La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/11/2022 | FRANCE | N°21NT03323

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 29 novembre 2022, 21NT03323


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler, tout d'abord, la décision du 7 février 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2018 et a autorisé son licenciement pour inaptitude de la société F..., ensuite, la décision du 25 juillet 2018 de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement pour inaptitude ainsi que le rejet implicite de son recours hi

érarchique et, enfin, de mettre à la charge de l'État une somme de 4000 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler, tout d'abord, la décision du 7 février 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2018 et a autorisé son licenciement pour inaptitude de la société F..., ensuite, la décision du 25 juillet 2018 de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement pour inaptitude ainsi que le rejet implicite de son recours hiérarchique et, enfin, de mettre à la charge de l'État une somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901573 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 26 novembre 2021, M. C..., représenté par Me Quentel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2021 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) d'annuler la décision du 7 février 2019 de la ministre du travail et le rejet implicite de son recours hiérarchique ;

3°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2018 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, son inaptitude physique étant en lien direct avec les pressions subies en tant que représentant du personnel ; son activité syndicale a joué un rôle certain dans la demande de licenciement.

- en premier lieu, l'inspecteur du Travail, comme d'ailleurs la Ministre du travail, ont, chacun considéré que la dégradation de l'état de santé de M. C... était " indéniablement liée aux relations conflictuelles qui l'ont opposé à son employeur ".

- en deuxième lieu, la société F... avait déjà tenté de se séparer de M. C... motif pris d'une prétendue " faute grave ", que ce dernier a toujours contesté, qui n'était absolument pas démontrée et que l'inspecteur du travail avait d'ailleurs écartée lors de la demande d'autorisation de licenciement qui lui avait été présentée à ce titre. La volonté de la société F... de se séparer de M. C..., sous couvert d'une " faute grave " qui masquait en réalité l'exercice de son activité syndicale, s'était donc déjà manifestée par le passé. Et elle n'a jamais cessé de se démentir. Procédure précédemment et vainement initiée pour faute grave.

- en troisième lieu, que la société F... n'a jamais mis à la disposition de M. C... les moyens suffisants pour exercer ses mandats. La direction de la société a refusé de lui communiquer, lors de la Négociation Annuelle Obligatoire (NAO), le bilan d'exercice comptable au moment de la reprise de la société et de lui fournir le listing téléphonique de l'entreprise de manière à lui permettre de se mettre en relation avec les salariés. Il est impossible de considérer que ces carences de l'employeur soient sans rapport avec ses mandats syndicaux.

- en quatrième lieu, la direction de la société F... n'a jamais dissimulé son aversion envers les syndicats en général et la CGT et lui-même en particulier. Parallèlement, son employeur n'a cessé d'entretenir un climat délétère au sein de son entreprise : en rappelant à ses salariés que M. C... B... " ferait couler la boite ", en le dénigrant ouvertement devant ses salariés, le présentant comme responsable de tous les maux de l'entreprise en colportant des faits mensongers sur lui, destinés à le décrédibiliser auprès des salariés, en adoptant auprès de ses salariés un comportement proche de la subornation de témoin, à son préjudice.

Par un mémoire, enregistré le 31 janvier 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête et demande.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et s'en réfère aux observations formulées dans le cadre de son mémoire présenté le 4 avril 2019 devant le tribunal administratif et qu'elle transmet à la cour.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire enregistrés les 1er et 20 octobre 2022, la société Transports Bruneel, représentée par Me Nolot, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3000 euros soit mise à la charge de M. C..., sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un mémoire, enregistré le 9 novembre 2022, présenté pour M. C..., représenté par Me Quentel, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport d M. D...,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Nolot représentant la société F....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... était salarié de la société F... depuis le mois d'août 2010 en qualité de conducteur routier, titulaire des mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'entreprise dans le cadre de la délégation unique du personnel et de délégué syndical. M. C... a été placé en arrêt maladie par son médecin à compter du 27 août 2015 et n'a plus repris le travail à compter de cette date. Il a été déclaré, le 2 mai 2018, inapte à son poste de travail par le médecin du travail, qui a précisé que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. La délégation unique du personnel consultée le 24 mai 2018 par l'employeur a émis un avis favorable au projet de licenciement du salarié. La société F... a déposé, le 25 août 2018, une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude. L'inspecteur du travail a, par une décision du 25 juillet 2018, accordé cette autorisation. M. C... a, le 24 septembre 2018, formé un recours hiérarchique, rejeté implicitement. Puis, par une décision du 7 février 2019, la ministre du travail a retiré sa décision implicite portant rejet du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2018, au motif de son insuffisante motivation. La ministre du travail a ensuite autorisé le licenciement de M. C... pour inaptitude.

