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03/10/2023 | FRANCE | N°22NT02533

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 octobre 2023, 22NT02533


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision du 3 février 2021 de l'inspecteur du travail en charge de la section n°8 de l'unité de contrôle n°1 du Calvados refusant d'autoriser son licenciement.

Par un jugement n° 2102020 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un

mémoire, enregistrés le 2 aout 2022 et le 7 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Brand,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision du 3 février 2021 de l'inspecteur du travail en charge de la section n°8 de l'unité de contrôle n°1 du Calvados refusant d'autoriser son licenciement.

Par un jugement n° 2102020 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 aout 2022 et le 7 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Brand, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 30 juin 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision du 3 février 2021 de l'inspecteur du travail en charge de la section n°8 de l'unité de contrôle n°1 du Calvados refusant d'autoriser son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'État et de la Ligue de football de Normandie une somme de 2 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la ministre en charge du travail ne pouvait légalement autoriser son licenciement des lors qu'elle n'a pas retirée sa décision initiale implicite de rejet créatrice de droits qui est devenue définitive :

- la décision du 16 juillet 2021 est insuffisamment motivée ;

- l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de recherche de reclassement en interne :

* l'employeur n'a pas proposé au titre du reclassement le poste initialement proposé dans le cadre de la modification du contrat de travail, alors que proposer une mutation ne dispense pas l'employeur de respecter son obligation de recherche de reclassement en interne ;

* l'employeur a manqué à son obligation de recherche de reclassement en interne dès lors que de nombreux postes étaient disponibles en contrat de travail à durée indéterminée ou en contrat de travail à durée déterminée ;

* l'employeur a manqué à son obligation de recherche de reclassement en ne lui proposant pas les mêmes conditions proposées à ses homologues dans le cadre du télétravail.

- le motif économique de son licenciement n'est pas établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2023, la Ligue de football de Normandie conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vérité, substituant Me Brand, représentant Mme B... et de Me Jamet, représentant la ligue de football de Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. La Ligue de football de Normandie a décidé, durant l'année 2016, la réunion à Lisieux de ses deux anciens sièges, situés à Caen et Saint-Etienne-du-Rouvray, à la suite de la fusion des ligues de football de Basse-Normandie et de Haute-Normandie et de la création d'un pôle Espoir à Lisieux. Mme B..., employée administrative au sein de la ligue de football de Basse-Normandie depuis le 3 juin 2002 et élue suppléante au conseil social et économique, a refusé la modification de son contrat de travail portant sur le changement du lieu d'exécution du contrat. La Ligue de football de Normandie a alors demandé à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie, le 30 novembre 2020, l'autorisation de licencier Mme B.... Par une décision du 3 février 2021, l'inspecteur du travail a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée. La Ligue de football de Normandie a ensuite saisi la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion d'un recours hiérarchique, reçu le 10 mars 2021, dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail. Par une décision du 16 juillet 2021, la ministre a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de Mme B.... Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la requérante tendant à l'annulation de la décision du 16 juillet 2021 de la ministre en charge du travail. Mme B... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail (...). Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure (...) ".

3. D'une part, l'obligation pour l'employeur de rechercher le reclassement du salarié ou de s'assurer que son reclassement est impossible s'applique même dans le cas où la demande de licenciement est consécutive au refus par l'intéressé d'accepter une modification substantielle de son contrat de travail.

