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23/01/2024 | FRANCE | N°22NT02040

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 23 janvier 2024, 22NT02040


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 15 mars 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour les infirmités " insuffisance hypophysaire " et " syndrome subjectif post traumatique dans un contexte de blast ".



Par un jugement n° 1905904 du 16 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :>


Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juin 2022, 21 mars 2023 et 2 mai 2023, M. D..., ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 15 mars 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour les infirmités " insuffisance hypophysaire " et " syndrome subjectif post traumatique dans un contexte de blast ".

Par un jugement n° 1905904 du 16 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juin 2022, 21 mars 2023 et 2 mai 2023, M. D..., représenté par Me Uzan-Kauffmann, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 mai 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 15 mars 2019 ;

3°) d'ordonner une expertise judiciaire confiée d'une part à un neurologue, d'autre part à un endocrinologue, aux fins de déterminer le taux d'invalidité des deux infirmités dont il est atteint ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Il soutient que :

- le tribunal administratif a statué ultra petita en rejetant au fond sa demande tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée avant-dire droit ;

- il présentait à la date de sa demande un certain nombre de symptômes liés à des troubles hypophysaires nécessitant une expertise médicale ; que la circonstance que le traitement médicamenteux qu'il suit réduise ou supprime ces symptômes est sans incidence sur ses droits à pension ;

- il est atteint d'un " syndrome subjectif des traumatisés crâniens " ou " manifestations post-commotionnels cérébrales graves " se traduisant par d'importants troubles neurosensoriels et une atteinte des fonctions supérieures, lui ouvrant droit au statut de grands mutilés et à une pension militaire d'invalidité au taux de 40 % ; ces symptômes doivent être examinés dans leur ensemble et non de façon isolée, de sorte que le seuil de 10 % indemnisable et la circonstance qu'il bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour certains de ses troubles ne peuvent lui être opposés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 février et 17 avril le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Le mémoire produit le 25 mai 2023 par le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., premier-maître dans la marine nationale né en 1971, a été victime, le 17 janvier 2015, de blessures graves à la suite de l'explosion d'un véhicule " suicide " alors qu'il se trouvait en opération extérieure au A.... Par une décision du 1er juillet 2015, certaines des séquelles qu'il conserve de cet accident ont été qualifiées de " blessures de guerre ". Une pension militaire d'invalidité lui a été accordée à compter du 14 septembre 2015 au taux global de 55 % au titre des infirmités suivantes : " état de stress post-traumatique [ESPT]: reviviscences avec cauchemars, syndrome anxiodépressif, troubles du caractère, anhédonie, hypervigilance, apragmatisme, repli sur soi, baisse de libido " et " acouphènes permanents avec hypoacousie et difficultés d'endormissement ". Ce taux a été majoré par un arrêté du 12 octobre 2020. Le 12 avril 2017, l'intéressé a présenté une demande de pension militaire d'invalidité pour deux nouvelles infirmités : " insuffisance hypophysaire " et " syndrome subjectif post-traumatique dans un contexte de blast ". Par une décision du 15 mars 2019 sa demande a été rejetée. M. D..., qui a saisi le tribunal des pensions militaires d'invalidité, alors compétent, le 18 septembre 2019, soit avant l'expiration du délai de recours prévu à l'article R 731-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, relève appel du jugement du 16 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur l'infirmité " insuffisance hypophysaire " :

2. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général. ". Par ailleurs l'article L. 151-6 du même code dispose que : " La décision comportant attribution de pension est motivée. Elle fait ressortir les faits et documents ou les raisons d'ordre médical établissant que l'infirmité provient de l'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ou, lorsque la pension est attribuée par présomption, le droit de l'intéressé à cette présomption. / Elle est accompagnée en outre, d'une évaluation de l'invalidité qui doit être motivée par des raisons médicales et comporter le diagnostic de l'infirmité et sa description complète, faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte à l'état général qui justifie le pourcentage attribué. "

3. Aux termes du guide barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, l'insuffisance surrénale sans mélanodermie " se caractérise par l'asthénie, la fatigabilité musculaire, l'hypotension artérielle susceptible d'augmentation par la moindre toxi-infection. Elle diminue considérablement la résistance du malade et doit entraîner une invalidité par palier ". Il est également indiqué que cette insuffisance peut justifier une pension calculée sur la base d'un taux d'invalidité compris entre 20 et 100 %.

