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25/04/2023 | FRANCE | N°21NT02106

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 25 avril 2023, 21NT02106


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice moral et du trouble dans ses conditions d'existence, résultant de la carence fautive de l'Etat (ministère des armées) à l'avoir exposé, pendant de nombreuses années, à l'inhalation de poussières d'amiante et aux rayonnements ionisants, sans moyen de protection efficace.

Par un jugement n° 1804637 du

20 mai 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice moral et du trouble dans ses conditions d'existence, résultant de la carence fautive de l'Etat (ministère des armées) à l'avoir exposé, pendant de nombreuses années, à l'inhalation de poussières d'amiante et aux rayonnements ionisants, sans moyen de protection efficace.

Par un jugement n° 1804637 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. C... la somme globale de 21 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation de ses préjudices, a mis la somme de 800 euros à la charge de l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2021, le ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 mai 2021 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. C... la somme globale de 21 000 euros ;

2°) de rejeter, dans cette mesure, la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par M. C....

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que la requête, qui tend à l'indemnisation de préjudices distincts relevant de régimes de responsabilité différents, constitue une requête collective ; par suite, les premiers juges auraient dû inviter le requérant à régulariser sa demande en présentant deux requêtes distinctes ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il affirme notamment qu'une exposition à faible dose peut entraîner des pathologies de type cancérogène ;

- la responsabilité de l'Etat, en tant qu'employeur, ne peut être engagée ; il n'existe, en effet, aucune protection contre les rayonnements ionisants ; seule une réduction du risque passant par la détection des rayonnements ionisants et une estimation des doses reçues par les personnes exposées sont possibles ; M. C... a bénéficié des mesures qui ont été mises en œuvre à la DCN à partir de 1975, puis 1996 ; en tout état de cause, l'exposition des ouvriers de l'Ile Longue aux rayonnements ionisants reste faible et conforme aux seuils prévus par la règlementation ;

- à compter du 1er juin 2003, l'Etat n'était plus l'employeur des ouvriers de la DCN, de sorte que la mission de sécurité et de protection des agents mis à la disposition de la société DCNS ne lui incombait plus ;

- la créance de M. C... était prescrite à la date de sa réclamation préalable ;

- l'intéressé avait une connaissance suffisante du risque encouru dès 1996-1997, de sorte que sa créance était prescrite au 31 décembre 2001 ;

- il ne peut se prévaloir d'une cause interruptive et opposable du délai de prescription ; sa créance est personnelle et ne relève pas du même fait générateur que celle de ses collègues ;

- la littérature scientifique ne permet pas d'établir un lien entre une exposition prolongée même à faible dose et le risque de développer une pathologie cancéreuse ; or le préjudice d'anxiété, qui doit être certain, n'est reconnu que lorsque l'intéressé fait état d'un risque élevé de développer une maladie grave du fait de son exposition aux rayonnements ionisants ;

- la somme allouée en réparation de ce préjudice ne saurait excéder 8 000 euros d'autant que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée au-delà du 31 mai 2003 ;

- le préjudice d'anxiété résultant de l'exposition à l'amiante doit prendre en compte la durée d'exposition effective à un risque avéré, les fonctions exercées, la période d'exposition et l'âge auquel l'intéressé a quitté ses fonctions ainsi que, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles il a poursuivi sa carrière ; or M. C... ne produit aucun justificatif relatif aux postes qu'il a occupés et à son niveau d'exposition ; en l'absence de preuve d'un état dépressif ou d'un stress lié à son exposition aux poussières d'amiante, la somme de 13 000 euros allouée par le tribunal administratif apparaît manifestement disproportionnée d'autant que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée au-delà du 31 mai 2003.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2022, M. C... représenté par Me Macouillard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de sa requête en tant qu'elle présenterait un caractère collectif est opposée pour la première fois en appel par le ministre des armées ;

- les autres moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Le ministre des armées a produit le 30 mars 2023 une pièce complémentaire qui n'a pas été communiquée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2001-1276 de finances rectificative du 28 décembre 2001 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 modifié ;

- le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a exercé les fonctions d'appareilleur à la direction des constructions navales (DCN) de Brest, notamment sur le site de l'Ile Longue, du 2 mai 1974 au 14 juin 1987 puis du 22 avril 1993 au 30 avril 2005. Par une réclamation préalable reçue le 20 juin 2018, il a sollicité de la ministre des armées la réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition aux poussières d'amiante et aux rayonnements ionisants sans aucun moyen de protection efficace fourni par l'employeur. Sa demande a été implicitement rejetée. Par un jugement du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Rennes, saisi par M. C..., a condamné l'Etat à lui verser la somme globale de 21 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation de ses préjudices. Le ministre des armées relève appel, dans cette mesure, de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient le ministre, le jugement attaqué est suffisamment motivé. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

