Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 6 mai 2022 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert vers l'Espagne, responsable de l'examen de sa demande d'asile, et l'a assignée à résidence, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale dans un délai de 72 heures à compter du jugement à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes délais, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve pour ledit conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Par un jugement n° 2206269 du 16 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 juillet et 27 octobre 2022, Mme A..., représentée par Me Arnal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 juin 2022 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 6 mai 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de prendre en charge sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de 72 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué qui ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de la méconnaissance par l'arrêté de transfert des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 est entaché d'irrégularité ;
- l'arrêté de transfert méconnait les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté de transfert est entaché d'un défaut d'examen circonstancié et suffisant de sa situation, le préfet commettant d'ailleurs une erreur de fait en indiquant qu'elle n'établissait pas que son état de santé s'était dégradé depuis son arrivée sur le territoire français alors que la préfecture était informée de son hospitalisation au CHU en psychiatrie ;
- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 compte tenu de son état de santé ; le tribunal a commis une erreur de droit en exigeant la preuve d'une " vulnérabilité particulière " qui n'est prévue par aucun texte ; son transfert en Espagne entraînera une rupture des soins et une aggravation de son état psychique ;
- l'arrêté d'assignation à résidence est illégal du fait de l'illégalité de l'arrêté de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés par Mme A... ne sont pas fondés.
En réponse au moyen d'ordre public communiqué aux parties le 5 janvier 2023, le préfet de Maine-et-Loire, par un mémoire enregistré le 9 janvier 2023, conclut à ce qu'un non-lieu soit prononcé sur les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert contesté du 6 mai 2022 qui n'a pas été exécuté pendant sa période de sa validité et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
En réponse au moyen d'ordre public susévoqué, Mme A..., par un mémoire enregistré le 9 janvier 2023, demande à la cour de statuer sur la légalité de l'arrêté du 6 mai 2022 portant assignation à résidence.
Par un mémoire en production de pièces, enregistré le 28 mars 2023, Mme A... a communiqué à la cour la décision de l'Office Français de protection des réfugiés et apatrides du 15 mars 2023 accordant à Mme A... la qualité de réfugiée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juillet 2022.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les observations de Me Dahani, substituant Me Arnal, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne, née le 23 juillet 1994 à Conakry (Guinée), est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 29 janvier 2022. Elle a présenté une demande d'asile en France enregistrée le 9 février 2022. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressée avait, le 28 décembre 2021, franchi irrégulièrement la frontière de l'Union européenne par l'Espagne, les autorités de ce pays ayant enregistré ses empreintes digitales à cette date. Consécutivement à leur saisine le 15 février 2022 sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013, les autorités espagnoles ont, le 22 mars 2022, accepté de reprendre en charge l'intéressée. Par deux arrêtés du 6 mai 2022, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de Mme A... aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence. Mme A... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Elle relève appel du jugement du 9 juin 2022 par lequel le magistrat désigné a rejeté sa demande.
En ce qui concerne l'arrêté de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de Mme A... vers l'Espagne a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 16 juin 2022 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt et la France est devenue responsable de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 rappelées ci-dessus. Par suite, les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert et du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre cet arrêté sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. L'arrêté portant assignation à résidence de Mme A... ayant reçu exécution, les conclusions tendant à son annulation conservent leur objet et il y a dès lors lieu d'y statuer.
Sur l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert :
6. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il ressort des pièces versées au dossier, en particulier des certificats médicaux produits, que l'état de santé de Mme A..., qui souffre d'un stress post-traumatique sévère, a rendu nécessaire son hospitalisation en urgence en unité psychiatrique à compter du 14 avril 2022, information qui avait été portée à la connaissance des services préfectoraux, et qu'elle pouvait alors bénéficier du régime de protection universelle maladie (PUMA), en raison des soins urgents qui s'imposaient afin de ne pas mettre en jeu son pronostic vital. Le psychiatre qui suit Mme A..., hospitalisée en psychiatrie jusqu'au 20 avril 2022, a confirmé, le 13 mai 2022, " qu'elle restait envahie par des éléments de stress post-traumatique sévères à type de cauchemars, flashs en lien avec les faits traumatiques passés (agressions au Maroc et en Guinée), (...) qu'elle exprimait des idées suicidaires dans ce contexte, scénarisées par moment ", rappelant par ailleurs " qu'elle avait, lors de sa première consultation, présenté des éléments de vulnérabilité majeurs avec mise en danger ". Il notait enfin " qu'une rupture de soins et des repères qu'elle a trouvés en France dans l'état actuel entraînera une aggravation majeure de son état clinique avec un risque suicidaire majoré et un risque d'aggravation d'état de stress post-traumatique ". Ces différents constats ont été réitérés par ce médecin spécialiste dans un certificat médical établi le 19 juillet 2022 qui relevait, en outre, " qu'une démarche d'hospitalisation psychiatrique était actuellement envisagée, la patiente étant vue actuellement à un rythme hebdomadaire ". Mme A... bénéficie également, indépendamment du suivi médical par des consultations psychiatriques hebdomadaires rendu nécessaire par son état, d'un traitement médicamenteux quotidien particulièrement lourd. Dans ces conditions, la requérante qui justifie souffrir d'une pathologie psychiatrique grave nécessitant une prise en charge médicale, établit que son transfert vers l'Espagne entrainerait un risque réel et avéré de détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. Par suite, le préfet a entaché son arrêté du 6 mai 2022 portant transfert aux autorités espagnoles d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de Mme A... au regard des dispositions de l'article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il en résulte que la décision du 6 mai 2022 assignant à résidence Mme A..., prise sur le fondement de l'arrêté de transfert du même jour, est en conséquence entachée d'illégalité et doit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué en tant qu'il concerne cette décision d'assignation, être annulé.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 mai 2022 décidant son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par Mme A... le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1500 euros au profit du conseil de Mme A... au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation en tant qu'elles se rapportent à l'arrêté du 6 mai 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de Mme A... aux autorités espagnoles.
Article 2 : L'arrêté du 6 mai 2022 assignant à résidence Mme A... est annulé.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1500 euros au conseil de Mme A... en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2023.
Le rapporteur,
O. C...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. BONNIEU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22NT02317 2