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23/05/2023 | FRANCE | N°21NT02099

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 23 mai 2023, 21NT02099


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice moral et du trouble dans ses conditions d'existence, résultant de la carence fautive de l'Etat (ministère des armées) à l'avoir exposé, pendant de nombreuses années, aux rayonnements ionisants, sans moyen de protection efficace.

Par un jugement n° 1804977 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de R

ennes a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 10 000 euros, assortie des...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice moral et du trouble dans ses conditions d'existence, résultant de la carence fautive de l'Etat (ministère des armées) à l'avoir exposé, pendant de nombreuses années, aux rayonnements ionisants, sans moyen de protection efficace.

Par un jugement n° 1804977 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation en réparation de ses préjudices, a mis la somme de 800 euros à la charge de l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juillet 2021, le ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 mai 2021 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 10 000 euros ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par M. A....

Il soutient que :

- les conclusions de M. A... portant à 20 000 euros la somme demandée en réparation de son préjudice d'anxiété lié à son exposition aux rayonnements ionisants, qui ont été présentées après l'expiration du délai de recours contentieux, sont irrecevables ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il affirme notamment qu'une exposition à faible dose peut entraîner des pathologies de type cancérogène ;

- la responsabilité de l'Etat, en tant qu'employeur, ne peut être engagée ; il n'existe, en effet, aucune protection contre les rayonnements ionisants ; seule une réduction du risque passant par la détection des rayonnements ionisants et une estimation des doses reçues par les personnes exposées sont possibles ; M. A..., qui a fait l'objet d'une surveillance dosimétrique de 1974 à 1995, a bénéficié des mesures qui ont été mises en œuvre à la DCN à partir de 1996 ; en tout état de cause, l'exposition des ouvriers de l'Ile Longue aux rayonnements ionisants reste faible et conforme aux seuils prévus par la règlementation ;

- la créance de M. A... était prescrite à la date de sa réclamation préalable ;

- l'intéressé avait une connaissance suffisante du risque encouru dès 1996-1997, de sorte que sa créance était prescrite au 31 décembre 2001 ;

- M. A..., dont les doses cumulées restent inférieures aux seuils scientifiquement et réglementairement admis, n'établit pas la réalité d'un préjudice moral qui serait lié à son exposition aux rayonnements ionisants ;

- la littérature scientifique ne permet pas d'établir un lien entre une exposition prolongée même à faible dose et le risque de développer une pathologie cancéreuse ; or le préjudice d'anxiété, qui doit être certain, n'est reconnu que lorsque l'intéressé fait état d'un risque élevé de développer une maladie grave du fait de son exposition aux rayonnements ionisants ;

- le relevé dosimétrique produit par l'intéressé fait apparaître que la dose maximale de radiation enregistrée en organisme entier à laquelle il a été exposé est de 14 mSv et que le cumul vie de dose efficace en exposition externe s'élève à 57,25 mSv, ce qui correspondant à des doses présentant un caractère faible ;

- il ne ressort pas des attestations produites que M. A... a été exposé de manière constante et continue tout au long de sa carrière de sorte qu'il n'a pas subi une exposition prolongée à faible dose ;

- son préjudice est personnel et si l'intéressé évoque les pathologies développées par certains de ses collègues, il n'établit pas qu'il se trouverait dans une situation similaire au regard du risque encouru de voir baisser son espérance de vie ; il n'apporte aucun élément probant démontrant le degré de son anxiété et le caractère préjudiciable de celle-ci dans sa vie quotidienne ;

- la somme de 10 000 euros allouée par le tribunal administratif apparaît manifestement disproportionnée dès lors que l'exposition continue et prolongée de M. A... n'est pas établie ;

Pour le surplus, le ministre s'en rapporte à ses écritures produites en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2022, M. A... représenté par Me Macouillard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre des armées ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de sécurité sociale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n°66-450 du 20 juin 1966 ;

- le décret n°86-1103 du 2 octobre 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a exercé les fonctions de contrôleur à la direction des constructions navales (DCN) de Brest, notamment sur le site de l'Ile Longue, du 17 juin 1974 au 31 mai 1997 avant de rejoindre la base aéronavale de Landivisiau à compter du 1er juin 1997. Par une réclamation préalable reçue le 20 juin 2018, il a sollicité de la ministre des armées la réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition aux rayonnements ionisants sans aucun moyen de protection efficace fourni par l'employeur. Sa demande a été implicitement rejetée. Par un jugement du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Rennes, saisi par M. A..., a condamné l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation de ses préjudices. Le ministre des armées relève appel, dans cette mesure, de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutient le ministre, le jugement attaqué est suffisamment motivé. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État (...) sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi (...) ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) ".