3. En second lieu, par une réclamation préalable reçue le 20 juin 2018, M. C... a sollicité la réparation de ses préjudices résultant de la carence fautive de l'Etat employeur à l'avoir exposé sans moyen de protection à l'inhalation de poussières d'amiante, d'une part, et aux rayonnements ionisants, d'autre part. Cette demande, qui a lié le contentieux, est restée sans réponse. L'intéressé a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une seule requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme globale de 35 000 euros en distinguant ces deux faits générateurs, les différentes fautes commises par l'Etat ainsi que les préjudices afférents à chacune d'elles. Ces conclusions, qui concernent le même agent, et la mise en cause de son employeur alors qu'il exerçait ses fonctions sur le site de l'Ile Longue, présentent entre elles un lien suffisant pour faire l'objet d'une requête unique. Par suite, le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir, pour la première fois en appel, que la requête présentée par M. C... devant le tribunal administratif, qui au demeurant ne l'a pas invité à régulariser sa demande, présenterait un caractère " collectif " et serait irrecevable pour ce motif. Ce moyen ne peut dès lors, et en tout état de cause, qu'être écarté.

Sur l'exposition aux rayonnements ionisants :

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État (...) sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi (...) ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) ".

S'agissant du point de départ de la prescription quadriennale :

5. En premier lieu, s'agissant du point de départ du délai de prescription, ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 4, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

6. Il résulte des dispositions citées au point 4 que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître de façon suffisamment précise l'origine et la gravité du dommage qu'elle a subi ou est susceptible de subir. Dans le cas du préjudice moral d'anxiété dont peuvent se prévaloir les agents publics qui ne sont pas bénéficiaires de l'un des dispositifs législatifs d'indemnisation mis en place, cette connaissance naît de la conscience prise par l'intéressé qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 4, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de cette connaissance.

7. A cet égard, s'il est constant que le commissariat à l'énergie atomique (CEA) a, en 1996, alerté la direction de la pyrotechnie du site de l'Ile Longue d'une émission de rayonnements Gamma plus élevée sur le dernier type de tête nucléaire livré à partir des années 1993-1994, entraînant la suspension temporaire de l'activité du site afin de prendre des mesures de protection, cet incident, contrairement à ce que fait valoir le ministre des armées, n'a toutefois pas permis à M. C... d'avoir alors une connaissance suffisante de ses conditions personnelles d'exposition aux rayonnements ionisants, susceptible de lui faire prendre conscience de l'étendue et de la gravité du risque sanitaire qu'il encourait. En revanche, la délivrance, le 12 octobre 2011 par la société DCNS de Brest, d'une attestation personnelle d'exposition aux rayonnements ionisants mentionnant l'intervention de M. C... sur des systèmes d'armes de dissuasion nucléaire du 1er mars 1975 au 14 juin 1987, a permis à ce dernier d'acquérir la connaissance de l'étendue et de la gravité du risque sanitaire qu'il encourait. Par suite, le délai de prescription quadriennale pour la période concernée a débuté le 1er janvier 2012.

S'agissant des causes interruptives de la prescription quadriennale :

8. En second lieu, s'agissant de l'interruption du délai de prescription, tout d'abord, les recours formés à l'encontre de l'Etat par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants-droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance de M. C..., dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.

9. Ensuite, les dispositions de cet article subordonnant l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent, en tout état de cause, en l'absence d'une telle mise en cause, davantage interrompre le cours du délai de prescription de la créance le cas échéant détenue sur l'Etat.

10. Enfin, lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt, par suite, le délai de prescription de cette créance. En revanche, ne présentent un tel caractère, ni une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni l'engagement de l'action publique, ni l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette action donne lieu en première instance et en appel.

11. M. C..., qui recherche la responsabilité de l'Etat en sa qualité d'employeur, pour carence fautive, et n'a intenté aucune action personnelle à l'encontre de ce dernier avant 2018, ne peut se prévaloir de l'effet interruptif du recours juridictionnel introduit par des tiers.

12. Compte tenu de ce qui vient d'être dit aux points 5 à 11, la créance de M. C... consécutive à son exposition aux rayonnements ionisants était donc prescrite à la date du 20 juin 2018, à laquelle il a saisi la ministre des armées d'une réclamation préalable.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête concernant l'exposition de M. C... aux rayonnements ionisants, que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à ce salarié la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices liés à son exposition aux rayonnements ionisants. Ce jugement doit être réformé dans cette mesure.

