Vu la procédure suivante :
Avant de statuer sur l'appel interjeté par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest contre le jugement n°1803577 du 15 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a mis hors de cause l'ONIAM et a condamné solidairement le CHU de Brest et la SHAM à verser à M. D... la somme de 124 410,17 euros majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation en réparation de ses préjudices, outre une rente annuelle au titre de son besoin d'assistance par une tierce personne et une somme de 3 750 euros en réparation des préjudices subis par Mme D... majorée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, la cour, par un arrêt avant dire droit n° 21NT02107 du 11 mars 2022, a ordonné une expertise en vue, d'une part, de déterminer si le retard de prise en charge chirurgicale de la hernie discale L3L4 a eu une incidence sur la récupération physique de M. D... et s'il est à l'origine des séquelles dont il demeure affecté et, d'autre part, de dire dans quelle mesure ces lésions ou séquelles sont en lien avec la faute commise par le CHU de Brest et si cette faute a compromis les chances de
M. D... de voir son état de santé s'améliorer ou d'éviter sa dégradation.
Le rapport de l'expert désigné par le président de la cour a été enregistré le 7 juillet 2022 et des précisions complémentaires ont été apportées le 11 août 2022.
Par un mémoire enregistré le 9 août 2022, M et Mme D..., représentés par
Me Cartron, concluent aux mêmes fins que dans leurs écritures antérieures et précisent qu'un déficit fonctionnel temporaire total doit être retenu au titre de la période du 16 février au 7 juillet 2012 et du 2 septembre au 24 octobre 2013.
Par un mémoire enregistré le 23 août 2022, le CHU de Brest et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me Le Prado, concluent aux mêmes fins qu'antérieurement.
Ils soutiennent que :
- la demande de la CPAM est irrecevable en tant que le montant de sa demande excède celui sollicité devant le tribunal administratif ;
- aucun retard fautif ne peut être observé ;
- le taux de perte de chance ne saurait excéder 50 %.
La clôture de l'instruction a été prononcée par une ordonnance du 30 septembre 2022 prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative
Des mémoires présentés pour M. D... par Me Cartron ont été enregistrés les 3 octobre 2022 et 14 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de -gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brisson,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Cartron, représentant M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 1803577 du 15 avril l2021, le tribunal administratif de Rennes a constaté qu'un retard fautif dans la prise en charge de M. D... a été pour ce dernier à l'origine d'une perte de chance de 75 % d'éviter les séquelles dont il reste atteint et a condamné solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest et la SHAM, son assureur, à lui verser la somme de 124 410,17 euros en réparation de ses préjudices. Le CHU et la SHAM, par la voie de l'appel principal, ont relevé appel de ce jugement en tant qu'il a mis à leur charge les sommes de 10 000 euros en réparation des souffrances endurées par M. D..., de 66 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent et de 4 000 euros au titre de son préjudice sexuel. Par la voie de l'appel incident, M. et Mme D... ont demandé la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande de réparation de leurs divers préjudices. Par un arrêt avant-dire-droit du 11 mars 2022, la cour a ordonné une expertise médicale.
Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Brest :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) / ".
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du Dr A... C... H..., que M. D..., qui, durant la nuit du 15 au 16 février 2012, a ressenti de vives douleurs dorsales avec irradiation au niveau des membres inférieurs et des sensations de froid au niveau du pied droit, a été admis aux urgences du CHU de Brest à 3h38 du matin. Des radiographies du rachis lombaire ont été effectuées peu après, puis, à 6h40, un scanner lombaire qui a mis en évidence un canal lombaire rétréci, des discopathies étagées et une importante hernie discale L4L5 à migration ascendante et sténosante pour le canal lombaire. L'IRM effectuée à 8h27 a confirmé ce diagnostic. M. D... a alors été opéré à 12h aux fins d'exérèse de cette hernie et de laminectomie. Il ressort clairement des termes de cette expertise que, dans un contexte de syndrome sévère de la queue de cheval, dont il n'est pas contesté par les parties qu'il constitue une urgence impliquant une intervention le plus tôt possible, la prise en charge de l'intéressé n'a été effectuée qu'avec un retard de 4 ou 5 h après les constatations qui devaient impliquer une intervention en urgence.
