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26/01/2024 | FRANCE | N°23NT02987

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 26 janvier 2024, 23NT02987


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure

Mme A... G... H... et M. F... E..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentant légaux de leur fils ..., ont demandé au juge des référés d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'une part, une expertise médicale adaptée aux lésions cérébrales lourdes de ... et obéissant à la méthodologie préconisée par le rapport Vieux, et, d'autre part, une expertise portant sur les frais de logement adapté rendus nécessaires par le

handicap que présente ... à la suite de sa prise en charge au centre hospitalier de Fal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... G... H... et M. F... E..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentant légaux de leur fils ..., ont demandé au juge des référés d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'une part, une expertise médicale adaptée aux lésions cérébrales lourdes de ... et obéissant à la méthodologie préconisée par le rapport Vieux, et, d'autre part, une expertise portant sur les frais de logement adapté rendus nécessaires par le handicap que présente ... à la suite de sa prise en charge au centre hospitalier de Falaise.

Par une ordonnance n°2301094 du 22 septembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Caen n'a fait que partiellement droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 9 octobre et 30 novembre 2023,

Mme A... G... H... et M. F... E..., représentés par Me Soublin, demandent à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle rejette leur demande d'expertise médicale et leur demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) d'ordonner la désignation d'un expert médecin ou d'un collège d'experts, en leur prescrivant la mission " Vieux ", ou, très subsidiairement, d'ordonner une expertise répondant à une mission classique d'évaluation du dommage corporel selon la nomenclature Dintilhac, à l'exclusion des postes de préjudices permanents, l'enfant n'étant pas consolidé ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Falaise le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la circonstance que les premiers experts n'ont pas fait référence à la mission " Vieux " ne prive pas d'utilité la mesure d'instruction sollicitée, alors en outre qu'une telle mission est particulièrement adaptée à l'évaluation des préjudices découlant de lésions cérébrales lourdes comme celles de ..., résultant d'une anoxie cérébrale, et qu'une mission classique ne permettrait pas une évaluation fidèle et fiable de la situation de cet enfant ;

- c'est à tort que le juge des référés, pour rejeter leur requête, s'est fondé sur la circonstance que, même en l'absence de consolidation, les conséquences de l'état de santé de ... pouvaient être mises à la charge de l'hôpital responsable, les premiers experts ayant reconnu au contraire le caractère justifié d'une expertise intermédiaire au bout de six ans, bien que la consolidation ne puisse être acquise qu'à l'âge de 18 ans, et l'âge de l'enfant étant susceptible de justifier une réévaluation de ses besoins ;

- la circonstance que le juge du fond pourrait être saisi est sans incidence sur la possibilité du prononcé d'une mesure d'instruction sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, puisque la perspective d'un litige au principal participe de l'appréciation de l'utilité de cette mesure ;

- il est inexact de soutenir, comme le font l'hôpital et son assureur, que la cour a définitivement indemnisé les frais liés au handicap, les frais de déplacement, les frais de véhicule adapté et ce jusqu'à la majorité de ....

Par des mémoires en défense enregistrés les 24 octobre et 6 décembre 2023, le centre hospitalier de Falaise et son assureur, la société Relyens Mutual Insurance, représentés par

Me Le Prado, demandent à la cour de rejeter la requête de Mme G... H... et de

M. E....

Ils font valoir que :

- la condition d'utilité requise pour qu'une expertise soit ordonnée n'est pas satisfaite, compte tenu de l'expertise déjà réalisée en 2013, eu égard aux indemnisations déjà prononcées de manière définitive par la cour dans son arrêt du 17 juillet 2020, et en l'absence de démonstration d'une aggravation des préjudices de ... ;

