Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... veuve C..., Mmes H... C..., G... C... épouse B..., Mme E... C... et Mme F... C... (dites les consorts C...) ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier Bretagne Atlantique Vannes-Auray (CHBA) et son assureur, la compagnie AXA France IARD, à leur verser la somme globale de 146 204,20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la prise en charge fautive de I... dans cet établissement.
Par un jugement n°2002783 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné solidairement le CHBA et son assureur, la compagnie AXA France IARD, à verser aux consorts C... la somme globale de 118 458,41 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2021, et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme la somme de 15 304 euros au titre de ses débours ainsi que la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a rejeté le surplus des conclusions des demandeurs.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 juillet 2022 et le 19 septembre 2022, le CHBA et son assureur la compagnie Axa France IARD, représentés par Me Lebrun, demandent à la cour :
A titre principal :
1°) d'annuler ce jugement du 2 juin 2022 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre ;
2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts C... et par la caisse primaire d'assurance maladie devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge des consorts C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
A titre subsidiaire :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 juin 2022 en tant qu'il les a condamnés solidairement à verser aux consorts C... une somme globale de 118 458,41 euros en réparation de leurs préjudices et à la CPAM du Puy-de-Dôme une somme de 15 304,49 euros en remboursement des débours qu'elle a exposés, outre une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
2°) de réduire le montant des sommes allouées aux consorts C... et à la CPAM du Puy-de-Dôme en application d'un taux de perte de chance de 40% ;
3°) de rejeter la demande des consorts C... au titre du déficit fonctionnel temporaire total ;
4°) de statuer sur ce que droit au titre des frais et dépens.
Ils soutiennent que :
- la requête d'appel est recevable car elle est suffisamment motivée ;
- la responsabilité du CHBA ne peut être engagée en l'absence de manquement dans la prise en charge médicale comme chirurgicale ;
- la responsabilité du CHBA ne peut être engagée en l'absence de manquements au devoir d'information ;
- subsidiairement, si lar responsabilité du centre hospitalier et de son assureur devait être retenue, elle devra être limitée à hauteur de 40% ;
- il ne pourra dans cette hypothèse être alloué aux consorte C... que 40% des montants accordés ;
- la demande de capitalisation viagère de la perte de gains annuelle de Mme A... veuve C... doit être rejetée ;
- les réclamations indemnitaires relatives au déficit fonctionnel temporaire de M. C... doivent être rejetées ;
- le recours subrogatoire de la CPAM doit être rejeté car elle ne justifie pas du quantum et de l'imputabilité des frais engagés.
Par un mémoire, enregistré le 5 septembre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2022, les consorts C..., représentées par Me Cartron, demandent à la cour :
- A titre principal, de rejeter la requête du centre hospitalier de Bretagne Atlantique et de la société Axa France Iard ;
- A titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il a écarté la responsabilité du CHBA pour manquement à son devoir d'information et de porter le montant des indemnités allouées par les premiers juges aux sommes de 30 350 euros au titre du préjudice de la succession de I..., de 55 190,98 euros au titre du préjudice de Mme A... veuve C..., outre les arrérages d'une rente annuelle viagère de 12 733,22 euros pour la période allant du 13 juin 2013 à la date de la décision à intervenir, puis à un capital représentatif d'une rente annuelle viagère de 12 733,22 euros capitalisée ainsi qu'aux sommes de 12 000 euros, pour chacune, au titre des préjudices subis par Mme H... C..., Mme G... C... épouse B..., Mme E... C... et Mme F... C... ;
- A titre infiniment subsidiaire, de condamner l'ONIAM au paiement de ces mêmes sommes ;
- dans tous les cas, d'assortir les sommes mises à la charge du CHBA, de son assureur ou de l'ONIAM, des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter du 23 mars 2020 ;
- de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête d'appel du CHBA et son assureur est irrecevable, car elle se borne à reproduire les écritures de première instance ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont reconnu la responsabilité pour faute du CHBA sur le fondement du I de l'article L. 1142 du code de la santé publique en raison des fautes commises successivement dans l'indication opératoire associée à un défaut d'investigations suffisantes avant l'intervention, dans la réalisation du geste technique lors du déroulement de cette opération et dans la surveillance médicale post-opératoire ;
