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27/10/2023 | FRANCE | N°22NT02483

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 27 octobre 2023, 22NT02483


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du préfet de la Manche retirant les aides agro-environnementales et climatiques (MAEC) dues au titre du contrat d'engagement conclu le 23 octobre 2017, la décision de l'Agence de services et de paiement (ASP) procédant à la récupération et à la retenue de ces aides, la décision du président de la région Normandie du 13 mars 2020 portant refus de régularisation de sa situation ainsi que les pénalités infligées au titre de

s campagnes 2017 et, le cas échéant, 2018.

Par un jugement n° 2001173 du 3 ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du préfet de la Manche retirant les aides agro-environnementales et climatiques (MAEC) dues au titre du contrat d'engagement conclu le 23 octobre 2017, la décision de l'Agence de services et de paiement (ASP) procédant à la récupération et à la retenue de ces aides, la décision du président de la région Normandie du 13 mars 2020 portant refus de régularisation de sa situation ainsi que les pénalités infligées au titre des campagnes 2017 et, le cas échéant, 2018.

Par un jugement n° 2001173 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du préfet de la Manche retirant les aides MAEC dues au titre du contrat d'engagement conclu le 23 octobre 2017 et la décision de l'ASP procédant à la récupération et à la retenue de ces aides et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour d'annuler ce jugement du 3 juin 2022 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a annulé la décision par laquelle le préfet de la Manche a retiré les MAEC dues au titre du contrat d'engagement du 23 octobre 2017, en tant qu'il a enjoint au préfet de réexaminer la demande de Mme B... et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter la demande de Mme B... d'annulation de la décision du préfet de la Manche devant ce tribunal.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision du préfet de la Manche retirant les MAEC au titre du contrat d'engagement du 23 décembre 2017, dès lors que cette décision relève de la compétence du président de la Région Normandie en application de l'article 78 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2017 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles et du 5.1. de la convention modifiée relative à la mise en œuvre des dispositions du règlement (UE) n°1305/2013 du 17 décembre 2013 concernant la politique de développement rural dans la région Basse-Normandie.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Chevalier, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat, ou, le cas échéant, de l'ASP et de la Région Normandie, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions de la requête, à fin d'annulation des articles 1er, 2, 3, 5 et 6 du jugement attaqué sont irrecevables, dès lors que cette requête n'énonce aucun moyen en méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- elle s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant de la détermination de l'autorité compétente pour prendre la décision de retrait en litige et de la personne à la charge de laquelle les frais exposés en première instance et non compris dans les dépens devaient être mis.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 novembre 2022, la Région Normandie, représentée par Me Pintat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement UE n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement UE n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Chevalier, représentant Mme B... et de Me Estene, représentant la Région Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., éleveuse d'agneaux d'herbage à Regnéville-sur-Mer (Manche), s'est engagée en 2015 dans le cadre d'une mesure agro-environnementale et climatique " MAEC BN_BOCS_SPE3 Système polyculture élevage (niveau 3) ". À l'issue de l'instruction de cette demande d'engagement déposée le 15 juin 2015, la région Normandie et le préfet de la Manche se sont engagés dans cette mesure, par une décision du 23 octobre 2017, pour une durée de 5 ans avec effet au 15 juin 2015. Une réduction financière a toutefois été appliquée aux aides dues à ce titre au motif que les surfaces de luzerne déclarées ne pouvaient être prises en compte au titre des surfaces en herbe à engager dans le cadre de la mesure. Les montants déjà versés au titre des MAEC pour les campagnes 2016 et 2017 sous la forme d'avances de trésorerie et d'acompte ont alors fait l'objet d'une récupération sur les aides de la politique agricole commune dues à la société au titre des campagnes 2018 et 2019 et une pénalité d'un montant de 6 104,14 euros a été infligée à Mme B... par l'Agence de services et de paiement (ASP) au titre de la campagne 2017. Par un courrier du 20 novembre 2019, l'intéressé a alors sollicité du président de la Région Normandie le reversement de l'aide en cause et l'annulation de la pénalité infligée. Par une décision du 13 mars 2020, le président de la Région Normandie a rejeté cette demande.

Mme A... B... a alors demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Manche a retiré les aides MAEC accordées en application du contrat d'engagement du 23 octobre 2017, la décision de l'ASP procédant à la récupération et à la retenue de ces aides, la décision du 13 mars 2020 du président de la région Normandie portant refus de régularisation de sa situation, ainsi que les pénalités infligées au titre des campagnes 2017 et, le cas échéant, 2018. A la suite de l'entrée en vigueur du décret n°2020-633 du 26 mai 2020, qui a modifié et assoupli le régime de sanction applicable, en cas d'anomalies, aux agriculteurs bénéficiaires d'aides agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et d'aides à l'agriculture biologique, Mme B... a bénéficié d'une régularisation partielle de sa situation au regard de l'aide en litige et les sommes dues au titre des campagnes 2017 et 2018 ont été partiellement restituées et la pénalité infligée à l'intéressée a été retirée. Par un jugement du

3 juin 2022, dont le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel, en tant qu'il a annulé la décision contestée du préfet de la Manche, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du préfet de la Manche retirant les aides MAEC dues au titre du contrat d'engagement conclu le 23 octobre 2017 et la décision de l'ASP procédant à la récupération et à la retenue de ces aides et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Sur la fin de non-recevoir opposée par Mme B... à la requête :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ". Aux termes de l'article R. 421-1 du même code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". Aux termes de l'article R. 811-2 du même code : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-13 du même code : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV ".

3. Il résulte des dispositions combinées des articles R. 411-1, R. 811-2 et R. 811-13 du code de justice administrative que les conclusions d'appel doivent être motivées avant l'expiration du délai d'appel.