4. Ces observations corroborent celles qui avaient été antérieurement formulées, le 13 octobre 2014, par l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation ainsi que par le neurochirurgien mandaté par le CHU de Brest aux fins d'examen de ce rapport qui rappelle, dans son analyse critique du 25 février 2019, qu'un syndrome de la queue de cheval doit être opéré rapidement. Dans ces conditions, un retard fautif dans la prise en charge de
M. D... doit être constaté.
5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
6. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise du
Dr A... C... H..., que le retard constaté dans la prise en charge de M. D... est à l'origine d'une perte de chance de 50 % d'éviter les séquelles qu'il présente. En conséquence, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Brest et de la SHAM la réparation de cette fraction des préjudices subis par M. D....
Sur la demande de mise hors de cause de l'ONIAM :
7. Si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'Office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité. La responsabilité pour faute du centre hospitalier universitaire de Brest étant engagée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, et en l'absence d'imputabilité du dommage, fût-ce partiellement, à un accident médical, les conditions pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies. Il y a dès lors lieu de faire droit aux conclusions de l'ONIAM tendant à sa mise hors de cause.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
Quant aux frais divers :
8. M. D... justifie avoir exposé des frais de transport en train ou au moyen de son véhicule personnel d'une puissance fiscale de 5 CV ainsi que des frais d'avocat, pour se rendre et assister aux rendez-vous d'expertise ou devant la commission de conciliation et d'indemnisation, ainsi que des frais postaux. Eu égard à la nature de ces frais, il n'y a pas lieu d'appliquer de taux de perte de chance et il y a lieu de mettre à la charge du CHU la somme totale de 1 654,52 euros correspondant pour 1 625,70 euros aux frais de transport et pour 28,80 euros aux frais postaux.
9. Par ailleurs, M. D..., qui justifie s'être acquitté d'une somme de 180 euros au titre d'une séance d'ergothérapie, est fondé à en demander le remboursement par la personne responsable à concurrence de la perte de chance subie soit 90 euros. La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ayant pris en charge à concurrence de 135 euros cette dépense, le montant cumulé de cette somme et de celle susceptible d'être mise à la charge du CHU de Brest, soit 225 euros (135 + 90), est supérieur de 45 euros à celui du préjudice subi par la victime. Par suite, pour éviter une double indemnisation, il y a lieu de ramener à 45 euros le montant de la somme mise à la charge du CHU à ce titre (90 - 45).
Quant aux dépenses de santé :
10. M. D... justifie, par les factures qu'il produit, avoir engagé en 2016 des frais à hauteur de 650 euros pour l'achat de chaussures orthopédiques munies d'orthèses ainsi que, de 2013 à 2017, des frais pour l'achat d'attelles releveurs du pied à concurrence de
496,44 euros.
11. Eu égard aux conclusions du Dr A... C..., il y a lieu en l'espèce de retenir un besoin de renouvellement des chaussures orthopédiques selon la même périodicité que celles des orthèses ou des attelles anti-steppage c'est-à-dire tous les 3 ans. Compte tenu des justifications d'achat par M. D... en 2016 des chaussures et en 2017 des attelles, le préjudice lié au renouvellement de ces équipements peut être évalué jusqu'au jour de lecture du présent arrêt à la somme de 638,64 euros (466,64 euros pour le renouvellement des chaussures et
172 euros pour celui des attelles releveurs du pied). L'indemnité due par le centre hospitalier universitaire au titre des frais exposés à ce titre par M. D... s'élève ainsi, compte tenu du taux de perte de chance, à 892,54 euros [(650 + 496,44 + 638,64) x 50%].
