Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 12 mai 2022 par laquelle le préfet du Finistère lui a refusé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français.
Par un jugement n° 2203236 du 29 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 janvier et 23 mars 2023, Mme D... E..., représentée par Me Vervenne, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 12 mai 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " avec autorisation de travailler, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision litigieuse méconnaît l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est établi que le père de l'enfant A... participe effectivement à l'entretien et à l'éducation de son fils ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle a ajouté une condition de contribution régulière à l'entretien et à l'éducation de ses enfants français non prévue par l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce que l'article L. 423-8, à la différence de l'article L. 423-7, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'impose pas de durée de contribution effective à l'éducation et à l'entretien de l'enfant ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est en outre entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences du refus sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît la liberté d'aller et venir, principe à valeur constitutionnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute d'avoir été précédé de la consultation de la commission du titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2023, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par Mme E... ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Le Roy, substituant Me Vervenne, représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E..., de nationalité comorienne née le 31 décembre 1991, est mère de trois enfants français nés en 2015, 2018 et 2020. Elle a été titulaire à Mayotte de titres de séjour temporaires portant la mention " vie privée et familiale " en cette qualité, en dernier lieu du 4 mai 2020 au 3 mai 2021. Elle est entrée en métropole en février 2021 accompagnée de ses deux plus jeunes enfants. Elle a sollicité, le 4 août 2021, le renouvellement de son titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, sur le fondement des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 21 octobre 2021, le préfet du Finistère lui a refusé la délivrance de ce titre de séjour. A la suite de la suspension de l'exécution de cette première décision par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, le préfet du Finistère a de nouveau rejeté la demande de titre de séjour de Mme E..., par décision du 12 mai 2022. L'intéressée relève appel du jugement du 29 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette nouvelle décision.
2. Eu égard à la substitution de motifs à laquelle les premiers juges ont procédé, le refus de délivrer à Mme E... un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français est fondé sur la circonstance qu'elle ne rapporte pas la preuve de la contribution des pères de ses enfants français à leur entretien et à leur éducation depuis leur naissance ou depuis deux ans et que ce refus de séjour ne compromet pas l'intérêt supérieur des enfants.
3. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". L'article L. 423-8 du même code dispose que : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsque le demandeur est le parent d'un enfant reconnu par un ressortissant français, il doit démontrer, conformément aux prescriptions de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'auteur de cette reconnaissance de paternité contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant à la date de la décision attaquée, sans que la condition de durée posée par l'article L. 423-7 du même code ne trouve à s'appliquer.
5. Il est constant que Mme E... réside en France métropolitaine depuis février 2021 avec ses deux plus jeunes enfants, A... et B..., de nationalité française, qui ont été reconnus par leurs pères respectifs dans le cadre de l'article 316 du code civil, tandis que son aîné Emric est resté à Mayotte avec son père de nationalité française. Mme E... justifiait, à la date de la décision litigieuse, bénéficier de transferts mensuels d'argent par mandats de 100 euros reçus du père de son fils A... depuis le mois de septembre 2021. Elle produit une attestation de la personne qui déclare avoir gardé son fils A... à Mayotte depuis ses trois mois attestant que son père s'occupait de lui ainsi qu'une attestation du père de l'enfant lui-même, qui déclare qu'il lui remettait l'argent en espèces lorsqu'elle vivait à Mayotte puis à son arrivée en métropole le temps qu'elle ouvre un compte bancaire. Mme E... établit en outre que le père de A... s'est rendu en France métropolitaine du 25 janvier au 5 février 2022, puis au mois de septembre 2022. Dès lors, bien que ce dernier élément soit postérieur à la décision en litige, Mme E... justifie que le père de A... contribuait effectivement à l'éducation et à l'entretien de son enfant à la date du refus de titre de séjour litigieux. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré de ce que ce refus de titre séjour est entaché d'une inexacte application des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, la délivrance à Mme E... d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un tel titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
8. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Vervenne dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 décembre 2022 et la décision du préfet du Finistère du 12 mai 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de délivrer à Mme E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Vervenne une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.
La rapporteure,
J. C...
Le président,
O. Couvert-Castéra
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00014