Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 27 septembre 2019 autorisant son licenciement pour inaptitude, ainsi que la décision de la ministre du travail du 29 avril 2020 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n°2002572 du 31 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 mars 2022 et le 19 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Dubourg, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 janvier 2022 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 27 septembre 2019 autorisant son licenciement pour inaptitude, ainsi que la décision de la ministre du travail du 29 avril 2020 rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de l'État et de la société " ... " une somme de 2 500 euros chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a pas été mis à même d'être auditionné lors de la réunion du comité d'établissement du 18 juillet 2019, en méconnaissance des dispositions des articles L 2421-3 et suivants du code du travail :
* si une convocation lui a bien été adressée l'invitant à participer à la réunion, cette convocation ne précisait pas qu'il était susceptible d'être auditionné et qu'il pouvait donc présenter un argumentaire en défense ;
* il n'a retiré ce courrier que quatre jours avant la réunion, ce qui ne lui laissait pas le temps d'organiser sa défense ;
- la décision de l'inspectrice du travail ne vise pas la consultation obligatoire des représentants du personnel ;
- la dégradation de son état de santé résulte des obstacles mis par son employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives et son licenciement est consécutif à une situation de harcèlement moral, en lien avec sa qualité de salarié protégé :
* dans le cadre d'une procédure disciplinaire, il lui a été refusé de bénéficier de l'assistance d'un conseil, au mépris des droits de la défense ;
* il a subi des propos désobligeants, voire menaçants, notamment sur ses fonctions syndicales, et ce devant ses collègues ;
* il a été régulièrement stigmatisé en raison de ses temps d'absence pour motif syndical ;
* sa charge de travail n'a jamais été adaptée à l'existence de ses mandats syndicaux et il n'a pas été suffisamment accompagné, notamment lors de son affectation à Fougères ;
* il a sollicité des mutations ou mobilité vers des postes permettant un meilleur exercice de l'activité syndicale, ce qui lui a été refusé, de même que les formations qu'il souhaitait suivre ;
* il n'a pas bénéficié d'entretiens mensuels d'activité alors que tous ses collègues en bénéficiaient ;
* depuis sa prise de mandat, sa part variable n'a eu de cesse de diminuer alors que ses entretiens annuels d'activité ont toujours été conformes et ses appréciations régulièrement positives ;
- il appartenait à l'inspectrice du travail, puis à la ministre du travail, de vérifier que son licenciement n'était pas consécutif à une situation de harcèlement moral ;
- son employeur connaissait son état de fatigue intense liée à une charge de travail trop importante, elle-même liée à son activité syndicale ;
- contrairement à ce qu'ont estimé l'inspectrice du travail et la ministre, son inaptitude ne rendait pas impossible la poursuite du lien de travail, notamment dans un emploi différent du même groupe.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2022, la société " ... " conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 janvier 2022, en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande fondée sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à ce qu'il soit mis à la charge de M. B... une somme de 2 500 euros, dans le cadre de l'appel, au titre de ces mêmes dispositions.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dubourg pour M. B... et de Me Tuil, représentant la société " ... ".
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., employé depuis 1er décembre 2009 par la société " ... " en qualité de ..., a été élu représentant des salariés au conseil d'administration de la fédération du ... à compter du 23 avril 2017, membre de la commission emploi au comité central d'entreprise à compter du 1er mars 2018 et conseiller des salariés à compter du 10 avril 2018. Par un avis du 21 juin 2019, le médecin du travail l'a déclaré inapte et estimé que l'état de santé de l'intéressé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Par un courrier du 23 juillet 2019, l'employeur a sollicité auprès de l'inspectrice du travail l'autorisation de procéder au licenciement pour inaptitude de M. B.... Par une décision du 27 septembre 2019, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement du requérant pour inaptitude. M. B... a alors contesté cette décision par un recours gracieux du 25 novembre 2019. Par une décision du 29 avril 2020, la ministre du travail a rejeté son recours gracieux. Par un jugement du 31 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 27 septembre 2019, ensemble la décision de la ministre du travail rejetant son recours gracieux. M. B... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions d'appel principal de M. B... :
2. Aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III. / L'avis est réputé acquis nonobstant l'acquisition d'un nouveau mandat postérieurement à cette consultation. (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-9 du même code : " L'avis du comité social et économique est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé. (...) "
3. En premier lieu, si M. B... soutient qu'il n'a pas été mis à même d'être auditionné lors de la réunion du comité d'établissement du 18 juillet 2019, en méconnaissance des dispositions précitées, il ressort des pièces du dossier qu'une convocation lui a bien été adressée par un courrier du 10 juillet 2019, l'invitant à participer à cette réunion. Le requérant a accusé réception de ce courrier le 15 juillet 2019, mais il n'a pas assisté à la réunion de ce comité d'établissement. Dans ces conditions, M. B... a été mis en mesure de présenter ses observations lors du comité d'établissement du 18 juillet 2019. La circonstance que la convocation ne précisait pas qu'il était susceptible d'être auditionné et qu'il pouvait présenter un argumentaire en défense ou qu'il n'ait retiré sa convocation que quatre jours avant la réunion, est sans incidence sur la régularité de la procédure.