12. Postérieurement à la date de mise à disposition du présent arrêt, en l'absence d'accord du CHU de Brest pour le versement d'un capital représentatif des frais futurs de santé qui seront exposés par M. D... pour l'achat de chaussures orthopédiques et des orthèses releveurs du pied, il y a lieu de prévoir la mise à la charge de l'établissement hospitalier, compte tenu du taux de perte de chance, d'une somme s'élevant à la moitié de l'annuité correspondant au coût du renouvellement tous les 3 ans d'une paire de chaussures adaptées et d'orthèses du pied, sur présentation des justificatifs d'achat par M D... soit en l'espèce, compte tenu du taux de perte de chance une rente annuelle de 87 euros [(350 + 172) / 3 x 50 % ] qui sera revalorisée chaque année par application du coefficient prévu à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.
13. Par ailleurs, M. D... soutient qu'afin d'améliorer son état de santé il a été amené à bénéficier de soins d'hypnose et de digitopuncture dont le coût s'est élevé à la somme de 335 euros, dont il demande le remboursement. Il ne ressort toutefois nullement des termes des expertises diligentées que de tels soins présenteraient un caractère de nécessité.
14. Enfin, l'intéressé indique effectuer régulièrement des cures thermales depuis l'intervention chirurgicale de 2012, dont il demande le remboursement. Il résulte de l'instruction que la 1ère cure, effectuée en 2018, a donné lieu à une prise en charge par la CPAM. Par suite, et en l'absence d'indication contraire résultant notamment des rapports d'expertise, seule cette cure, à l'exclusion des suivantes, doit être regardée comme étant en lien avec la faute commise par le CHU. A cette occasion, M. D... a exposé des frais de cure thermale et de transport pour s'y rendre d'un montant total de 2 732 euros qui ont été pris en charge par la CPAM à hauteur de la somme non contestée de 429,77 euros. Par suite le préjudice subi à ce titre par l'intéressé doit être évalué, compte tenu du taux de perte de chance, à 1 151,11 euros [(2 732 - 429,77) = 2 302,23 x 50 %)].
Quant à l'assistance par une tierce personne :
15. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes de l'expertise du
Dr A... C..., que, jusqu'à la consolidation de son état de santé, M. D... a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les tâches ménagères ainsi que les démarches administratives à concurrence de 2 heures par jour. Sur la base d'un taux horaire moyen de
13,50 euros, hors des périodes d'hospitalisation, soit sur une période de 816 jours, et sur la base d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés et des jours fériés, le montant du besoin d'assistance par une tierce personne peut être évalué à 24 852,09 euros. De la date de la consolidation jusqu'au jour de mise à disposition du présent arrêt, le besoin en assistance par une tierce personne de M. D..., sur la base de 3 heures hebdomadaires, d'un taux horaire de 17 euros et d'une année de 412 jours, peut être estimé à 26 923,10 euros. Le besoin d'assistance par une tierce personne de M. D... doit ainsi être évalué à la somme totale de 51 775,19 euros. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, la somme susceptible d'être mise à la charge du CHU s'élève ainsi à celle de 25 887,59 euros.
16. Au cours de ces périodes, M. D... a perçu du 1er juillet 2012 au 20 février 2017 une prestation de compensation du handicap d'un montant mensuel de 292,81 euros, soit une somme de 16 621,84 euros, puis du 1er mars 2017 au 30 juin 2022 des prestations de compensation du handicap et pour emploi direct d'un montant mensuel de 420,62 euros, soit une somme de 27 340,30 euros. La somme perçue ensuite jusqu'au jour de mise à disposition du présent arrêt, sur la base des mêmes conditions de liquidation des aides, peut être évaluée à 6 800 euros. Le total des aides perçues par M D... au titre de son besoin d'assistance par tierce personne s'élève ainsi à 50 762,14 euros.