Sur l'exposition aux poussières d'amiante :

En ce qui concerne le cadre juridique de la responsabilité :

14. D'une part, la responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. A le caractère d'une faute, le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il n'est pas contesté que la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 et que le décret susvisé du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, a imposé des mesures de protection de nature à réduire l'exposition des agents aux poussières d'amiante ainsi que des contrôles de la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail.

15. Il y a lieu tout d'abord de constater que l'Etat ne conteste plus en appel que des mesures de protection et de prévention contre les poussières d'amiante n'ont pas été effectivement mises en œuvre et reçu concrètement exécution au sein des établissements de la DCN durant les périodes d'affectation de M. C... sur le site de Brest. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit au point 14, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée à raison de cette carence fautive.

16. D'autre part, en application de l'article 78 de la loi susvisée du 28 décembre 2001, les ouvriers de l'Etat affectés aux établissements du service à compétence nationale DCN à la date de réalisation des apports des droits, biens et obligations de l'Etat relatifs à ce service à l'entreprise nationale DCN, devenue DCNS, ont été mis à la disposition de cette entreprise, soit au 1er juin 2003. Aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 : " Les [...] ouvriers de l'Etat [...] mis à la disposition de l'entreprise nationale [...] sont en position d'activité. Dans cette position, ils demeurent soumis aux dispositions statutaires et réglementaires les régissant et bénéficient de celles du présent décret. ". Il résulte de la combinaison des articles 3, 10 et 13 du même décret que, si les mesures générales de gestion et d'administration des ouvriers de l'Etat mis, à compter du 1er juin 2003, à la disposition de l'entreprise nationale DCN, devenue DCNS puis Naval Group, continuent de relever de la compétence du ministre de la défense, les décisions individuelles les concernant relèvent en revanche de la compétence du président de l'entreprise Naval Group, exploitante des sites d'activité. A cet égard, le ministre de la défense n'exerce, depuis le 1er juin 2003, aucune responsabilité opérationnelle dans la gestion des postes de travail des ouvriers de l'Etat, chefs d'équipe et techniciens à statut ouvrier qui ont été mis à la disposition de cette entreprise nationale, responsable de la mise en œuvre effective des mesures de sécurité et d'hygiène, en particulier des équipements de protection individuelle, pour ces salariés qui exercent leurs fonctions sur ses différents sites. Ainsi, l'Etat ne peut, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, être regardé comme ayant conservé sa qualité d'employeur de ces derniers après le 31 mai 2003. Dans ces conditions, il y a lieu de reconnaître la responsabilité de l'Etat à raison de l'exposition de M. C... aux poussières d'amiante lors de son affectation à la DCN de Brest, pour les seules périodes du 2 mai 1974 au 14 juin 1987 puis du 22 avril 1993 au 31 mai 2003.

En ce qui concerne le préjudice d'anxiété :

17. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.

18. Doivent ainsi être regardés comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'ils ont été exposés à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, les agents qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions au contact avec des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante. Dans ce cas, le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.

19. M. C... se prévaut d'une attestation établie le 11 avril 2005 par la DCNS de Brest indiquant que du 2 mai 1974 au 14 juin 1987 et du 22 avril 1993 au 31 mars 2005, l'intéressé qui exerçait la profession d'appareilleur à l'atelier des Bâtiments en Fer puis aux Mouvements Généraux, a été exposé aux poussières d'amiante. Toutefois, ainsi que le fait valoir le ministre, la responsabilité de l'Etat a cessé à compter du 1er juin 2003, date à laquelle la DCNS est devenue l'employeur de M. C.... En outre, il n'est pas établi que l'intéressé travaillait et vivait, jour et nuit, dans un local professionnel confiné. Dans ces conditions, le ministre est fondé à soutenir que la somme de 13 000 euros allouée par les premiers juges en réparation de son préjudice d'anxiété du fait de son exposition aux poussières d'amiante est excessive. Cette somme doit être ramenée, compte tenu de sa durée d'exposition d'un peu plus de 20 ans jusqu'au 31 mai 2003, à une somme de 8 000 euros.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la somme globale de 21 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. C... en réparation de ses préjudices doit être ramenée à 8 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2018, date de réception de sa réclamation préalable. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 20 juin 2019, date à laquelle une année d'intérêt était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel, le versement à M. C... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme globale de 21 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. C... en réparation de ses préjudices résultant de son exposition aux poussières d'amiante et aux rayonnements ionisants est ramenée à 8 000 euros. Elle sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2018, date de réception de sa réclamation préalable. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 20 juin 2019, date à laquelle une année d'intérêt était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement n° 1804637 du tribunal administratif de Rennes en date du 20 mai 2021 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions présentées en appel par M. C... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... C....

Délibéré après l'audience du 7 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2023.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

P. BONNIEU

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21NT02106


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02106
Date de la décision : 25/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-04-25;21nt02106 ?
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