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21/07/2023 | FRANCE | N°22NT03960

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 21 juillet 2023, 22NT03960


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, par deux recours distincts, d'annuler, d'une part, la décision du 10 avril 2018 par laquelle le directeur général du centre hospitalier ... l'a suspendu à titre conservatoire de ses fonctions à effet au 11 avril 2018 pour une durée maximale de quatre mois et, d'autre part, la décision du 29 juin 2018 par laquelle ce même directeur a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de neuf mois dont six mois avec sursis.

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n jugement n° 1805271, 1807893 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, par deux recours distincts, d'annuler, d'une part, la décision du 10 avril 2018 par laquelle le directeur général du centre hospitalier ... l'a suspendu à titre conservatoire de ses fonctions à effet au 11 avril 2018 pour une durée maximale de quatre mois et, d'autre part, la décision du 29 juin 2018 par laquelle ce même directeur a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de neuf mois dont six mois avec sursis.

Par un jugement n° 1805271, 1807893 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 décembre 2022 et 28 mai 2023, M. A..., représenté par Me Landry, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande enregistrée sous le n° 1807893 tendant à l'annulation de la décision du 29 juin 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 29 juin 2018 du directeur général du centre hospitalier ... portant exclusion temporaire de fonction d'une durée de neuf mois dont six mois avec sursis ;

3°) d'enjoindre au centre hospitalier ... de le réintégrer dans ses fonctions et son emploi avec reconstitution de carrière et de notation et tous les attributs s'y rapportant ou en étant l'accessoire ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier ... la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse est insuffisamment motivée ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis ;

- il n'a commis aucun manquement fautif ;

- la décision litigieuse est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que la sanction est disproportionnée.

Par un mémoire enregistré le 11 mai 2023, le centre hospitalier ..., représenté par Me Houdart, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que soit mis à la charge de M. A... le paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable en tant qu'elle porte sur la demande d'annulation de la décision de suspension du 10 avril 2018, enregistré au greffe du tribunal sous le n° 1805271, dès lors que cette demande n'est assortie d'aucun moyen ;

- les moyens soulevés contre la décision la décision du 29 juin 2018 sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Flynn, représentant M. A..., et de Me Depasse, représentant le centre hospitalier ....

Considérant ce qui suit :

1. Monsieur A..., entré en qualité d'agent des services hospitaliers auxiliaires du centre hospitalier ... en 1983, a été titularisé dans le corps des aides-soignants le 1er janvier 1988. Il exerçait ses fonctions au sein de la chambre mortuaire du centre hospitalier depuis le 20 mars 2000. Après un signalement par courrier du 25 mars 2018 émanant de l'agent féminin de la chambre mortuaire, M. A... a, par une décision du 10 avril 2018 du directeur général du centre hospitalier, été suspendu à titre conservatoire de ses fonctions pour une durée maximale de quatre mois. Le conseil de discipline de cet établissement, après s'être réuni les 11 et 28 juin 2018, n'est pas parvenu à trouver un accord sur une sanction. Par une décision du 29 juin 2018, le directeur général du centre hospitalier a prononcé à l'encontre de l'intéressé une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de neuf mois dont six mois avec sursis. Par un jugement du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les demandes de M. A... tendant à l'annulation de ces deux décisions. M. A... relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté sa demande, enregistrée au greffe du tribunal sous le n° 1807893, tendant à l'annulation de la sanction qui lui a été infligée.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier ... :

2. Eu égard à ses termes mêmes, la requête de M. A... ne tend qu'à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision de sanction du 29 juin 2018 et non en tant qu'il porte également sur la légalité de la mesure de suspension prise à son encontre le 10 avril 2018. Ainsi la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier ... tenant à ce que cette requête ne comporte aucun moyen au soutien des conclusions à fin d'annulation de la décision de suspension de fonctions ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité de la décision du 29 juin 2018 :

3. En premier lieu, l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors en vigueur : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. / (...) Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. / L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. ". En vertu de ces dispositions, l'autorité qui prononce une sanction disciplinaire doit préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire intéressé, de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

4. Il ressort de la décision contestée que le directeur du centre hospitalier s'est borné à indiquer dans cette décision, au titre des griefs retenus à l'encontre de l'intéressé : " Vu les faits reprochés : apparentés à des agissements sexistes, à du harcèlement sexuel et moral ; pratiques non-conformes aux obligations de travail. ". Il n'a, ce faisant, pas mis à même M. A... de connaître à la seule lecture de cette décision les motifs de la sanction du troisième groupe qui lui était infligée, dès lors en particulier que la notion de pratiques non-conformes aux obligations de travail ne comporte aucune précision sur la nature des griefs en cause. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'énoncé des griefs faits à l'intéressé aurait figuré dans un document joint à la décision contestée. La décision du 29 juin 2018 est, par suite, insuffisamment motivée, alors même qu'elle vise diverses pièces et témoignages ainsi que l'absence d'avis du conseil de discipline réuni les 11 et 28 juin 2018.