17. Le montant cumulé de la somme destinée à revenir à la victime, affectée du taux de perte de chance (25 887,59 euros) et de celle correspondant au montant des aides perçues (50 762,14 euros), soit 76 649,73 euros est ainsi supérieur au montant du préjudice lié au besoin d'assistance par tierce personne évalué à 51 775,19 euros. Par suite, afin d'éviter une double indemnisation, il y a lieu de réduire de 24 874,54 euros (76 649,73 - 51 775,19) le montant de la somme destinée à réparer ce chef de préjudice qui s'élève ainsi à la somme de 1 013,05 euros (25 887,59 - 24 874,54).
18. Postérieurement au présent arrêt, le besoin d'assistance par une tierce personne de M. D... pourra être réparé sur la base du besoin d'aide estimé par le Dr A... C... à
3 heures par semaine, d'un montant horaire de 17 euros par heure pour une aide non spécialisée et d'une année de 412 jours, auquel sera appliqué le taux de perte de chance de 50 %. La rente annuelle ainsi déterminée sera revalorisée par application des coefficients prévus aux articles L. 161-25 et L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Si le montant cumulé de l'indemnisation incombant au CHU et des aides pouvant être perçues par l'intéressé au titre de ce besoin excède le montant total des frais d'assistance par tierce personne, le montant de la prestation mise à la charge du centre hospitalier sera déduit du montant de cet excédent.
Quant à la perte de gains professionnels :
19. Il résulte de l'instruction et notamment des termes de l'expertise diligentée devant la CCI que, même en l'absence de faute, M. D..., qui exerçait des fonctions d'expert-comptable, aurait dû cesser son activité professionnelle pendant une période de six mois, de sorte que, pour apprécier la perte de gains professionnels actuels qu'il a subie, il y a lieu de prendre en considération la période du 16 août 2012 au 1er février 2015, date à laquelle il a pris sa retraite.
20. Il ressort de ses avis d'imposition qu'au titre des années 2009 à 2011, l'intéressé a perçu un revenu annuel moyen de 53 609 euros et que, au cours de la période 2012-2014, il a perçu, en moyenne, un revenu annuel de 32 218 euros, de sorte que sa perte de revenus annuelle doit être estimée à 21 391 euros. Il s'ensuit que la perte de gains professionnels subie par
M. D... entre le 16 août 2012 et le 1er février 2015, devant être réparée par le CHU, doit être évaluée à la somme de 53 477,40 euros, somme ramenée à 26 738,70 euros compte tenu du taux de perte de chance. Au cours de cette même période, la CPAM du Finistère a versé à
M. D... des indemnités journalières s'élevant à la somme totale de 36 859 euros. Il s'ensuit que, compte tenu de la préférence devant être accordée à la victime, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la somme revenant à M. D... doit être fixée à 16 618,40 euros (53 477,40 - 36 859) et celle revenant à la CPAM à
10 120,36 euros.
21. M. D..., né en 1952, a eu 62 ans le 6 avril 2014 et a été admis à la retraite le 1er février 2015. S'il fait valoir qu'il exerçait la profession d'expert-comptable lorsque l'accident médical s'est produit et qu'il pouvait espérer poursuivre sa carrière professionnelle jusqu'à l'âge de 65 ans, il n'est en l'espèce, ni établi, ni même allégué, qu'il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein ou qu'il aurait nécessairement prolongé sa vie professionnelle. Ainsi, le préjudice lié à la perte de gains futurs ne peut être regardé comme étant établi.
22. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, ni le préjudice moral qui résulterait de ce que la carrière professionnelle de M. D... aurait été écourtée de deux ans, ni le préjudice qui découlerait d'une perte de droits à pension de retraite ne sont, par les pièces produites par l'intimé, démontrés. Par suite, le préjudice ainsi allégué ne saurait ouvrir droit à réparation. Toutefois, eu égard au déclassement qu'il a pu ressentir, M. D... est fondé à demander réparation du préjudice moral découlant de la cessation de son activité professionnelle survenue en 2014 dans les conditions rappelées ci-dessus. Il en sera fait une équitable appréciation en l'évaluant à la somme de 1 500 euros compte tenu du taux de perte de chance.
