Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 28 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert vers l'Italie.
Par un jugement n° 2310031 du 4 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2023 et un mémoire enregistré le 10 janvier 2024 qui n'a pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Arnal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes du 4 août 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 juin 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et en tout état de cause de lui remettre une attestation de demande d'asile prévue à l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision contestée est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- le préfet de Maine-et-Loire a méconnu le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- et les observations de Me Arnal pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant ivoirien né en 1977, a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de l'Essonne qui ont enregistré sa demande le 17 avril 2023. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait franchi irrégulièrement la frontière italienne moins de douze mois auparavant et que ses empreintes digitales avaient été enregistrées dans le fichier Eurodac en Italie le 24 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire a sollicité, le 20 avril 2023, sa reprise en charge par les autorités italiennes, avant qu'un accord soit donné le 22 juin 2023. Par un arrêté du 28 juin 2023, dont M. A... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 4 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal a rejeté sa demande. M. A... fait appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités italiennes :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".
3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 3.
4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
5. Dans son arrêté contesté du 28 juin 2023, le préfet de Maine-et-Loire a relevé que les autorités italiennes, saisies d'une demande de prise en charge de M. A... en application du règlement du 26 juin 2013, le 20 avril 2023, et ayant donné leur accord, devaient être regardées comme étant responsables de l'examen de sa demande d'asile et que l'intéressé n'établissait pas " de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile ".
6. Toutefois, indépendamment des considérations liées à la situation sanitaire du pays, le requérant se prévaut d'une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En se prévalant de la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, le requérant apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées. Le préfet de Maine-et-Loire n'établit pas que la situation de fait aurait évolué de manière significative et que l'indisponibilité des installations d'accueil invoquée par l'Italie avait cessé à la date du 28 juin 2023 à laquelle il a décidé le transfert de M. A... vers ce pays. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré par le requérant de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
9. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de M. A... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2. de l'article 3 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à M. A..., ainsi qu'il le demande, une attestation de demande d'asile en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 précité du règlement, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de 1 000 euros, à verser à Me Arnal, avocate du requérant. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'elle perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressé.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2310031 du 4 août 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 28 juin 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de M. A... aux autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Arnal en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... A..., à Me Arnal et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Derlange, président,
- Mme Picquet, première conseillère,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2024.
La rapporteure
P. PICQUET
Le président
S. DERLANGELe greffier
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02753