il entretient avec son épouse, restée en Algérie depuis leur union le 9 septembre 2015, et leurs trois enfants, malgré les justificatifs de voyage vers l'Algérie qu'il fournit. S'il ressort des pièces du dossier que M. A..., âgé de cinquante-trois ans, est atteint de la maladie de Parkinson, diagnostiquée en 2005, dont l'évolution ces dernières années a entraîné de fortes difficultés motrices et une perte d'autonomie pour l'ensemble des activités de la vie quotidienne et s'il produit plusieurs certificats médicaux attestant de la nécessité de la présence régulière et quotidienne d'une tierce personne à ses côtés, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que l'aide dont il a besoin ne pourrait lui être apportée que par son épouse ni que M. A... lui-même ne pourrait rejoindre celle-ci en Algérie, pays dont ils ont tous les deux la nationalité. Si le requérant fait état d'une aggravation de son état de santé neurologique à la suite de son retour en France après son dernier séjour en Algérie auprès de sa famille, le compte-rendu de consultation établi le 30 mars 2023 par un médecin généraliste du centre hospitalier universitaire de Rouen ne permet pas d'établir un lien entre l'aggravation récente de son état de santé qu'il décrit et l'éloignement de son entourage familial proche. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être considéré qu'en refusant d'autoriser le regroupement familial sollicité par M. A..., le préfet du Calvados aurait porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des objectifs au vu desquels a été prise cette décision, ou entaché celle-ci d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du préfet du Calvados lui refusant le regroupement familial pour son épouse et ses trois enfants.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction dont elles sont assorties ne sauraient être accueillies.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par l'avocat de M. A... ne peuvent, par suite, être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et

des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- M. Catroux, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02707


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02707
Date de la décision : 09/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-09;23nt02707 ?
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