Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision du 21 décembre 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement pour inaptitude ainsi que la décision du 30 juin 2020 de l'inspectrice du travail, et d'autre part, de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2100913 du 2 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 juin 2022 et 24 juillet 2023, M. A... B..., représenté par Me Le Quere, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 21 décembre 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement pour inaptitude ;
3°) d'annuler la décision du 30 juin 2020 de l'inspectrice du travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularités ; d'une part, le tribunal, qui ne précise pas les motifs qui l'ont conduit à admettre que l'inspectrice du travail avait pris en compte l'ensemble des éléments du dossier avant de prendre sa décision, a insuffisamment motivé sa décision ; d'autre part, le jugement est totalement taisant sur la question de l'insuffisante motivation de la décision de la ministre du travail ;
- les décisions sont entachées d'erreur d'appréciation ; s'il n'est pas contesté que les conditions de travail sont distinctes des conditions d'exercice d'un mandat représentatif, c'est cependant à tort que le tribunal a opéré une " dichotomie artificielle " s'agissant de son état de santé, son inaptitude ne pouvant être regardée comme étant exclusivement en lien avec les seules conditions de travail à l'exclusion de celles inhérentes à l'exercice de son mandat représentatif ; l'altération de son état de santé est à rattacher à sa situation au sein de la société Sodiquartier dans sa globalité ; il a dénoncé les conditions de travail délétères et dégradantes au sein de l'entreprise subies par les salariés et les élus ; il justifie médicalement avoir été impacté physiquement et psychologiquement par ses conditions de travail au sein de la société faisant obstacle à ce qu'il puisse exercer son mandat de membre du CSE dans des conditions pleinement satisfaisantes ;
- le lien avec le mandat est établi ; le traitement puis le refus opposé à sa demande de rupture conventionnelle et ses changements d'affectation successifs sur différents rayons sont liés à l'exercice de son mandat ; faute de réponse à sa demande de rupture conventionnelle alors que son employeur avait accepté de nombreuses ruptures conventionnelles pour de nombreux collègues, il a dû renouveler sa demande ; après 5 mois de silence et alors qu'il avait saisi l'inspection du travail, son employeur lui a opposé un refus le 13 février 2020 ; il a subi un traitement discriminatoire en lien avec l'exercice de son mandat ; l'effectif est passé de 149 salariés à 94 salariés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2023, la société Sodiquartier, représentée par Me Gay, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Quere, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté le 2 octobre 1995 en qualité d'agent commercial par un contrat de travail à durée indéterminée par la société Casino France et a été élu membre suppléant du comité social et économique le 26 avril 2019. Le 1er juillet 2019, son contrat de travail a été transféré à la société Sodiquartier, à la suite du rachat par celle-ci de la Société distribution Casino France. Le 4 septembre 2019, M. B... a été placé en arrêt de travail pour maladie, lequel sera prolongé jusqu'au 8 mars 2020. Le 28 septembre 2019, il a sollicité le bénéfice d'une rupture conventionnelle. Le 3 janvier 2020, l'intéressé a dénoncé à la médecine du travail l'impact de ses conditions de travail dégradées sur son état de santé. Le 13 février 2020, la société Sodiquartier a rejeté sa demande de rupture conventionnelle. Le 9 mars 2020, le médecin du travail, à l'issue de la visite médicale de reprise, a émis un avis d'inaptitude indiquant que " l'état de santé de M. B... faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi ", appréciation confirmée le 11 mars suivant sur demande de l'employeur. Le 3 avril 2020, M. B... a été convoqué pour l'entretien préalable à un licenciement, fixé au 17 avril 2020. Le 27 mai 2020, la société Sodiquartier a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement pour inaptitude de M. B.... Le 20 mai 2020, les membres du comité social et économique ont émis un avis favorable à son licenciement sans possibilité de reclassement. Par une décision du 30 juin 2020, l'inspectrice du travail a, après enquête contradictoire, délivré l'autorisation de licenciement demandée le 27 mai 2020.
2. Le 9 août 2020, M. B... a saisi la ministre du travail d'un recours hiérarchique contre la décision du 30 juin 2020 de l'inspectrice du travail. Par une décision du 21 décembre 2020, la ministre du travail a, après une contre-enquête contradictoire effectuée par une nouvelle inspectrice du travail, confirmé la décision de l'inspection du travail du 30 juin 2020 autorisant le licenciement de l'intéressé. M. B... a, le 19 février 2021, saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation des décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre du travail. Il relève appel du jugement du 2 mai 2022 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Pour écarter le moyen tiré de ce que la question du lien entre la procédure de licenciement engagée à l'encontre de M. B... et l'exercice de son mandat n'avait pas été examinée par l'inspectrice du travail dans la décision contestée du 30 juin 2020, le tribunal a, d'une part, au point 6 du jugement attaqué, relevé que la décision en cause prise par l'inspectrice " portait la mention selon laquelle le licenciement n'est pas en lien avec le mandat ", en ajoutant que " le caractère synthétique de cette mention ne révélait ni un défaut d'examen, ni une incompétence négative, l'inspectrice ayant examiné ce point avant de prendre la décision contestée ". D'autre part, le tribunal a également rappelé au point suivant du jugement que " les conditions de travail d'un salarié sont distinctes des conditions d'exercice d'un mandat représentatif et que " dès lors, ces dernières ne peuvent être regardées de ce simple fait comme étant la cause de son inaptitude professionnelle ", ce qui constitue une réponse suffisante à l'argumentation avancée par le salarié au soutien du même moyen quant à " l'origine professionnelle " de son inaptitude. Les premiers juges ont, ce faisant, suffisamment motivé leur décision sur ces deux points. Le moyen sera écarté.