2. M. C... a, le 29 mars 2019, saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de ces différentes décisions. Il relève appel du jugement du 27 septembre 2021 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.

Sur la légalité de la décision d'autorisation de licenciement :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale.

4. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris s'il est soutenu que l'inaptitude résulte d'une dégradation de l'état de santé du salarié protégé ayant directement pour origine des agissements de l'employeur dont l'effet est la nullité de la rupture du contrat de travail, tels que, notamment, un harcèlement moral. Enfin, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale.

5. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

6. M. C... soutient que son licenciement pour inaptitude est en lien avec les conditions d'exercice de ses mandats.

7. Il ressort, tout d'abord, des pièces versées au dossier que la société F... qui avait changé de dirigeant le 1er novembre 2014 a, au mois d'août 2015, décidé de cesser l'activité " Transport Vrac Bennes céréalières ", entrainant le reclassement de l'ensemble des salariés affectés à cette activité au sein de l'activité " Transports frigorifiques ". Il est constant que M. C..., directement concerné par cette opération, s'est opposé à plusieurs reprises au nouveau dirigeant en faisant valoir que " cette activité était rentable " et que " l'employeur n'avait pas respecté les procédures de consultation et de reclassement ". Ces circonstances ont conduit à une dégradation de ses relations avec son employeur, et, ainsi que l'a relevé la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) dans son rapport de synthèse du 21 janvier 2019, sont " la cause d'une situation d'incontestable souffrance au travail du salarié ". A compter du 27 août 2015, M. C... a été placé en arrêt maladie et, s'il n'a plus repris le travail au sein de l'entreprise, l'inspecteur du travail qui a indiqué dans sa note du 21 janvier 2019 qu'il avait été très actif en 2015, a précisé qu'il l'était resté lors de son second mandat. Il ressort, ensuite, également des pièces du dossier que, le 15 juillet 2016, la société F... a sollicité l'autorisation de licencier M. C... pour faute au motif " qu'il lui était reproché d'avoir élaboré un courrier de reproche à son employeur, pour le compte d'un tiers M. A..., et de l'avoir antidaté ". Par une décision du 31 août 2016, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande en estimant que ce comportement n'était pas fautif, dans un contexte de forte opposition avec leur employeur, alors qu'un représentant du personnel peut légitimement aider un collègue dans la défense de ses intérêts. Cette décision a été confirmée le 28 avril 2017 par la ministre du travail sur recours hiérarchique, la société s'étant par ailleurs désistée de l'instance qu'elle avait introduite contre ces deux décisions. Par un avis du 2 mai 2018, le médecin du travail a reconnu M. C... inapte au travail à son poste de conducteur poids lourd, en précisant que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L'employeur a alors demandé l'autorisation de le licencier en raison de cette inaptitude. Si l'inspecteur du travail a autorisé le 25 juillet 2018 l'entreprise Transports Bruneel à licencier M. C... pour inaptitude, la DIRRECTE a, dans la note établie le 21 janvier 2019 à l'attention du ministre saisi par l'intéressé d'un recours hiérarchique, indiqué " que la dégradation de l'état de santé du salarié, confirmée par le médecin du travail et les différents spécialistes qui le suivent, était indéniablement liée aux relations conflictuelles qu'il a avec son employeur, surtout à l'occasion de l'exercice de son mandat ". Au regard de l'ensemble de ces circonstances, et même si l'inspecteur du travail puis le ministre, ont pu relever, ce qui est sérieusement contesté par le requérant, que " rien ne permettait objectivement de démontrer que la dégradation de son état de santé trouvait son origine dans les agissements de l'employeur ", la demande d'autorisation de licenciement en litige doit être regardée comme n'étant pas sans rapport avec les mandats détenus par l'intéressé. L'inspecteur du travail puis le ministre, auxquels il appartenait de contrôler l'existence d'un tel lien, ne pouvaient, par suite, légalement autoriser le licenciement demandé par la société Transports Bruneel.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 25 juillet 2018 et 7 février 2019 de l'inspecteur du travail et de la ministre du travail autorisant son licenciement pour inaptitude.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, le versement à la société Transports Bruneel de la somme qu'elle demande au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... d'une somme 1500 euros au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901573 du tribunal administratif de Rennes du 27 septembre 2021 est annulé.

Article 2 : Les décisions des 25 juillet 2018 et 7 février 2019 de l'inspecteur du travail et de la ministre du travail sont annulées.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société F... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à la société F... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2022.

Le rapporteur,

O.CoiffetLe président,

O. GASPON

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

N°21NT03323 2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03323
Date de la décision : 29/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : NOLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-29;21nt03323 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award