4. D'autre part, dès lors que l'obligation de reclassement ne naît qu'au moment où l'employeur met en œuvre la procédure de licenciement du salarié, la proposition de modification du contrat de travail pour motif économique ne constitue pas une offre de reclassement et le refus d'une telle proposition par le salarié ne dispense pas de son obligation de reclassement l'employeur qui est alors tenu de proposer au salarié le poste déjà proposé au titre de la modification de son contrat de travail ainsi que les emplois disponibles définis par l'article L. 1233-4 du code du travail. En outre, l'obligation de reclassement d'un salarié protégé, impliquant notamment une proposition de formation, l'adaptation du poste ou l'emploi du salarié dans un poste de catégorie inférieure, n'est pas assimilable à la proposition de modification du contrat de travail pour motif économique.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'une première proposition de modification du contrat de travail, relative au changement du lieu d'exécution du contrat, a été soumise à Mme B... le 6 mai 2019, après la signature, le 3 mai 2019, d'un accord d'entreprise ayant décidé des mesures d'accompagnement en faveur des salariés consécutives à la suppression des sites de Caen et de Rouen, laquelle s'est concrétisée par le transfert effectif du siège de la Ligue de football de Normandie à Lisieux, au mois d'août 2019. La requérante a refusé, le 10 mai 2019, cette proposition de modification de son contrat de travail. Après qu'une première procédure de licenciement a alors été engagée à l'encontre de Mme B..., le ministre du travail, saisi sur recours hiérarchique, a, le 16 juin 2020, refusé l'autorisation de licenciement sollicitée. La Ligue de football de Normandie n'a pas contesté cette décision et a renoncé à licencier l'intéressée. Une seconde proposition de modification du contrat de travail, portant sur le même point, a été alors soumise à Mme B... le 16 juillet 2020, faisant état de la précédente procédure de licenciement inaboutie et de ce que la modification proposée reposait sur une des circonstances du licenciement pour motif économique. La requérante a refusé, le 27 juillet 2020, cette seconde proposition de modification de son contrat de travail. La Ligue a alors engagé une seconde procédure de licenciement de Mme B... pour motif économique et a sollicité, le 30 novembre 2020, de l'inspection du travail l'autorisation de licencier l'intéressée. L'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement le 3 février 2021 mais le ministre du travail, saisi sur recours hiérarchique, a autorisé le licenciement par une décision du 16 juillet 2021. Dans ce cas, le refus de la seconde proposition de modification du contrat de travail pour motif économique ne dispensait pas la Ligue de football de Normandie de proposer ce même poste au titre de son obligation de reclassement, prévue par les dispositions de l'article L.1233-4 du code du travail. Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la Ligue de football de Normandie a proposé à la requérante, à l'issue d'une recherche sérieuse au titre de son obligation de reclassement en interne au cours de la première procédure de licenciement comme de la seconde, un quelconque poste, Mme B... est fondée à soutenir que son employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement. A cet égard, la circonstance que la seconde proposition de modification du contrat de travail mentionnait la première procédure de licenciement et que la modification proposée reposait sur une des circonstances du licenciement pour motif économique envisagée est sans incidence sur l'obligation de reclassement. De plus, s'il ressort des pièces du dossier que des démarches de recherche de reclassement externe ont été effectuées, par des courriers en date du 30 octobre 2020, le caractère général et non personnalisé de leur contenu ne permet pas de les regarder comme établissant une recherche sérieuse et le ministre ne pouvait, dans la décision attaquée, ni méconnaître la portée de l'absence de recherche sérieuse de reclassement interne, ni retenir le motif de la recherche sérieuse de reclassement externe pour autoriser le licenciement sollicité.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen du 30 juin 2022 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision du 3 février 2021 de l'inspecteur du travail en charge de la section n°8 de l'unité de contrôle n°1 du Calvados refusant d'autoriser son licenciement.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas dans la présente instance partie perdante, la somme demandée par la Ligue de football de Normandie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 30 juin 2022 est annulé.

Article 2 : La décision du 16 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision du 3 février 2021 de l'inspecteur du travail en charge de la section n°8 de l'unité de contrôle n°1 du Calvados refusant d'autoriser le licenciement de Mme B... est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la ligue de football de Normandie.

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre en charge du travail en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02533


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02533
Date de la décision : 03/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 TRAVAIL ET EMPLOI. - LICENCIEMENTS. - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. - LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE. - OBLIGATION DE RECLASSEMENT. - DISTINCTION DE LA PROPOSITION DE MODIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL (ARTICLE L.1233-3 DU CODE DU TRAVAIL) ET DE L'OFFRE DE RECLASSEMENT RÉSULTANT DE L'OBLIGATION DE RECLASSEMENT (ARTICLE L.1233-4 DU MÊME CODE) À LAQUELLE EST TENU L'EMPLOYEUR QUI A MIS EN ŒUVRE LA PROCÉDURE DE LICENCIEMENT DU SALARIÉ PROTÉGÉ POUR UN MOTIF ÉCONOMIQUE ([RJ1]). CONSÉQUENCE : L'EMPLOYEUR QUI A MIS EN ŒUVRE LA PROCÉDURE DE LICENCIEMENT EST TENU DE PROPOSER AU SALARIÉ UNE OFFRE DE RECLASSEMENT SUR UN EMPLOI DISPONIBLE ALORS MÊME QU'IL AURAIT, PRÉALABLEMENT À LA MISE EN ŒUVRE DE LA PROCÉDURE DE LICENCIEMENT, TRANSMIS UNE PROPOSITION DE MODIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL.

66-07-01-04-03-01 La proposition de modification pour motif économique d'un élément essentiel du contrat de travail, notamment son lieu d'exécution, prévue par les dispositions de l'article L.1233-3 du code du travail, ne constitue pas l'offre de reclassement prévue par les dispositions de l'article L.1233-4 du code du travail, résultant de l'obligation de reclassement à laquelle est tenu l'employeur au moment où il met en œuvre la procédure de licenciement du salarié. En conséquence, l'employeur est alors tenu de proposer au salarié les emplois disponibles dans les conditions prévues par l'article L. 1233-4 précité, y compris ceux ayant déjà fait l'objet d'une proposition de modification du contrat au sens de l'article L.1233-3 précité.


Références :

[RJ1]

Cass. Soc.18 mai 2022, n° 20-14.998, arrêt n°591 F-D « Sté GE Hydro France.


Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : EARVIN et LEW AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-03;22nt02533 ?
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