Quant aux frais d'adaptation du logement :
23. Afin d'adapter son logement à son handicap, M. D... a procédé à divers aménagements de son logement tels que la réalisation d'une douche à l'italienne, la pose de barres au mur, de rampes d'escalier, d'un cheminement extérieur et d'un plan incliné, et il justifie des frais ainsi exposés à hauteur de 9 282,67 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, le montant du préjudice subi à ce titre s'élève à la somme de 4 641,33 euros. Par une décision du 15 mars 2013, la MDPH a indiqué accorder, au titre de la prestation de compensation du handicap, la somme de 5 221,05 euros afin de prendre en charge le coût des frais d'accessibilité extérieure et de divers aménagements intérieurs de l'habitation. Le montant de cette dernière somme et de celle susceptible d'être mise à la charge du CHU, soit
9 682,07 euros (5 221,05 + 4 641,33) étant supérieure à celui du préjudice subi par M. D..., il y a lieu de réduire de 579,71 euros le montant de la somme mise à la charge du CHU et de la ramener de 4 641,02 à celle de 4 061,62 euros. Enfin, ces équipements présentant un caractère pérenne, l'intéressé n'est pas fondé à demander le versement d'une rente annuelle en vue de leur renouvellement.
Quant aux frais d'adaptation du véhicule :
24. Si M. D..., qui doit désormais utiliser un véhicule doté d'une boîte de vitesse automatique, fait valoir qu'il a acquis en 2013 une telle automobile, seul le surcoût lié à un tel équipement, devant être renouvelé tous les 7 ans, s'élevant à la somme de 800 euros, est en lien direct avec la faute commise par le CHU. Par ailleurs, l'intéressé justifie avoir engagé une somme de 55 euros pour une leçon de conduite adaptée. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. D... à ce titre en l'évaluant à 855 euros auxquels s'ajoutent les arrérages échus au titre de la période de 2020 à 2023 soit 342,86 euros (800 : 7 x 3). Le préjudice subi à ce titre par la victime s'élève à la somme totale de 1 197,86 euros et, compte tenu du taux de perte de chance, la somme de 598,93 euros est susceptible d'être mise à la charge du CHU. La MDPH a accepté de prendre en charge à hauteur de 800 euros le coût d'aménagement du véhicule de la victime. Par suite et afin d'éviter une double indemnisation, il y a lieu de réduire de 201,07 euros le montant de la somme due par le CHU (598,93 + 800 - 1 197,86) et d'évaluer à 397,86 euros le montant de la somme mise à la charge du CHU en réparation de ce préjudice (598,93 - 201,07).
25. Postérieurement à la date de mise à disposition du présent arrêt, il y a lieu de procéder à la capitalisation par application d'un coefficient de 14,581 issu du barème de la Gazette du Palais de 2022 pour un homme de 71 ans et, compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, de mettre à la charge du CHU de Brest la somme de 833,16 euros.