4. S'agissant du point de départ du délai de prescription, ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 3, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Il résulte des dispositions citées au point 3 que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître de façon suffisamment précise l'origine et la gravité du dommage qu'elle a subi ou est susceptible de subir. Dans le cas du préjudice moral d'anxiété dont peuvent se prévaloir les agents publics qui ne sont pas bénéficiaires de l'un des dispositifs législatifs d'indemnisation mis en place, cette connaissance naît de la conscience prise par l'intéressé qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 3, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de cette connaissance.

6. A cet égard, s'il est constant que le commissariat à l'énergie atomique (CEA) a, en 1996, alerté la direction de la pyrotechnie du site de l'Ile Longue d'une émission de rayonnements Gamma plus élevée sur le dernier type de tête nucléaire livré à partir des années 1993-1994, entraînant la suspension temporaire de l'activité du site afin de prendre des mesures de protection, cet incident, contrairement à ce que fait valoir le ministre des armées, n'a toutefois pas permis à M. A... d'avoir alors une connaissance suffisante de ses conditions personnelles d'exposition aux rayonnements ionisants, susceptible de lui faire prendre conscience de l'étendue et de la gravité du risque sanitaire qu'il encourait. En revanche, la délivrance, le 20 février 2018 par la DCNS de Brest, d'une attestation personnelle d'exposition aux rayonnements ionisants mentionnant l'intervention de M. A... sur des systèmes d'armes de dissuasion nucléaire du 17 juin 1974 au 31 mars 1997 a permis à ce dernier d'acquérir la connaissance de l'étendue et de la gravité du risque sanitaire qu'il encourait. Par suite, le délai de prescription quadriennale pour l'ensemble de la période concernée a débuté le 1er janvier 2019 de sorte que le ministre n'est pas fondé à soutenir que la créance de M. A... consécutive à son exposition aux rayonnements ionisants était prescrite à la date du 20 juin 2018, à laquelle il a été saisi par l'intéressé d'une réclamation préalable.

Sur la responsabilité de l'Etat :

7. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

8. Il ressort des dispositions du décret susvisé du 20 juin 1966 relatif aux principes généraux de protection contre les rayonnements ionisants, applicable durant la période d'exposition de l'intéressé, qu'une zone contrôlée et surveillée doit être établie lorsque les travailleurs sont susceptibles d'être exposés, dans des conditions de travail normales, à des doses réglementairement définies (article 21). Le même texte impose une surveillance individuelle de l'irradiation externe et de la contamination interne des agents directement affectés à des travaux sous rayonnements, permettant d'évaluer des équivalents de doses reçues (article 24) et précise le contenu de la surveillance médicale particulière à laquelle ils sont soumis (article 25) ainsi que les conditions de conservation de ces mesures et résultats d'examens médicaux (article 26). Enfin, ce décret impose également d'informer des risques et précautions à prendre les personnes appelées à travailler en milieu soumis à rayonnements (article 27).

9. Aux termes de l'article 3 du décret susvisé du 2 octobre 1986 relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants, alors applicable : " I. - En vue de déterminer les conditions dans lesquelles doivent être effectuées la surveillance radiologique et la surveillance médicale, les travailleurs dont l'exposition est susceptible de dépasser un dixième des limites annuelles d'exposition fixées aux articles 6, 7 et 8 ci-dessous sont classés par l'employeur dans l'une des deux catégories suivantes : / Catégorie A : travailleurs directement affectés à des travaux sous rayonnements : personnes dont les conditions habituelles de travail sont susceptibles d'entraîner le dépassement des trois dixièmes des limites annuelles d'exposition fixées aux articles 6, 7 et 8 du présent décret. / Catégorie B : travailleurs non directement affectés à des travaux sous rayonnements : personnes dont les conditions habituelles de travail sont telles qu'elles ne peuvent normalement pas entraîner le dépassement des trois dixièmes des limites annuelles d'exposition fixées aux articles 6, 7 et 8 du présent décret (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Les limites fixées aux chapitres III et IV ci-dessous ne s'appliquent pas à l'exposition due aux sources naturelles de rayonnement ni aux expositions subies par les travailleurs du fait des examens ou traitements médicaux auxquels ils sont soumis. ". Il ressort de plus des dispositions de ce texte que sont précisées par l'employeur, qui est tenu d'assurer la protection de ses agents, les conditions de définition des zones contrôlées et surveillées autour des sources d'émission (articles 23 à 25). A cet effet, les manipulations de sources radioactives ou générateurs électriques de rayonnements ionisants doivent toujours s'effectuer sous la surveillance d'une personne compétente désignée par l'employeur, préalablement formée et dont la mission est précisément décrite (article 17) et les agents exposés doivent être formés à la radioprotection (article 19). De plus, il résulte des articles 28, 31, 34, 36, 37, 39 du décret du 2 octobre 1986 qu'un contrôle de la dosimétrie d'ambiance, ainsi qu'un contrôle individuel de la dosimétrie des travailleurs exposés, notamment ceux classés en catégorie A pour lesquels un examen médical biannuel est prévu, sont exigés.