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la responsabilité du CHBA sur le fondement de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique en retenant l'absence de défaut d'information du CHBA, et qu'ils ont par conséquent rejeté le préjudice d'impréparation de M. C... ;
- le préjudice subi par M. C... au titre du déficit fonctionnel doit être réparé par le versement des sommes de 350 euros ;
- les pertes de revenus de Mme D... A... veuve C... sont constituées par une somme de 7 700 euros (perte de chiffres d'affaires en juin 2013) outre les arrérages échus d'une perte de revenus postérieure au décès), Mme D... A... veuve C... a également subi un préjudice d'accompagnement estimé à 10 000 euros ;
- à titre infiniment subsidiaire, M. I... a été victime d'un accident médical non fautif dont la réparation incombe à l'ONIAM ;
Par un mémoire, enregistré le 28 septembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme, venant aux droits et obligations des caisses locales délégués pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, représentée par Me Di Palma, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel du CHBA et de son assureur ;
2°) de mettre à la charge du CHBA et de son assureur la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement doit être confirmé en tant qu'il a reconnu la responsabilité du CHBA ;
- elle a justifié de l'état de ses débours et d'une attestation d'imputabilité qui sont des preuves suffisantes du quantum de sa créance et de son imputabilité pour la prise en charge des frais afférents à M. C... ;
- elle est fondée à demander la condamnation du CHBA et son assureur à verser solidairement une nouvelle indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 114 euros ;
- le CHBA n'est pas fondé à demander à titre subsidiaire la réduction du montant de 6 721,80 euros accordé aux consorts C... dans la mesure où les fautes commises par le CHBA sont avérées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2023 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- les observations de Me Yakovlev, substituant Me Lebrun représentant le centre hospitalier Bretagne Atlantique Vannes-Auray, et Me Cahu, représentant les consorts C....
Considérant ce qui suit :
1. I..., alors âgé de 65 ans, a été pris en charge entre novembre et décembre 2012 au CHBA pour un adénocarcinome du bas œsophage révélé par des examens de contrôle d'un précédent cancer épidermoïde de l'amygdale gauche. Après une réunion de concertation pluridisciplinaire qui s'est tenue le 17 décembre 2012 au CHBA, il a été décidé une prise en charge initiale par radio-chimio-thérapie néo-adjuvante suivie d'une chirurgie d'exérèse, réalisée le 31 mai 2013 dans cet établissement de santé. Les suites de l'intervention ont été marquées par une dégradation brutale de l'état clinique du patient et une fistule anastomotique de grade IV a été constatée. I... a été transféré le 7 juin 2013 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes pour la prise en charge de cette complication et y a subi le lendemain une gastrectomie totale pour nécrose de plastie. I... est décédé le 13 juin 2013 d'une nécrose ischémique des bronches souches droite et gauche.
2. Le 24 décembre 2014, Mme D... A..., sa veuve, Mmes H... C..., G... C... épouse B..., E... C... et F... C..., les quatre filles majeures de la victime, ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de Bretagne afin d'être indemnisées des divers préjudices qu'elles imputent à la prise en charge de I... au CHBA. Après avoir diligenté une expertise réalisée par un chirurgien digestif, la CCI a estimé, par un avis du 8 février 2017, que la prise en charge fautive de I... au CHBA lui a fait perdre une chance de 50% d'éviter la survenance de son décès. Par courrier du 23 mai 2020, les requérantes ont saisi l'établissement hospitalier d'une réclamation préalable, que ce dernier a implicitement rejetée. Par un jugement du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné le CHBA et son assureur à verser aux consorts C... la somme globale de 118 458,41 euros en réparation des préjudices subis et à la CPAM la somme de 15 304, 49 euros au titre de ses débours exposés ainsi que celle de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a rejeté le surplus des conclusions des demandeurs. Le CHBA et la compagnie AXA France IARD relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé des condamnations à leur encontre. Les consorts C..., par la voie de l'appel incident, demandent à la cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a limité le montant de leur indemnisation à la somme de 118 458,41 euros et de porter cette somme à celle de 146 274,20 euros.