Quant aux aides techniques :
26. Si M. D... sollicite le versement d'une somme destinée à réparer le préjudice découlant de l'achat et du renouvellement de fauteuils adaptés à son poste de travail et de vélos, la nécessité d'avoir recours à de telles aides n'est, en l'espèce, pas établie. Il s'ensuit que l'intimé n'est pas fondé à en demander réparation.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux de M. D... :
S'agissant des préjudices de caractère temporaire :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
27. Il résulte de l'instruction et notamment des observations du Dr A... C..., expert, que M. D... a subi, en lien avec la faute commise par le CHU, un déficit fonctionnel temporaire total lors de ses périodes d'hospitalisation au CHU de Brest ou aux centres de rééducation de Darsonval et de Treboul, entre le 21 février 2012 et le 13 octobre 2014, soit, après avoir tenu compte d'une durée d'hospitalisation de 5 jours que M. D... aurait supportée même en l'absence de faute, pendant 155 jours, ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % entre ces périodes d'hospitalisation jusqu'à la date de sa consolidation le
13 octobre 2014, soit pendant 691 jours, déduction faite d'une période de déficit fonctionnel temporaire partiel de 4 mois que M. D... aurait subi du fait de sa pathologie même en l'absence de faute (966 j - 120 j). Sur la base d'un taux journalier de 17 euros pour les périodes de déficit fonctionnel temporaire total et de 8,50 euros pour celles de déficit fonctionnel temporaire partiel, et compte tenu du taux de perte de chance de 50 % le préjudice subi par
M D... au titre de son déficit fonctionnel temporaire peut être évalué à 8 508,50 euros, somme qu'il convient de ramener à celle de 4 254,25 euros compte tenu du taux de perte de chance de 50 %.
Quant au préjudice esthétique :
28. M. D... qui a été contraint temporairement, pour se déplacer, de faire usage d'un fauteuil roulant, de cannes et a présenté une boiterie a subi de ce fait un préjudice esthétique temporaire évalué à 3,5/7. Il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en fixant la réparation due à ce titre à la somme de 2 700 euros compte tenu du taux de perte de chance de 50 %.
S'agissant des préjudices de caractère permanent :
Quant au déficit fonctionnel permanent :
29. Compte tenu de la paralysie L4L5 bilatérale et prédominant à gauche, d'une atteinte fonctionnelle à la marche, de la persistance de troubles sphinctériens et de douleurs neuropathiques, le déficit fonctionnel permanent subi par M. D... a été évalué par l'expert à 35 %. L'intéressé étant âgé de 62 ans au jour de la consolidation de son état de santé fixée au 13 octobre 2014, ce chef de préjudice pourra être réparé par le versement de la somme de 27 000 euros (54 000 euros x 50 % de taux de perte de chance).
Quant aux souffrances endurées :
30. Les souffrances endurées par M. D... en lien avec la faute commise ont été estimées par l'expert à 4,5 sur une échelle de 1 à 7 en raison de la durée de l'hospitalisation, de la rééducation nécessaire et des douleurs physiques et morales endurées. Il y a lieu d'évaluer ce chef de préjudice à 10 000 euros, somme devant être ramenée à 5 000 euros compte tenu du taux de perte de chance.
Quant au préjudice sexuel :
31. M. D... souffrant d'atteinte à la fonction sexuelle se traduisant par une absence d'érection et l'inefficacité des tentatives de substitution médicamenteuse, ce chef de préjudice peut en l'espèce être évalué à 5 000 euros, somme ramenée à 2 500 euros compte tenu du taux de perte de chance de 50 %.
Quant au préjudice esthétique permanent :
32. Compte tenu de la persistance d'une boiterie et de la nécessité dans laquelle
M. D... se trouve de devoir utiliser des cannes pour marcher, l'intéressé justifie d'un préjudice esthétique permanent dont il est fondé à demander réparation. Ce préjudice, évalué à 3/7 par l'expert, pourra être réparé, compte tenu du taux de perte de chance, par le versement d'une somme de 1 800 euros.
Quant au préjudice d'agrément :
33. Si M. D... soutient qu'il éprouve des difficultés à la marche prolongée, qu'il ne peut plus pratiquer la danse bretonne, la natation ou le jardinage, il n'apporte pas davantage que devant le premier juge d'éléments de nature à établir qu'il subirait du fait de la faute commise par le CHU un préjudice d'agrément distinct du déficit fonctionnel permanent dont il est affecté. Par suite, l'intéressé n'est pas fondé à demander réparation de ce chef de préjudice.