4. Dans sa requête enregistrée le 29 juillet 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire soutient, en s'appuyant sur les considérations de droit et de fait détaillées, que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a annulé la décision de retrait de l'aide MAEC a été prise par le préfet de la Manche, dès lors que cette décision relève de la compétence du président de la Région Normandie. Sa requête comporte ainsi l'énoncé d'un moyen et, la fin de non-recevoir opposée en défense ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article 66 du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural : " 1. L'autorité de gestion est responsable de la gestion et de la mise en œuvre efficaces, effectives et correctes du programme (...). 2. L'État membre ou l'autorité de gestion peut désigner un ou plusieurs organismes intermédiaires, y compris des autorités locales, des organismes de développement régional ou des organisations non gouvernementales, pour assurer la gestion et la mise en œuvre des opérations de développement rural. / Lorsqu'une partie de ses tâches est déléguée à un autre organisme, l'autorité de gestion conserve l'entière responsabilité de leur gestion et de leur mise en œuvre qui doivent être efficaces et correctes. ". En application de ces dispositions communautaires, l'article 78 de la loi du 27 janvier 2014 dispose que : " I. - Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, pour la période 2014-2020 : / 1° L'État confie aux régions ou, le cas échéant, pour des programmes opérationnels interrégionaux, à des groupements d'intérêt public mis en place par plusieurs régions, à leur demande, tout ou partie de la gestion des programmes européens soit en qualité d'autorité de gestion, soit par délégation de gestion. / (...) / VI. - Dans le cas où l'instruction des dossiers de demandes d'aides du Fonds européen agricole pour le développement rural est assurée par les services déconcentrés de l'État, le responsable de l'autorité de gestion peut déléguer sa signature au chef du service déconcentré chargé de cette instruction et aux agents qui lui sont directement rattachés, pour prendre en son nom les décisions relatives à l'attribution et au retrait de ces aides. ". Aux termes du 3ème alinéa de l'article 5-1 de la convention tripartite du 21 décembre 2016 relative à la mise en œuvre des dispositions du règlement UE n° 1305-2013 du 17 décembre 2013 concernant la politique de développement rural dans la région Basse-Normandie : " Le Président de la Région signe la décision d'attribution et de retrait de l'aide FEADER pour la mesure / sous-mesure / types d'opération : (...) / les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAE-C) (...) " et l'article 5-4-2 de cette même convention précise que la Région assure sa propre défense en cas de contestation, notamment, de décisions de rejet des aides ou de décisions défavorables. Enfin, la convention modifiée du 27 décembre 2019, relative à la délégation de certaines tâches de l'autorité de gestion du programme de développement rural dans la région Normandie aux services déconcentrés de l'Etat pour la période de programmation 2014-2020 mentionne dans son préambule que la Région est autorité de gestion du programme de développement rural, notamment pour la Manche, pour la période de programmation 2014-2020, que la Direction départementale des territoires et de la Mer est désignée guichet unique service instructeur par délégation de l'ASP dans le département de la Manche pour les dispositifs prévus à l'article

5-1 de la convention mentionnée ci-dessus au titre desquels figurent les paiements au titre d'engagements agroenvironnementaux et climatiques.

6. Il ressort ainsi des pièces du dossier et notamment de la convention modifiée relative à la mise en œuvre des dispositions du règlement (UE) n° 1305 du 17 décembre 2013 concernant la politique de développement rural dans la région Basse-Normandie et de la convention conclue entre la Région et l'État relative à la délégation de certaines tâches de l'autorité de gestion du Programme de Développement Rural (PDR) - la Région Normandie - aux services déconcentrés de l'État pour la période de programmation 2014-2020 et que l'État a confié à la région Normandie, à sa demande, en qualité d'autorité de gestion, la gestion du fonds européen agricole pour le développement rural 2014-2020, en particulier pour celle des mesures MAEC. Dès lors, en application des dispositions citées au point précédent de l'article 66 du règlement communautaire, et bien que l'instruction des suites à donner aux contrôles administratifs et de la procédure contradictoire susceptible d'en découler ait été déléguée aux services de la direction départementale des territoires et de la mer de la Manche, la décision de retrait en litige relevait de la compétence du président de la Région et non de celle du préfet de la Manche.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé une décision de retrait des MAEC dues au titre du contrat d'engagement du 23 octobre 2017, regardée comme prise par le préfet de la Manche, a enjoint au préfet de réexaminer la demande de Mme B... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

8. Il suit de là qu'il a lieu de réformer le jugement attaqué et d'annuler la décision par laquelle le président de la Région Normandie a retiré l'aide MAEC due au titre du contrat d'engagement du 23 octobre 2017, d'enjoindre au président de cette région de réexaminer la demande de Mme B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de mettre à la charge de cette Région, au titre de la première instance, la somme de

1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance une somme que demande la Région Normandie au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Région une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par elle dans la présente instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Caen n°2001173 du

3 juin 2022 sont annulés.

Article 2 : La décision par laquelle le président de la Région Normandie a retiré les mesures d'aides agro-environnementales et climatiques (MAEC) dues au titre du contrat d'engagement du 23 octobre 2017 conclu avec Mme B... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au président de la Région Normandie de réexaminer la demande de Mme B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt

Article 4 : La Région Normandie versera la somme de 3 000 euros à Mme A... B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la Région Normandie, à l'Agence de services et de paiement et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Manche.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président assesseur,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.

Le rapporteur,

X. CATROUXLa présidente,

C. BRISSON

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02483


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02483
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CHEVALIER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-27;22nt02483 ?
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