Sur la fin de non recevoir opposée par les consorts C... et tirée du défaut de motivation de la requête d'appel :
3. Aux termes des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. " En vertu de ces dispositions, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge.
4. La requête critique le jugement attaqué en ce qu'il a retenu la responsabilité intégrale de l'établissement hospitalier dans le décès de I... et ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance. Elle satisfait ainsi aux exigences des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
Sur la responsabilité du CHBA :
5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...)".
6. Il résulte de l'instruction que le décès de I... est en rapport avec une nécrose ischémique des bronches souches droite et gauche consécutive à une fistule de grade IV, sans lien avec son état antérieur, survenue dans les suites de l'oesophagectomie réalisée le 31 mai 2013 au CHBA. Toutefois, en l'état de l'instruction, la cour ne dispose pas, au regard des conclusions de l'unique expertise, diligentée par la CCI, dont les quatre médecins se sont partiellement écartés dans leur avis, de suffisamment d'éléments d'information pour apprécier si les différents manquements du centre hospitalier de Vannes, dénoncés par les consorts C..., ont été commis dans la prise en charge médicale et chirurgicale de I... ni pour évaluer dans quelle mesure ils sont à l'origine des préjudices dont les consorts C... demandent réparation. La cour ne dispose pas davantage d'informations pour apprécier et évaluer quelles étaient les chances de survie de I..., au regard des pathologies graves dont il était atteint, en dehors de tout manquement de l'établissement de santé. Il y a lieu en conséquence d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale.
D E C I D E :
Article 1er : Il est ordonné, avant de statuer sur les conclusions de la requête, une expertise confiée à un médecin spécialisé en chirurgie viscérale, qui aura pour mission :
- de se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission et notamment ceux qui sont relatifs au suivi médical, interventions, soins et traitements dont I... a fait l'objet au CH de Vannes ;
- de dire si la prise en charge médicale et chirurgicale de I..., en particulier l'indication opératoire, la technique chirurgicale et le suivi post-opératoire à la suite de la découverte de la fistule, ont été diligentes, attentives et conformes aux données acquises de la science médicale ;
- de dire si le CH de Vannes a satisfait à son obligation d'information prévue par l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ;
- d'indiquer quelles ont été les conséquences de chacun des manquements éventuellement constatés et de dire, pour chacun d'eux, dans quelle mesure ils ont entraîné une perte de chance d'éviter le décès de I... ;
- de préciser quelles étaient les chances de survie de I... en dehors de toute prise en charge médicale non conforme aux bonnes pratiques médicales ;
- d'une manière générale, de donner à la cour toute information ou appréciation utile de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités encourues, et, le cas échéant, si la solidarité nationale doit être engagée ;
- de décrire la nature et l'étendue des préjudices de I... résultant de sa prise en charge médicale, en particulier le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, et le préjudice économique subi tant par la victime que par son épouse en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles de sa prise en charge ;
Article 2 : L'expertise sera menée contradictoirement entre le CHBA de Vannes, la compagnie Axa France Iard, les consorts C..., la CPAM du Puy-de-Dôme et l'ONIAM.
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié au centre hospitalier Bretagne Atlantique Vannes-Auray, à la compagnie Axa France Iard, à Mme D... A... veuve C..., à Mme H... C..., à MmeYolande C... épouse B..., à Mme E... C..., à Mme F... C..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et à la Caisse primaire d'assurance Maladie du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2022.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
La présidente,
C. BRISSONLa greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22NT02292