En ce qui concerne le préjudice extra-patrimonial de Mme D... :
34. Eu égard aux séquelles dont reste affecté son époux, Mme D... est fondée à soutenir qu'elle subit des troubles dans ses conditions d'existence ainsi qu'un préjudice sexuel. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 8 000 euros, somme ramenée à 4 000 euros après application du taux de perte de chance.
Sur les droits de la CPAM :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Brest :
35. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
36. Alors que devant le premier juge, la caisse avait demandé la condamnation du CHU de Brest à lui verser, à titre principal, la somme de 182 796,91 euros, elle a, dans ses écritures d'appel, limité à la somme de 172 350,89 euros le montant de la réparation sollicité à ce titre. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le CHU tirée de ce que le montant de sa demande en cause d'appel excède celui présenté devant le tribunal ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne les dépenses de santé actuelles :
37. Il résulte des écritures de la CPAM du Finistère et du Morbihan, du relevé de ses débours et de l'attestation d'imputabilité de son médecin conseil, que la caisse justifie avoir engagé, jusqu'au jour de consolidation de M. D..., des débours en lien direct avec la faute commise par le CHU de Brest à concurrence d'un montant total de 108 382,16 euros comprenant des frais hospitaliers du 21 février 2012 au 24 juin 2014, évalués à 70 495,18 euros et tenant compte des frais qu'elle aurait nécessairement exposés au cours d'une période de
5 jours si la faute n'avait pas été commise, des frais médicaux de 9 290,53 euros, des frais pharmaceutiques de 1 976,96 euros, des frais d'appareillage de 14 766,30 euros et des frais de transport de 11 853,19 euros. Pour la période du 14 octobre 2014 au 31 août 2021, il ressort des mêmes documents que la caisse justifie avoir exposé pour le compte de M. D... des débours s'élevant à 3 604,23 euros se décomposant en 1 283,91 euros au titre des frais médicaux et 2 320,32 euros pour les frais d'appareillage. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, ce poste de préjudice doit être évalué à la somme de 55 993,19 euros
(111 986,39 euros x 50 %).
38. Il y en outre lieu d'ajouter aux sommes précédentes celle de 10 120,36 euros correspondant à la somme revenant à la CPAM à raison des indemnités journalières qu'elle a versées à son assuré ainsi qu'il a été mentionné au point 20.
En ce qui concerne les dépenses postérieures à la consolidation :
39. La CPAM justifie qu'elle sera amenée à exposer annuellement pour le compte de M. D... des frais médicaux d'un montant de 56,53 euros eu égard à la nécessité dans laquelle se trouvera ce dernier de réaliser tous les 3 ans une échographie rénale (annuité de 17,96 euros), un bilan urodynamique tous les 5 ans (annuité de 28,57 euros) et de consulter tous les ans un spécialiste en urologie (annuité de 10 euros).
40. En outre, la caisse fait valoir qu'elle devra également engager pour le compte de M. D... des frais d'appareillage podo-jambiers dont le coût s'élève à 840,90 euros, d'acquisition d'une paire de cannes anglaises d'un coût de 24,40 euros ainsi que des frais pour une prothèse de la main droite permettant à l'intéressé, compte tenu de l'amputation de la main dont il avait antérieurement été victime, de pouvoir plus aisément faire usage de cannes, d'un coût unitaire de 1 442,19 euros. Compte tenu, d'une part, de ce que la caisse ne demande la prise en charge par le centre hospitalier que de la moitié du coût des débours liés au renouvellement des appareils podo-jambiers et de la prothèse de main et, d'autre part, de ce que le coût lié aux fournitures d'appareils podo-jambiers, de prothèse de main et de cannes anglaises est majoré de 50 % afin de tenir compte des frais de déplacement et d'expédition, le montant annuel des frais qui seront exposés par la caisse au titre des frais futurs d'appareillage de M. D... doit être évalué à la somme annuelle de 1 748,92 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, le montant annuel des frais de santé qui seront exposés par la caisse au titre des dépenses de santé futures de M. D... doit être évalué à 902,72 euros (56,53 + 1 748,92 x 50 %).