10. La méconnaissance significative des obligations rappelées aux points 8 et 9 ci-dessus est un manquement constitutif d'une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat en sa qualité d'employeur des ouvriers de l'Etat exposés, en conditions normales de travail, à des rayonnements ionisants.

11. En l'espèce, il ressort des mentions précises du compte rendu du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui s'est réuni le 21 novembre 1996, relatif à la présentation des dispositions relatives à la mise en place des zones contrôlées, à la Pyrotechnie de l'Ile-Longue, que, à cette date, la création des zones contrôlées, la mise en place de la dosimétrie individuelle et l'information des agents exposés sur les risques encourus n'étaient pas effectives, en méconnaissance des dispositions du décret du 20 juin 1966 rappelées au point 8. Il ressort par ailleurs des mentions du compte rendu du CHSCT du 10 décembre 1996 que le classement du personnel concerné en catégorie A n'est intervenu qu'à la fin de l'année 1996, en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du décret du 2 octobre 1986. Il ne ressort d'aucune autre pièce que certaines des mesures obligatoires citées aux points 8 et 9 ont fait l'objet d'un début d'application avant la fin de l'année 1996. En revanche, il ressort des mentions portées sur les mêmes pièces qu'à compter de cette date, les personnels concernés ont été placés en catégorie A ou B, que les zones contrôlées ont été créées et les rayonnements, dans ces zones, mesurés. De la même manière, deux référents au sens de l'article 17 du décret du 2 octobre 1986 ont été désignés, une note d'information aux personnels concernés a été remise, conformément aux dispositions de l'article 19 du même décret et la dosimétrie individuelle mise en place. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de l'Etat employeur pour sa carence fautive est engagée pour la période antérieure à l'année 1997 mais doit être écartée à compter de cette date.

Sur les préjudices :

12. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux rayonnements ionisants susceptible de l'exposer à un risque significatif de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment significative et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque significatif de développer une pathologie grave.

13. Doivent ainsi être regardés comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'ils ont été exposées à un risque significatif de pathologie grave, notamment cancéreuse, et de diminution de leur espérance de vie, les agents qui établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions au contact avec des rayonnements ionisants, sans pouvoir échapper aux risques y afférents.

14. Il ressort de l'attestation délivrée le 20 février 2018 par la DCNS, que M. A..., qui n'a alors reçu aucune information sur la nature ou la gravité des risques encourus, a été exposé dans le cadre de ses fonctions de contrôleur " non destructif ", entre le 17 juin 1974 et le 31 mars 1997, à des rayonnements ionisants durant ses heures de service, ce qui a conduit, pour la totalité de la période d'exposition, à son classement en catégorie A au sens de l'article 3 du décret du 2 octobre 1986. Cette période de plus de 22 ans, a toutefois été interrompue pendant plus de deux années par plusieurs autorisations spéciales d'absence en 1985, 1988 et 1992 ainsi que par un congé de maladie sans solde du 29 janvier 1993 au 4 septembre 1994, de sorte que l'intéressé justifie d'une durée d'exposition aux rayonnements ionisants entre 1974 et 1996 (compte tenu de ce qui a été dit au point 11) d'environ 20 ans. Les données dosimétriques individuelles produites au dossier résultent, ainsi que dit au point 11 du présent arrêt pour la période antérieure à 1997, d'une opération de reconstitution dont les modalités ne sont pas expliquées, ni vérifiables. De plus, il résulte de l'article 5 précité du décret du 2 octobre 1986 que les limites d'exposition des agents s'entendent hors exposition aux sources naturelles de rayonnement ou utilisation médicale, ce qui exclut tout rapprochement ou comparaison avec l'exposition professionnelle pour la définition du préjudice en cause. En conséquence, l'exposition professionnelle de l'intéressé aux rayonnements ionisants pendant une durée d'environ vingt années dans les conditions décrites ci-dessus a légitimement généré chez lui une crainte de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée. Eu égard à ce qui vient d'être dit ci-dessus, la somme de 10 000 euros allouée par le tribunal administratif constitue une juste appréciation du préjudice d'anxiété de M. A... pour la période allant uniquement du 17 juin 1974 au 31 décembre 1996.

15. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre en ce qui concerne le quantum de la demande, que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 10 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2018, date de réception de sa réclamation préalable, et de leur capitalisation à compter du 20 juin 2019, date à laquelle une année d'intérêts était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. C... A....

Délibéré après l'audience du 5 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mai 2023.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I.PETTON

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°21NT02099


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02099
Date de la décision : 23/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-05-23;21nt02099 ?
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