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24/03/2023 | FRANCE | N°21NT02414

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 mars 2023, 21NT02414


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2018 par lequel le maire de la commune de D... a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont elle souffre et de ses congés pour maladie du 5 au 11 mai 2013, du 12 au 21 mai 2014, du 24 au 28 octobre 2016 et du 13 au 27 décembre 2016.

Par un jugement n° 1805581 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 19 septembre 2018.

Procédure devant

la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 août 2021 et 13 janvier 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2018 par lequel le maire de la commune de D... a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont elle souffre et de ses congés pour maladie du 5 au 11 mai 2013, du 12 au 21 mai 2014, du 24 au 28 octobre 2016 et du 13 au 27 décembre 2016.

Par un jugement n° 1805581 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 19 septembre 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 août 2021 et 13 janvier 2023, la commune de D..., représentée par Me Lahalle, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 juin 2021 et de rejeter la demande de Mme E... ;

2°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal a jugé que l'arrêté contesté était entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il refuse de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre Mme E..., dès lors que :

- il n'existe pas de lien direct entre cette pathologie et l'exercice par l'intéressée de ses fonctions ;

- le comportement délétère de l'intéressée qui a causé des tensions dans le service est à l'origine des difficultés dont elle souffre et est donc de nature à détacher sa pathologie du service.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 mai 2022 et 26 janvier 2023,

Mme E..., représentée par Me Bourges-Bonnat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la commune de D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen soulevé par la commune de D... n'est pas fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Meunier, représentant la commune de C..., et de Me Bourges-Bonnat, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., attachée principale territoriale, a été recrutée par la commune de C... le 15 juin 2006 et détachée sur l'emploi fonctionnel de directrice des services de la commune. Elle a bénéficié d'arrêts de travail allant du 5 avril au 11 mai 2013 et du 12 au 21 mai 2014 pour un syndrome dépressif. Par un arrêté du 15 janvier 2015, le maire de C... a mis fin au détachement de Mme E... sur l'emploi fonctionnel de directrice générale des services. L'intéressée a alors été mise à la disposition de la commune de F... jusqu'au 11 septembre 2016, pour y occuper les fonctions de directrice générale des services par intérim puis de chef de projet d'aménagement durable du territoire et chargée des affaires juridiques. Par un arrêté du 12 septembre 2016, le maire de C... a prononcé la réintégration de Mme E... dans les effectifs de la commune après la fin de sa mise à disposition, et l'a affectée sur un emploi de chargé de missions " planification et aménagement du territoire communal " et " affaires juridiques ". Mme E... a bénéficié d'arrêts de travail du 24 au 28 octobre 2016, puis du 13 au 27 décembre 2016 pour un état anxieux et dépressif. Elle a ensuite été placée en disponibilité pour convenance personnelle du 23 janvier au 30 avril 2017, puis mise à la disposition de Rennes Métropole. Par un courrier reçu le 31 mars 2017, elle a sollicité du maire de C... la reconnaissance de l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif dont elle est atteinte depuis l'année 2013 et pour lequel elle a été placée à plusieurs reprises en congé pour maladie. Après que la commission de réforme a émis, le 13 septembre 2018, un avis défavorable à cette demande, le maire de C... a, par arrêté du 19 septembre 2018, refusé de reconnaître l'imputabilité au service ou à un accident de service de sa pathologie et des arrêts de travail allant du 5 au

11 mai 2013, du 12 au 21 mai 2014, du 24 au 28 octobre 2016 et du 13 au 27 décembre 2016, et l'a placée en congé de maladie ordinaire pour ces périodes. Par un jugement du 24 juin 2021, dont la commune de C... relève appel, le tribunal a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".

3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

4. Il ressort du rapport d'expertise établi le 22 janvier 2018 par un médecin psychiatre, dans le cadre de l'instruction de la demande de reconnaissance d'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif formée par Mme E... que celle-ci ne présentait pas d'état antérieur psychiatrique ou d'antécédent familiaux lorsqu'elle a développé cette affection. Cet expert a conclu à l'imputabilité de cette pathologie à l'exercice par l'intéressée de ses fonctions au sein de la commune de C..., compte tenu de son exposition, dans ce cadre, à un stress professionnel intense. L'existence d'un contexte professionnel de nature à susciter le développement du syndrome anxio-dépressif en cause ressort en particulier des courriers adressés au maire de C... par le médecin de prévention les 26 mars 2013 et 17 octobre 2014 qui font état, dans cette commune, de relations de travail dégradés et de l'existence d'une situation objective de mal-être au travail qui requérait une réorganisation interne avec notamment la nécessité d'une meilleure identification des missions des agents et de référents hiérarchiques. De même, le rapport d'un audit externe réalisé en 2013 a mis en évidence des carences dans l'organisation de l'administration de la commune, avec un partage des rôles entre direction administrative et direction politique manquant de clarté, l'existence de conflits ouverts, insuffisamment régulés par l'autorité locale, des stratégies d'évitement de la part des agents, avec des arrêts de travail répétitifs et un stress prévalant chez les trois quarts des agents. Enfin, l'existence d'un lien entre la pathologie en cause et les fonctions de l'intéressée au sein de la commune ou avec le contexte professionnel en cause, marquée par une relation difficile de