5. En second lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ". Aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. (...) Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas. ". Il résulte de cette disposition que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

6. D'une première part, s'agissant du harcèlement moral, la collègue féminine de

M. A..., qui a travaillé avec lui à la morgue du centre hospitalier a dénoncé des agissements répétés de la part de ce dernier ayant eu pour objet ou pour effet, selon elle, une dégradation de ses propres conditions de travail susceptible notamment de porter atteinte à sa dignité et d'altérer sa santé mentale. Elle relate ainsi une difficulté professionnelle vécue à la morgue où elle s'est trouvée confrontée seule, du fait du requérant, à la situation d'un cadavre enveloppé dans une housse mortuaire non étanche et de laquelle sortaient des asticots. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier et notamment du procès-verbal du conseil de discipline du 11 juin 2018 que M. A..., qui avait laissé à sa collègue des consignes, aurait constaté lui-même la non-étanchéité de cette housse à son départ du service et aurait ainsi une part de responsabilité dans le déclenchement de l'incident en cause. Si l'intéressée a également affirmé avoir été délibérément déstabilisée à son arrivée dans le service en devant réaliser une mise en reliquaire de fœtus, il ressort des pièces du dossier que ce n'est pas M. A..., mais un autre collègue qui lui a confié cette tâche. De même, si des personnels du centre hospitalier ont témoigné d'une mauvaise entente entre M. A... et l'intéressée, il ressort aussi d'un témoignage qu'à l'arrivée de cette dernière à la morgue, le requérant partageait avec elle le même bureau et ils pratiquaient ensemble la course à pied durant leurs temps de loisir, ce qui tend à infirmer les déclarations de cette dernière concernant le mauvais accueil qu'il lui aurait réservé à son arrivée dans ce service. Les agissements allégués de harcèlement moral ne sont donc pas établis.

7. D'une deuxième part, s'agissant des agissements sexistes et du harcèlement sexuel, il est constant que M. A... tenait, dans un contexte professionnel, des propos, se voulant humoristiques, à caractère sexiste. Toutefois, il ne ressort d'aucun témoignage direct que ces propos auraient été proférées à l'encontre de sa collègue, comme celle-ci l'a affirmé à l'administration. Si cette dernière a déclaré que ces agissements sexistes envers elle auraient eu lieu en présence de plusieurs personnes, dont deux en particulier, ces personnes ont nié en avoir été les témoins, alors que M. A... produit de nombreux témoignages circonstanciés en sa faveur concernant son comportement envers les femmes. Sa collègue a encore indiqué que M. A... lui avait montré une photographie de lui jeune en maillot de bain. Ce seul élément ne permet cependant pas d'établir de la part de l'intéressé un comportement de harcèlement sexuel, alors qu'il n'est pas même allégué qu'il aurait relevé d'une pression exercée pour obtenir un acte sexuel. Il n'est donc pas établi que M. A... se soit rendu responsable envers sa collègue d'agissements sexistes ou relevant du harcèlement sexuel.

8. D'une troisième part, il n'est ni établi, ni même au demeurant allégué par le centre hospitalier que M. A... ait eu, par ailleurs, des pratiques non-conformes aux obligations de travail, second motif fondant la décision en litige.

9. Eu égard à ce qui précède, l'établissement public ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de la matérialité des faits sur lesquels la sanction disciplinaire en litige est fondée et que conteste le requérant.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du

29 juin 2018.

Sur l'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, d'enjoindre au centre hospitalier ... de réintégrer juridiquement M. A... dans ses fonctions pour la période durant laquelle il a été exclu de celles-ci avec toutes les conséquences de droit, et notamment la reconstitution de sa carrière. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de procéder à cette réintégration dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mis à la charge de

M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

13. Il y a lieu, en revanche, en application de ces dispositions, de mettre à la charge du centre hospitalier ... une somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 octobre 2022 en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... enregistrée sous le n° 1807893 et la décision du 29 juin 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier ... a prononcé à l'encontre de M. A... une exclusion temporaire de fonctions de neuf mois dont six mois avec sursis sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au directeur du centre hospitalier ... de réintégrer juridiquement M. A... dans ses fonctions pour la période durant laquelle il a été exclu de celles-ci avec toutes les conséquences de droit dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier ... versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par le centre hospitalier ... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au centre hospitalier ....

Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président de chambre,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.

Le rapporteur,

X. Catroux Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT3960


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03960
Date de la décision : 21/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL HOUDART et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-07-21;22nt03960 ?
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