4. Il résulte de l'instruction que le 17 mars 2017, le docteure C..., du service d'endocrinologie du centre hospitalier de G..., a confirmé que, depuis le mois de novembre 2016, M. D... présentait un déficit corticotrope et un déficit somatotrope partiel. Elle ajoute que ce patient avait contracté une méningite virale au cours du mois de décembre 2016 et qu'il conservait une fatigabilité physique et psychique en dépit du fait que l'examen d'imagerie médicale qu'il avait subi ne révélait aucune anormalité. Elle relevait cependant que selon son dernier bilan biologique, la cortisolémie en base restait basse. Le 14 septembre 2017, le docteur F..., qui a examiné M. D... en qualité d'expert, a constaté que l'intéressé suivait un traitement médicamenteux par hydrocortisone, qu'il pouvait majorer en cas de stress notamment. Ce médecin indiquait que le patient, pensionné par ailleurs pour un état de stress post-traumatique se plaignait notamment de céphalées, de troubles visuels, digestifs et de troubles du sommeil. Les examens et analyses pratiqués étaient cependant qualifiés de " normaux ". Cet expert rappelait que l'insuffisance hypophysaire corticotrope ne donne en effet pas d'autres symptômes qu'une asthénie et que la substitution thérapeutique administrée à M. D... suffisait à le supplémenter. Il soulignait toutefois, en conclusions, que le diagnostic d'insuffisance ante hypophysaire corticotrope n'était pas suffisamment établi et qu'il méritait " un complément d'investigations endocrinologiques ". Il ajoutait que compte tenu du " doute diagnostique ", un taux d'invalidité ne pouvait être proposé. Le 14 juin 2018, le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité a, quant à lui, rappelé que l'origine du déficit en hormone hypophysaire présenté par cet ancien militaire avait une origine indéterminée et que la relation médicale avec le blast qu'il avait subi en 2015 au A... n'était pas certaine. Il ajoutait que, compte tenu du traitement substitutif suivi par M. D..., ce dernier ne présente aucun symptôme et que son taux d'invalidité était inférieur aux 10 % susceptible d'ouvrir droit pour l'intéressé à une nouvelle pension militaire d'invalidité.

5. Il ressort de l'ensemble des éléments médicaux rappelés au point 4 que M. D... souffre depuis la fin de l'année 2016 d'une insuffisance hypophysaire nécessitant la prise d'un traitement médicamenteux. Le requérant se plaint d'une grande fatigue et d'une fragilité l'exposant à des infections lui occasionnant une gêne fonctionnelle et une dégradation de son état général. Il est toutefois constant qu'aucune expertise médicale ne s'est prononcée ni sur l'origine de cette pathologie et son lien éventuel avec l'accident dont il a été victime alors qu'il se trouvait en mission au A..., ni sur le taux d'invalidité en résultant pour l'intéressé. Par suite, le requérant est fondé à solliciter, avant dire droit, la désignation d'un médecin expert afin que celui-ci se prononce sur ces différents points. La seule circonstance que le traitement administré à ce patient réduise totalement ou même fortement ses symptômes ne fait pas obstacle à ce que cette nouvelle infirmité soit pensionnée si le taux d'invalidité en résultant atteint au moins 10 %, seuil ouvrant droit pour l'intéressé à une nouvelle pension militaire d'invalidité.

Sur l'infirmité " syndrome subjectif post-traumatique dans un contexte de blast ":

6. Aux termes du guide barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le syndrome subjectif post traumatique proprement dit [se caractérise par des] céphalées ou sensations céphaliques très variées - étourdissements et impression d'instabilité, parfois de caractère vertigineux - troubles visuels et auditifs. Il s'y rattache souvent des symptômes évoquant plus précisément un pôle psychologique tels que : asthénie physique et psychique, troubles sexuels, insomnie, troubles de la concentration intellectuelle, aspects dépressifs souvent marqués, plaintes hypocondriaques, modifications du caractère (irritabilité, agressivité), labilité émotionnelle, éléments de dépersonnalisation avec angoisse. "

