Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 21 février 2022 par lequel le préfet du Finistère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office ainsi que la décision rejetant implicitement son recours gracieux contre cet arrêté.
Par un jugement n° 2202989 du 16 septembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 octobre 2022 et 20 janvier 2023, M. A... B..., représenté par Me Vervenne, demande à la cour :
A titre principal :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 septembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 21 février 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou un titre au regard des motifs exceptionnels avec autorisation de travailler, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
A titre subsidiaire :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive concernant l'allégation de faux et usage de faux ;
2°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler durant le temps du sursis à statuer.
En tout état de cause :
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur de droit, et de la méconnaissance de l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 et de l'article 47 du code civil en estimant qu'il s'agissait de documents falsifiés et en en remettant en cause la régularité ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2023, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Roy, substituant Me Vervenne, représentant M. B....
Une note en délibéré, enregistrée le 11 avril 2023, a été présentée pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant malien, se disant né le 20 septembre 2001 et entré irrégulièrement en France en décembre 2017, a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Finistère, auxquels il a été confié par l'autorité judiciaire en qualité de mineur non accompagné. L'intéressé a sollicité le 25 juin 2019 la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " sur le fondement de l'article L. 313-15 désormais codifié à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile repris à l'article L. 423-23 du même code. Par un arrêté du 21 février 2022, le préfet du Finistère a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office. M. B... relève appel du jugement du 16 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française (...) ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou de " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Pour refuser à M. B... la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Finistère s'est essentiellement fondé sur le caractère frauduleux et irrégulier des documents d'identité et d'état civil présentés, estimant qu'au regard de cette fraude à l'état civil, la condition d'âge posée par ces dispositions n'était pas satisfaite.
6. Afin de justifier de la condition d'âge, M. B... avait produit à l'appui de sa demande un jugement supplétif d'acte de naissance, un acte de naissance dressé suivant ce jugement supplétif, un passeport et une carte consulaire. Le rapport des services d'analyse de la police aux frontières, sur lequel s'est appuyé le préfet du Finistère, a conclu que le passeport de M. B..., qui lui a été délivré le 26 novembre 2016, présentait les caractéristiques d'un document contrefait et a émis un avis défavorable quant à l'authenticité du jugement supplétif et de l'acte de naissance dressé suivant ce jugement au motif que la date de naissance était mentionnée en chiffres et non en lettres en méconnaissance de l'article 126 du code de la famille malien, que l'acte de naissance avait été rendu avant l'expiration du délai d'appel et que le jugement supplétif n'avait pas été contresigné par le maire en méconnaissance de l'article 134 du code de la famille malien. Toutefois, les dispositions des articles 554 et 555 du code de procédure civil malien qui fixent les délais d'appel contre les jugements, ne subordonnent pas la transcription d'un jugement supplétif d'acte de naissance à l'expiration du délai d'appel, et l'article 151 du code des personnes et de la famille prévoit que la transcription d'un tel jugement supplétif est demandée " dans les plus brefs délais " par le procureur de la République. Par ailleurs, l'article 134 du code de la famille malien impose aux requêtes aux fins de jugement supplétif d'être contresignées par le maire compétent et non aux jugements supplétifs rendus par l'autorité judiciaire. Les éléments mis en avant par l'administration ne sont dès lors pas de nature à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif. Au surplus, les mentions figurant sur l'ensemble des documents d'identité ou d'état civil de M. B... sont en tous points concordantes et tant l'évaluation socio-éducative réalisée au moment du recueil provisoire du jeune que les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance qui l'ont accompagné dans le cadre de sa prise en charge ont confirmé l'âge et la minorité allégués. L'identité et l'état civil de l'intéressé étant établis par le jugement supplétif en cause, le préfet du Finistère ne peut utilement invoquer le caractère falsifié ou contrefait du passeport de M. B.... Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré de ce que le préfet du Finistère a fait une appréciation erronée des faits de l'espèce en estimant que M. B... ne justifiait pas de la condition d'âge posée par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne résulte pas de l'instruction que le préfet du Finistère aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur les seuls autres éléments relatifs à la situation de l'intéressé qu'il a mis en avant dans l'arrêté litigieux.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que la décision fixant le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office doivent être annulées par voie de conséquence.
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement mais nécessairement le réexamen de la situation de M. B.... Il y a lieu, par conséquent, d'enjoindre au préfet du Finistère de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de le munir dans l'attente d'une autorisation de séjour l'autorisant à travailler.
9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Vervenne dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 septembre 2022 et l'arrêté du préfet du Finistère du 21 février 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Vervenne une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie sera transmise, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.
La rapporteure,
J. C...
Le président,
O. Couvert-Castéra
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03383