Mme E... avec le maire et certains élus, est également corroborée par l'attestation de la psychologue du travail du centre de gestion d'Ille-et-Vilaine du 23 septembre 2016 dont il ressort que l'état psychique de l'intéressée s'améliorait lorsqu'elle n'était plus affectée dans la commune et s'aggravait à la perspective d'y retourner.

5. Toutefois, il ressort aussi des pièces du dossier et notamment des témoignages d'élus et d'agents ayant travaillé au contact de Mme E..., qui ont été transmis par le maire de C... à la commission de réforme en 2018, que le comportement de celle-ci, caractérisé notamment par un management particulièrement exigeant et directif, a été source d'une situation tendue au sein de la commune ainsi que de stress et de souffrance pour certains agents de la commune. Ce comportement doit être regardé, dès lors, compte tenu du rôle primordial d'une directrice générale des services dans la direction et l'animation des services de la commune, comme la cause déterminante du développement d'un contexte de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause. Il constitue ainsi un fait personnel de nature à détacher la maladie du service. La commune de C... est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté contesté au motif qu'il était entaché d'une erreur d'appréciation s'agissant de l'absence de lien entre la pathologie en cause et le service.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal.

Sur les autres moyens soulevés contre l'arrêté contesté :

7. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article 17 de l'arrêté du 4 août 2004 visé ci-dessus, les avis de la commission de réforme doivent être motivés, en tenant compte du respect du secret médical. Au cas présent, la commission de réforme a, contrairement à ce que soutenait Mme E... devant le tribunal, suffisamment motivé son avis, en indiquant, dans le respect du secret médical, que l'état de santé de l'intéressée " relève d'une pathologie concomitante ".

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004 visé ci-dessus : " La commission de réforme doit être saisie de tous témoignages, rapports et constatations propres à éclairer son avis. Elle peut faire procéder à toutes mesures d'instructions, enquêtes et expertises qu'elle estime nécessaires. Dix jours au moins avant la réunion de la commission, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de son dossier, dont la partie médicale peut lui être communiquée, sur sa demande, ou par l'intermédiaire d'un médecin ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. La commission entend le fonctionnaire, qui peut se faire assister d'un médecin de son choix. Il peut aussi se faire assister par un conseiller ". En vertu des dispositions de l'article 3 du même arrêté, la commission de réforme comprend " 1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes [...] ".

9. Il résulte des dispositions précitées que, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée est nécessaire pour éclairer l'examen du cas du fonctionnaire, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée.

10. Au cas présent, il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme ne s'est pas adjoint de médecin psychiatre. Toutefois, elle s'est prononcée au vu notamment du rapport d'expertise établi le 22 janvier 2018 par un autre médecin spécialisé en psychiatrie. Ainsi, il n'est pas manifeste que la présence d'un médecin de cette spécialité aurait été nécessaire pour éclairer l'examen du cas de l'intéressée, de sorte que celle-ci n'a pas été privée d'une garantie, alors même que la commission n'a pas suivi l'avis du spécialiste. Le moyen tiré du vice de procédure au regard des dispositions citées au point 8 doit, dès lors, être écarté.

11. En troisième lieu, la circonstance que la commune requérante ait manqué délibérément de diligence dans l'instruction de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie par l'intéressée, en transmettant cette demande tardivement à la commission de réforme, en y joignant des témoignages mettant en cause son comportement, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée.

12. En dernier lieu, eu égard à ce qui précède, le détournement de procédure ou de pouvoir allégué n'est pas établi.

13. Il résulte de ce qui précède que la commune de C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 19 septembre 2018.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de D..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, verse à Mme E... la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme E... la somme que la commune de D... demande en application de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 juin 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et à la commune de D....

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2023.

Le rapporteur

X. CatrouxLe président

D. Salvi

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT02414


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02414
Date de la décision : 24/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL BOURGES-BONNAT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-24;21nt02414 ?
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