7. Il résulte de l'instruction que le 24 juin 2015, la médecin en chef du service ORL de l'hôpital interarmées de B... a constaté que M. D... se plaignait d'acouphènes permanents, avec des céphalées liées notamment à l'hyperacousie douloureuse dont il souffre. Ce médecin fait état de séquelles neurosensorielles à type d'hypoacousie, acouphènes et hyperacousie douloureuse très invalidante. Dans un compte-rendu du 13 septembre 2016, elle évoque un syndrome post commotionnel, en ajoutant qu'il est bien évident qu'un corps soumis à une explosion de cette puissance et projeté dans l'espace occasionne des dégâts non négligeables au niveau cérébral. Le rapport circonstancié rédigé le 18 novembre 2015 par le médecin chef du centre hospitalier interarmées de B... indique que l'intéressé présente plusieurs lésions évolutives parfois d'apparition tardive, pouvant être considérées comme secondaire au blast et notamment une baisse de l'audition, des vertiges, des troubles visuels dans un contexte de choc psychologique traumatisant. Les différents certificats médicaux produits par le requérant attestent qu'il se plaint depuis plusieurs années de troubles attentionnels, mnésiques, d'une fatigabilité et de migraines et qu'au mois de décembre 2016 il a souffert d'une méningite virale. Dans le cadre de l'expertise réalisées le 2 octobre 2017, l'experte neurologue, rappelle les doléances de M. D..., parmi lesquelles elle mentionne des troubles visuels, des vertiges, des sensations de baisse de force, mais indique que si " la symptomatologie est compatible en première hypothèse avec un syndrome subjectif post-traumatique ", ces différents symptômes ont déjà été pris en compte et indemnisés au titre de l'infirmité " ESPT " pensionnée sur la base d'un taux d'invalidité de 40 %, porté ensuite à 50 %. Dans son avis du 14 juin 2018, le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité reprend cette conclusion en ajoutant que " les céphalées ne font pas parti du tableau clinique étant pourtant le symptôme majeur du syndrome subjectif ". Il en déduit que cette infirmité est " inexistante ". S'il n'est pas contesté que M. D... est déjà pensionné au titre des infirmités : " état de stress post-traumatique " et " acouphènes permanents avec hypoacousie et difficultés d'endormissement ", l'intéressé n'a cessé de se plaindre de maux de tête et évoque par ailleurs plusieurs autres symptômes susceptibles de confirmer l'existence d'une pathologie distincte de celles déjà prises en compte pour le calcul de sa pension militaire d'invalidité. Il s'ensuit, que l'intéressé est fondé à solliciter que soit ordonnée, avant dire-droit, une nouvelle expertise, aux fins de déterminer s'il souffre d'un " syndrome subjectif post traumatique " distinct de l'ESPT et des acouphènes qu'il présente, si son accident de 2015 est à l'origine de cette pathologie, et de déterminer le taux d'invalidité qui en résulte.

8. Compte tenu du lien possible entre ces deux nouvelles pathologies et l'accident dont M. D... a été victime alors qu'il était en opération extérieure au A..., l'intéressé est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'expertise. Il y a lieu, dès lors, avant de statuer sur la requête visée ci-dessus, d'ordonner une expertise médicale dans les conditions mentionnées ci-dessous.

DÉCIDE :

Article 1er : Il sera procédé, avant dire droit, à une expertise médicale contradictoire entre les parties.

Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il pourra solliciter la désignation d'un sapiteur et accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 3 : L'expert aura pour mission de :

- prendre connaissance du dossier administratif et médical complet de M. D..., en ce qui concerne les deux pathologies en litige, se faire communiquer tout document utile auprès de tout tiers détenteur et entendre tout sachant ;

- d'examiner l'intéressé, décrire son état de santé actuel ;

- déterminer l'origine des symptômes susceptibles de se rattacher, d'une part, à une " insuffisance hypophysaire " et, d'autre part, à un " syndrome subjectif post-traumatique dans un contexte de Blast " et leurs possibles relations avec l'accident dont M. D... a été victime le 17 janvier 2015 ;

- dire si ces symptômes relèvent des infirmités " état de stress post-traumatique : reviviscences avec cauchemars, syndrome anxiodépressif, troubles du caractère, anhédonie, hypervigilance, apragmatisme, repli sur soi, baisse de libido " et " acouphènes permanents avec hypoacousie et difficultés d'endormissement " déjà pensionnées ou s'ils constituent deux nouvelles infirmités distinctes susceptibles d'ouvrir droit à une nouvelle pension militaire d'invalidité ;

- évaluer le taux d'invalidité de M. D... imputable à chacune de ces deux infirmités ;

- de façon générale, donner tous autres éléments d'information nécessaires.

Article 4 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour en deux exemplaires et l'expert en notifiera des copies aux parties, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord des parties.

Article 5 : L'experts appréciera, l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport.

Article 6 : Les frais et honoraires d'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.

Article 7 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 janvier 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02040
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : UZAN-KAUFFMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;22nt02040 ?
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