- le courrier d'un ergothérapeute conseil rémunéré par les requérants ne saurait justifier médicalement l'expertise sollicitée.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Soublin, représentant Mme G... H... et M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme G... H... a été prise en charge le 15 décembre 2009 par la maternité du centre hospitalier de Falaise. Elle a donné naissance, le 16 décembre, après une césarienne réalisée en urgence, à un garçon, ... qui, ayant souffert d'une anoxie sévère en période périnatale, a été pris en charge immédiatement par un pédiatre puis transféré au service de néonatalogie de Caen à la suite de crises de convulsions. Une IRM réalisée dès les premiers jours a mis en évidence des lésions très sévères du cerveau. Après une expertise judiciaire réalisée en 2013 alors que le jeune B... était âgé de presque quatre ans, dont le rapport a été déposé le 14 janvier 2014, le tribunal administratif de Caen, saisi d'une demande indemnitaire des parents de cet enfant, a reconnu, par un jugement du 13 avril 2018, la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Falaise et condamné celui-ci à réparer les préjudices invoqués par les requérants. Par un arrêt nos 18NT02285, 18NT02316, 18NT02318 du 17 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a porté le montant de la somme que le centre hospitalier de Falaise a été condamné par le tribunal administratif de Caen à verser à M. E... et Mme G... H..., en leur qualité de représentants légaux du jeune B... E..., de 260 121,90 euros à 400 515,54 euros. Elle a également condamné l'établissement à leur verser, outre une rente annuelle de 2 360 euros, une rente au titre des frais d'assistance de ce dernier par tierce personne. Elle a enfin condamné solidairement la SHAM avec le centre hospitalier au versement de ces indemnités et rentes et a rejeté les requêtes de la CPAM de l'Orne et de la SHAM ainsi que les autres conclusions présentées devant elle par le centre hospitalier de Falaise, les consorts E... et la CPAM de l'Orne. Ultérieurement, par une requête enregistrée le 28 avril 2023, Mme G... H... et M. E... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à ce qu'il ordonne, d'une part, une expertise médicale adaptée aux lésions cérébrales lourdes de ... et obéissant à la méthodologie préconisée par le rapport Vieux, et, d'autre part, une expertise portant sur les frais de logement adapté rendus nécessaires par le handicap que présente (ANO)...(.ANO). Ils relèvent appel de l'ordonnance du 22 septembre 2023 par laquelle le juge des référés a refusé de faire droit à leur demande tendant à ce que soit ordonné une expertise médicale complémentaire adaptée aux lésions cérébrales lourdes de ... et obéissant à la méthodologie préconisée par le rapport Vieux.

Sur la demande d'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ".

3. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.

4. Si le Dr D..., gynécologue-obstétricien, et le Pr C..., chef du service de réanimation et pédiatrie néonatale au CHU de Rouen, ont indiqué dans leur rapport d'expertise clos en 2013, alors que ... E... n'était âgé que d'un peu moins de quatre ans, que l'état de santé de l'enfant pourra être regardé comme consolidé à sa majorité, ils ont également mentionné qu'" une évaluation médico-légale intermédiaire est justifiée dans six ans pour apprécier l'état neurologique et les besoins à un moment où l'expression des lésions sera fixée ". Il résulte de l'instruction et notamment des comptes rendus de consultation d'appareillage de juin 2020 et septembre 2021 que le jeune B..., atteint d'une quadriparésie spastique en rapport avec l'anoxie qu'il a subie à la naissance, a besoin d'un corset-siège et d'attelles adaptées, qu'il est porteur d'orthèses et utilise un fauteuil roulant manuel alors qu'un équipement doté d'une assistance électrique serait justifié compte tenu de l'environnement familial, et que l'adaptation de son couchage est nécessaire afin de permettre une abduction nocturne. En outre, dans une attestation précise et motivée du 28 novembre 2023, l'ergothérapeute spécialisée dans la réparation du préjudice corporel qui suit l'enfant indique que le matériel actuellement à la disposition de ... nécessite d'être revu s'agissant notamment du véhicule permettant les déplacements, du matériel de communication, du matériel sensoriel, ainsi que du matériel d'aide destiné aux tiers aidants. Enfin, ce document, dont il doit être tenu compte bien qu'il n'ait pas été établi par un médecin, précise aussi que les besoins en aide humaine du jeune B... se sont considérablement accrus et que le préjudice esthétique dont il souffre doit être revu dès lors que " ..., actuellement âgé de 13 ans, est atteint d'un handicap visible lourd ". Il est ainsi mis en évidence, sinon une aggravation médicalement documentée de l'état de santé de ..., du moins l'utilité d'une réévaluation de ses besoins et préjudices désormais âgé de 14 ans.

5. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le tribunal a rejeté leur demande. S'il ne peut être fait droit à leurs conclusions, irrecevables car relatives à la mise en œuvre d'un pouvoir propre du juge, tendant à ce que soit ordonnée une expertise suivant précisément la méthodologie du rapport Vieux établi le 24 avril 2002 par le groupe de travail sur les traumatisés crâniens, il y a lieu d'ordonner une expertise complémentaire aux fins précisées ci-après à l'article 2 du dispositif du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de Mme G... H... et M. E... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1 : L'ordonnance n° 2301094 du juge des référés du tribunal administratif de Caen est annulée.

Article 2 : Afin d'apprécier l'évolution des besoins et préjudices de ... E... depuis l'expertise réalisée en 2013, il sera procédé à une expertise contradictoire complémentaire entre les parties, confiée à un collège de deux experts composé d'un médecin spécialiste en neurologie et rééducation fonctionnelle et d'un ergothérapeute, qui seront désignés par le président de la cour et qui auront pour mission, sur la base des pièces du dossier et notamment du précédent rapport d'expertise et après avoir pris connaissance de l'entier dossier médical de ... E... et des éléments relatifs à sa prise en charge :

- de décrire la nature et l'étendue des séquelles dont ... E... reste atteint, de rechercher et de quantifier tous les éléments de préjudice pouvant être regardés comme imputables aux manquements commis par le centre hospitalier de Falaise : déficit fonctionnel, préjudice d'agrément, douleurs endurées, préjudice esthétique, préjudice moral, préjudice scolaire ;

- d'analyser et d'évaluer, en rapport avec ce qui est attendu d'un enfant de son âge, les troubles des fonctions physiques, sensorielles, cognitives comportementales ou psychiques affectant ... E... en lien avec l'anoxie qu'il a subie à sa naissance, ainsi que leur incidence sur son développement, ses facultés d'apprentissage et d'insertion scolaire et sociale, et sur les actes élémentaires ou élaborés de sa vie quotidienne et son comportement ;

- de préciser et de quantifier les dépenses de santé, besoins en appareillages et aides techniques, aménagement des locaux d'habitation, besoins en adaptation du véhicule et assistance par une tierce personne, spécialisée ou non spécialisée, rendus nécessaires par l'état de santé de l'enfant, en tenant compte des différentes modalités possibles ou nécessaires de prise en charge (familiale ou en établissement spécialisé) ;

- de décrire les conditions d'hébergement et de scolarisation de ... E..., ainsi que ses activités extra-scolaires et de loisir, et les répercussions sur celles-ci des séquelles de l'anoxie subie à la naissance ;

- de fournir à la cour, de manière générale, tous éléments susceptibles de lui permettre d'apprécier les préjudices de Mme G... H..., de M. F... E..., et de leur enfant.

Article 3 : Les experts accompliront la mission définie à l'article 2 dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Ils pourront, au besoin, se faire assister par un sapiteur préalablement désigné par le président de la cour.

Article 4 : Les frais et honoraires dus aux experts seront taxés ultérieurement par le président de la cour conformément aux dispositions de l'article R. 621-13 du code de justice administrative.

Article 5 : Les experts déposeront leur rapport au greffe en deux exemplaires, accompagné de l'état de leurs vacations, frais et débours. Ils en notifieront copie aux personnes intéressées, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord desdites parties, à laquelle ils joindront copie de l'état de leurs vacations, frais et débours.

Article 6 : Les conclusions de Mme G... H... et M. E... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... G... H..., à M. F... E..., au centre hospitalier de Falaise, à la société Relyens Mutual Insurance et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02987


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02987
Date de la décision : 26/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL AUGER VIELPEAU LE COUSTUMER - MEDEAS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-26;23nt02987 ?
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