41. En l'absence d'accord du centre hospitalier universitaire de Brest pour le versement d'un capital représentatif, il y a lieu de mettre la charge de l'établissement le versement d'une rente annuelle qui sera actualisée à la fin de chaque année, pour l'année suivante, par application des coefficients mentionnés aux articles L. 161-25 et L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
42. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner solidairement le CHU de Brest et la SHAM à verser à M. D... la somme de 71 781 euros en réparation des préjudices qu'il a subis consécutivement à l'accident médical dont il a été victime, outre une rente annuelle de 87 euros au titre des dépenses futures de santé qui seront exposées pour le compte de M. D... dans les conditions précisées au point 12. Ils verseront également, solidairement, à Mme D... la somme de 4 000 euros en réparation de ses préjudices.
43. Le CHU de Brest et la SHAM verseront solidairement à la CPAM du Finistère la somme de 66 113,55 euros en remboursement de ses débours, outre le versement d'une rente d'un montant annuel de 902,72 euros qui sera revalorisée dans les conditions mentionnées au point 41.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
44. Si le plafond de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale a été réévalué par l'arrêté du 15 décembre 2022, la caisse ne peut prétendre à une augmentation du montant de l'indemnité forfaitaire de gestion dès lors que le montant des sommes lui revenant au titre de ses débours n'est pas majoré par le présent arrêt.
Sur les intérêts :
45. Les requérants sont fondés à demander que les sommes qui leur sont ainsi allouées soient assorties des intérêts au taux légal à compter du jour de réception par le CHU de Brest de leur réclamation préalable du 26 juin 2012. La capitalisation des intérêts a été demandée le 26 juillet 2018. A cette date, il était du plus d'une année d'intérêts. Il s'ensuit que les intérêts dus à la date du 26 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur les frais liés au litige :
46. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Brest les frais de l'expertise du 4 juillet 2022 liquidés et taxés par une ordonnance du président de la cour du 12 juillet 2022 à la somme de 2 000 euros à la charge du CHU de Brest.
47. Dans les circonstances particulières de l'espèce il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés dans le cadre de la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 2 : La somme de 124 410,17 euros que le CHU de Brest et la SHAM ont été condamnés solidairement à verser à M. D... est ramenée à 71 781 euros. Cette somme sera assortie des intérêts à compter de la date de réception par le CHU de Brest de la réclamation préalable du 26 juin 2012 et ces intérêts seront capitalisés à la date du 26 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le CHU de Brest et la SHAM verseront solidairement à M. D... une rente annuelle de 87 euros au titre des frais de santé qui sera revalorisée dans les conditions prévues au point 12 du présent arrêt.
Article 4 : Le CHU de Brest et la SHAM verseront solidairement à M. D... une rente trimestrielle au titre de son besoin d'assistance par une tierce personne qui sera liquidée dans les conditions prévues au point 42 du présent arrêt.
Article 5 : Le CHU de Brest et la SHAM verseront solidairement à Mme D... la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice.
Article 6 : Le CHU de Brest et la SHAM verseront solidairement à la CPAM du Finistère et du Morbihan la somme de 66 113,55 euros en remboursement de ses débours outre une rente annuelle de 902,72 euros au titre des frais de santé futurs qui seront exposés pour le compte de son assuré et qui sera revalorisée comme indiqué au point 41 du présent arrêt.
Article 7 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 avril 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à Mme G... F... épouse D..., au centre hospitalier universitaire de Brest, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la CPAM du Finistère
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président de chambre,
- M Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.
Le président-rapporteur,
C Brisson
Le président-assesseur
GV Vergne
Le greffier,
R Mageau
La République mande et ordonne au ministre de la santé et des solidarités, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01707