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16/12/2022 | FRANCE | N°22NT01618

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 16 décembre 2022, 22NT01618


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D..., née C..., a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, ainsi que l'arrêté du 20 décembre 2021 du même préfet lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n°s 2102479, 2200187 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses deman

des.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D..., née C..., a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, ainsi que l'arrêté du 20 décembre 2021 du même préfet lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n°s 2102479, 2200187 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 mai et 22 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Balouka, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2022 en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 décembre 2021 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 20 décembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à son profit en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article R. 432-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile puisque ni le procès-verbal ni l'avis de cette commission ne lui ont été communiqués ;

- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- dès lors qu'elle pouvait prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour prive de base légale la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- sa situation justifie que lui soit accordé un délai de départ volontaire de plus de trente jours ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 août 2022, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme D... a été rejetée par une décision du 8 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante arménienne née le 12 juin 1987, est entrée en France le 5 mai 2011, selon ses déclarations. Ses demandes d'asile et de réexamen ont été rejetées par des décisions des 30 mars 2012 et 17 mai 2013 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmées respectivement par des décisions des 28 mars 2013 et 20 décembre 2013 de la Cour nationale du droit d'asile. La délivrance d'un titre de séjour lui a été refusée le 11 juin 2013, avant que lui soit délivré un premier titre de séjour pour raisons médicales valable du 9 septembre 2014 au 20 mai 2015, renouvelé jusqu'au 18 juin 2016. L'intéressée ayant sollicité un nouveau titre de séjour au titre de la vie privée et familiale, un arrêté portant rejet de sa demande assorti d'une obligation de quitter le territoire français a été pris à son encontre le 19 octobre 2017. Par un jugement du 8 février 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Le recours formé contre ce jugement a été rejeté par un arrêt du 12 novembre 2018 de la cour administrative d'appel de Nantes. Une nouvelle demande de titre de séjour présentée le 18 juin 2019 par Mme D... a été rejetée par un arrêté du 10 mars 2020 portant également obligation de quitter le territoire français. Ces décisions ont été retirées respectivement par des arrêtés des 6 mai et 3 juillet 2020. Par un jugement du 9 octobre 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour. L'intéressée a présenté une nouvelle demande de titre séjour le 3 janvier 2021 sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté du 20 décembre 2021, le préfet du Calvados a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... relève appel du jugement du 28 avril 2022 du tribunal administratif de Caen rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 (...) ". Aux termes de l'article R. 432-14 du même code : " Devant la commission du titre de séjour, l'étranger fait valoir les motifs qu'il invoque à l'appui de sa demande d'octroi ou de renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant ses explications est transmis au préfet avec l'avis motivé de la commission. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé ". Il résulte de ces dispositions que l'avis motivé de la commission doit être transmis à l'intéressé et au préfet avant que ce dernier ne statue sur la demande dont il a été saisi. Une telle communication constitue une garantie instituée au profit de l'étranger qui doit connaître le sens et les motifs de l'avis de la commission avant que le préfet ne prenne sa décision.

3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... ayant présenté une demande de titre de séjour fondée notamment sur les dispositions de l'article L. 313-14, devenu L. 435-1, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Calvados a consulté la commission du titre de séjour, qui s'est réunie le 10 décembre 2021 et, après audition de l'intéressée, a émis un avis défavorable à sa demande de régularisation. Si la requérante n'établit pas que le procès-verbal de cette réunion, qu'aucun texte n'obligeait à transmettre à l'intéressée ou à son conseil, retranscrirait de façon tronquée les explications fournies par ces derniers devant la commission, le préfet du Calvados ne conteste pas l'absence de communication écrite ou orale de l'avis motivé de la commission à la requérante avant qu'il ne soit statué sur sa demande de titre de séjour. Le défaut de communication à l'intéressée, dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 432-14 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'avis de la commission du titre de séjour a été de nature à la priver d'une garantie, dès lors qu'elle n'a pas eu la faculté, compte tenu du sens de l'avis et de ses motifs, de présenter des observations à la suite de cet avis. Par suite, Mme D... est fondée à soutenir que la décision du 20 décembre 2021 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour a été prise à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation pour ce motif, ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions prises le même jour l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

7. L'exécution du présent arrêt n'implique pas, eu égard au moyen d'annulation retenu ci-dessous, qu'il soit enjoint au préfet du Calvados de délivrer un titre de séjour à Mme D..., mais uniquement de réexaminer la situation de l'intéressée dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais du litige :

8. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la requérante, qui n'a pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2022 et l'arrêté du 20 décembre 2021 du préfet du Calvados sont annulés.

Article 2 Il est enjoint au préfet du Calvados de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai de trois mois.

Article 3: L'Etat versera à Mme D... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., née C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

La rapporteure

C. B... Le président

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT016182


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01618
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET SARAH BALOUKA - AARPI CONCORDANCE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-12-16;22nt01618 ?
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