4. En deuxième lieu, comme l'a relevé le tribunal, M. B... ne saurait utilement faire valoir que la décision de l'inspectrice du travail ne vise pas la consultation obligatoire des représentants du personnel alors qu'aucune disposition du code du travail ne prévoit cette obligation. En tout état de cause, il ressort des pièces du rapport de l'inspectrice du travail du 17 mars 2020 que celle-ci s'est bien assurée du respect de la tenue de cette réunion du comité d'établissement le 18 juillet 2019.
5. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1226-2-1 du même code : " (...) / L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. (...). ".
6. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise, et non de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard, de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
7. En l'espèce, par un avis du 21 juin 2019, le médecin du travail a déclaré M. B... inapte, en précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
8. Si M. B... fait valoir, en troisième lieu, que dans le cadre d'une procédure disciplinaire visant à lui infliger un avertissement après avoir émis, sur le réseau public social Twitter, un " tweet ", relayant celui d'un journaliste concernant le mouvement Génération Identitaire, il lui a été refusé de bénéficier de l'assistance d'un conseil, au mépris des droits de la défense, cette circonstance, au demeurant non nécessaire dans le cadre d'une sanction écrite du premier degré telle que prévue par l'article 9-1 de la convention collective de l'entreprise " ... ", ne saurait révéler que l'employeur aurait fait obstacle à l'exercice de ses fonctions représentatives.
9. En quatrième lieu, M. B... fait valoir qu'il a subi des propos désobligeants, voire menaçants, notamment sur ses fonctions syndicales, et ce, devant ses collègues. Mais si les propos tenus par l'employeur du requérant ont pu être déplacés ou inappropriés lors des réunions des 21 décembre 2018 et 5 juillet 2019, comme l'a notamment relevé l'inspectrice du travail dans ses observations faisant suite à la réunion de l'instance de proximité du 5 juillet 2018, il ne ressort pas des pièces du dossier que les propos en question visaient la qualité de salarié protégé du requérant et qu'ils aient été de nature à détériorer son état de santé.
10. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait été stigmatisé en raison de ses temps d'absence pour motif syndical. Aucun élément au dossier ne permet d'attester que l'employeur du requérant aurait formulé des reproches à son intention concernant ses absences syndicales ou concernant l'articulation entre son temps de travail et ses charges syndicales. La société " ... " a, au contraire, veillé à adapter la charge de travail du requérant à l'exercice de ses mandats syndicaux, en modifiant l'organisation de son équipe de travail, notamment dans le cadre de ses fonctions à la caisse de ....
11. En sixième lieu, M. B... fait valoir qu'il a sollicité des mutations ou mobilité vers des postes permettant un meilleur exercice de l'activité syndicale, ce qui lui a été refusé, de même que les formations qu'il souhaitait suivre. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'il a fait l'objet d'une mutation à l'agence de ... à compter du 18 septembre 2018 et qu'il a refusé une mutation à l'agence de .... En outre, la société " ... " produit une liste de formations que le requérant a suivi et des courriels attestant qu'une assistance sur ces outils lui a été proposé.
12. En septième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, M. B... a bénéficié d'entretiens mensuels d'activité réguliers donnant lieu à compte-rendu, qui portaient sur son activité et non pas sur ses temps d'absence syndicale. Il ressort également des pièces du dossier que la diminution de la part variable de sa rémunération perçue en 2018 au titre de l'année 2017, résulte d'une atteinte moindre de ses résultats par rapport à ses collègues et n'est pas liée à des agissements constitutifs de harcèlement moral.
13. En dernier lieu, si l'administration doit vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il appartenait à l'inspectrice du travail, puis à la ministre du travail, de vérifier que son licenciement n'était pas consécutif à une situation de harcèlement moral. Si l'employeur du requérant connaissait l'état de fatigue intense de M. B... et ses problèmes personnels, ainsi qu'en atteste le compte-rendu du 5 septembre 2018 de la conseillère d'orientation professionnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette fatigue intense soit liée à des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives. Enfin, eu égard au fait que, par un avis du 21 juin 2019, le médecin du travail a déclaré M. B... inapte, en précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, cette inaptitude rendait impossible la poursuite du lien de travail, notamment dans un emploi différent du même groupe.
14. Il résulte de tout ce qui précède, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions d'appel incident de la société " ... " :
15. En estimant qu'il n'y avait pas lieu de faire droit aux conclusions de la société " ... " présentées en première instance sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, compte tenu des circonstances de l'espèce, le tribunal administratif de Rennes a suffisamment motivé sa décision.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société " ... ", qui ne sont pas dans la présente instance parties perdantes, la somme demandée par M. B..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société " ... " présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... et les conclusions d'appel incident de la société ... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la société ... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la ministre du travail et à la société ....
Copie en sera adressée à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bretagne.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre chargé du travail en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22NT00982