4. Si M. B... entend également reprocher aux premiers juges de ne pas avoir répondu au moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de la ministre du travail s'agissant de l'existence d'un lien avec le mandat, il ressort de l'examen des écritures de première instance qu'un tel moyen n'a pas été expressément soulevé par le requérant. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à répondre sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
5. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise, et non de rechercher la cause de cette inaptitude. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard, de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
6. Pour autoriser le licenciement de M. B..., l'inspectrice du travail s'est fondée sur l'avis du médecin du travail du 9 mars 2020 qui a déclaré le salarié " inapte à tout poste, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi " puis confirmé cette appréciation sur demande de l'employeur, le 11 mars 2020. L'inspectrice du travail a également noté la régularité de la procédure suivie et l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat détenu par l'intéressé. M. B... soutient en appel que l'altération de son état de santé, cause de son inaptitude, qui ne saurait être regardée comme étant exclusivement en lien avec les seules conditions de travail à l'exclusion de celles inhérentes à l'exercice de son mandat représentatif, est en lien avec son mandat. Il avance, à cet égard, qu'il a dénoncé les conditions de travail estimées par lui " délétères et dégradantes " pour les salariés et les élus au sein de l'entreprise - depuis son rachat par la société Sodiquartier - en se faisant le porte-parole des salariés en sa qualité de représentant du personnel.
7. En premier lieu, il convient de rappeler que les conditions de travail au sein d'une entreprise sont distinctes des conditions d'exercice du mandat détenu par un salarié protégé et, qu'à supposer avérée la dégradation de ces conditions de travail, cette circonstance ne caractérise pas, par elle-même, l'existence d'un lien entre une demande d'autorisation de licenciement de ce salarié et l'exercice de son mandat, sauf à ce que la dégradation de l'état de santé du salarié soit en lien direct avec les obstacles mis par l'employeur à l'exercice du mandat. Au demeurant, et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B..., qui a bénéficié de congés les trois premières semaines du mois de juillet 2019 et a été placé en arrêt de travail à compter du 3 septembre suivant, aurait émis des critiques sur ses conditions de travail au cours de la brève relation contractuelle tissée avec son nouvel employeur, la société Sodiquartier, à compter 1er juillet 2019, date du transfert de son contrat à la suite de la reprise de la société Casino. S'il a effectivement émis des critiques sur les nouvelles méthodes de management, celles-ci formulées au cours des réunions du comité social et économique des mois de juin, juillet et août 2020 - soit postérieurement à l'engagement à son encontre au mois d'avril 2019 de la procédure de licenciement - concernaient l'ensemble des salariés du magasin et étaient sans rapport avec l'exercice de son mandat. Il ressort enfin des procès-verbaux des séances du comité social et économique des 5 juin et 3 juillet 2020, ainsi que des annexes à ces documents que M. B..., qui y siégeait, a reçu réponse à l'essentiel des interrogations qu'il a formulées dans l'exercice de son mandat et que les échanges, non personnalisés, n'ont pas dépassé les limites habituelles d'un dialogue social vif.
8. En second lieu, si le requérant soutient " justifier médicalement avoir été impacté physiquement et psychologiquement par ses conditions de travail au sein de la société ", le certificat médical établi par son médecin traitant le 17 octobre 2019 et dont il se prévaut, se borne à relever " l'existence de troubles anxio-dépressifs réactionnels à un mal être au travail des suites d'une réorganisation de son travail après changement d'enseigne ", sans qu'il soit question de difficultés liées aux conditions l'exercice de son mandat. Les attestations sur la dégradation de son état de santé émanant de sa famille comme le fait que la CPAM a reconnu, par une décision du 6 avril 2022, le caractère professionnel de sa maladie, demeurent à cet égard sans incidence. Par ailleurs, il n'établit pas davantage que le traitement de sa demande de rupture conventionnelle et le refus que lui a opposé sur ce point son nouvel employeur comme ses changements d'affectation successifs sur différents rayons à la suite du transfert de son contrat, seraient discriminatoires et liés à ses fonctions représentatives et aient fait obstacle à l'exercice de son mandat. Par suite, M. B... n'établit pas plus en appel qu'en première instance par d'autres éléments, et contrairement à ce qu'il avance de nouveau, que son employeur aurait fait obstacle d'une manière ou d'une autre à l'exercice de ses fonctions représentatives.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 30 juin 2020 autorisant son licenciement pour inaptitude, décision confirmée par la ministre du travail par une décision du 21 décembre 2020.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme de 800 euros à la société Sodiquartier au titre des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à la société Sodiquartier la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Sodiquartier présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Sodiquartier et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Une copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bretagne.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22NT02019 2
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