Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 3 mars 2017 du ministre de l'intérieur en ce qu'elle refuse de faire droit à sa demande de se voir octroyer des permissions de longue durée au titre de la période durant laquelle il était placé en congé de longue durée pour maladie, et en ce qu'elle refuse de faire droit à ses demandes au titre de l'indemnité pour charges militaires et au titre de l'indemnité pour temps d'activité et d'obligations professionnelles complémentaires, ainsi que la décision implicite de rejet de la commission de recours des militaires du 2 octobre 2017.
Par un jugement n° 1710722 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a, d'abord, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à la rectification du calcul de l'indemnité pour charges militaires servie à M. B..., ensuite, annulé la décision du ministre de l'intérieur du 3 mars 2017 en ce qu'elle ne tient pas compte de la période de congé de longue durée pour maladie de M. B... pour le calcul de ses droits à permissions de longue durée et, enfin, enjoint au ministre de l'intérieur de lui accorder ses droits à permissions de longue durée au titre de la période du 28 août 2015 au 28 août 2016 durant laquelle il se trouvait en congé de longue durée pour maladie.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 mars 2021 le ministre de l'intérieur, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 décembre 2020 ;
2°) de rejeter toutes les conclusions de la demande de M. B....
Il soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable dès lors que la lettre du 3 mars 2017 n'était pas une décision faisant grief ;
- la décision du 3 mars 2017 n'était plus contestable dès lors qu'elle a été remplacée par la décision implicite de rejet rendue par la commission de recours des militaires saisie par M. B... ;
- la directive 2003/88/CE est inapplicable aux gendarmes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2021, M. B... conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 ;
- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de la défense ;
- la circulaire n° 49500/DEF/GEND/OE/SDSPSR/PA du 11 avril 2008 (NOR DEFG0851397C),
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., sous-officier de gendarmerie affecté au peloton d'autoroute de ... a, au mois de juillet 2014, répondu avec succès à un appel à candidature pour un poste de gardien de police municipale, transformé ensuite en poste de brigadier-chef principal. A la suite de l'agrément de la commission nationale d'orientation et d'intégration des militaires vers un emploi au sein de la police municipale, le militaire a été mis à disposition de la ville d'... par décision du 19 décembre 2014, pour y effectuer un stage probatoire de deux mois à compter du 1er janvier 2015 et y être détaché à compter du 1er mars suivant. Le 26 février 2015, le maire d'... s'est opposé au placement en position de détachement du requérant. Par arrêté du 13 mars 2015, M. B... a été réintégré dans les cadres des sous-officiers de la gendarmerie nationale et remis à disposition de la région de gendarmerie des Pays de la Loire, au sein du peloton de ..., à compter du 1er mars 2015. M. B... a été placé en congé de maladie à compter du 28 février 2015, puis en congé de longue durée pour maladie à compter du 28 août suivant. Par une décision du 22 novembre 2016 le ministre de l'intérieur a rappelé à l'activité M. B... à compter du 28 août 2016. Puis, par une décision du 2 décembre suivant, il a rappelé à l'activité l'intéressé au sein de la région de gendarmerie des Pays de la Loire. Par courrier du 16 février 2017, M. B... a sollicité le report de ses droits à permissions acquis durant son congé maladie et son congé de longue durée pour maladie, ainsi que le paiement de l'indemnité pour temps d'activité et d'obligations professionnelles complémentaires (TAOP) et de l'indemnité pour charges militaires (ICM) au taux non logé. Par un courrier du 3 mars 2017, le commandant de la région de gendarmerie des Pays de la Loire et du groupement de gendarmerie départementale de la Loire-Atlantique lui a, d'une part, indiqué qu'il avait droit à 60 jours de permissions et, d'autre part, l'a invité à prendre contact avec le service expert des ressources humaines de Rennes s'agissant du calcul des indemnités. Le 27 mai 2017, M. B..., estimant que cette décision excluait illégalement les droits à permission acquis durant la période du 28 août 2015 au 28 août 2016, correspondant à son congé de longue durée pour maladie, a formé un recours préalable auprès de la commission des recours des militaires. Une décision implicite de rejet est née le 2 octobre 2017. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 15 décembre 2020 en tant que celui-ci a annulé la lettre du 3 mars 2017.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense " I. - Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. Le recours administratif formé auprès de la commission conserve le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention de la décision prévue à l'article R. 4125-10 (...) ". L'article R. 4125-10 de ce même code précise que " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, fait mention de la faculté d'exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l'égard de l'acte initialement contesté devant la commission. L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour les décisions individuelles entrant dans leur champ d'application, les décisions prises sur le recours administratif préalable obligatoire se substituent aux décisions initiales et sont seules susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux. Cette substitution ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient invoqués à leur encontre des moyens tirés de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions initiales qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la régularité des décisions soumises au juge.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a saisi la commission de recours des militaires afin de contester la lettre du 3 mars 2017 par laquelle il lui a été seulement accordé 60 jours de permission alors qu'il en sollicitait le bénéfice de 85 jours. Si le tribunal administratif a annulé la décision du 3 mars 2017, statuant ainsi sur une décision qui avait disparu de l'ordre juridique, il a également rejeté le surplus des conclusions de la requête statuant implicitement mais nécessairement sur les conclusions dirigées contre la décision de la commission de recours des militaires née le 2 octobre 2017. Ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, il n'a pas omis de se prononcer sur les conclusions dirigées contre la décision de la commission de recours des militaires. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le ministre à la demande de première instance :
5. Par le courrier en litige en date du 3 mars 2017, en réponse à une lettre de M. B... en date du 16 février 2017, le commandant de la région de gendarmerie Pays de la Loire et du groupement de gendarmerie départementale de la Loire-Atlantique a précisé à M. B... qu'il pouvait prétendre, pour la période s'étendant du 1er janvier 2015 à la date de la décision, au bénéfice de 60 jours de permission, et a expressément refusé de faire droit à sa demande tendant à se voir octroyer 85 jours. A la suite de cette décision, M. B... a saisi la commission de recours des militaires, laquelle, par une décision implicite née le 2 octobre 2017, doit être regardée comme ayant confirmé le refus opposé le 3 mars 2017. La décision de la commission de recours des militaires, comme il a été dit au point 3 s'est substituée à la décision du 3 mars 2017. Dès lors que le requérant, dans sa demande de première instance, a contesté la lettre du 3 mars 2017 ainsi que la décision implicite née le 2 octobre 2017, les fins de non-recevoir opposées par le ministre doivent être écartées.
En ce qui concerne la légalité du refus opposé à M. B... :
6. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 1er de la directive du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " La présente directive s'applique à tous les secteurs d'activités, privés ou publics, au sens de l'article 2 de la directive 89/391/CEE, sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la directive du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, cette directive " s'applique à tous les secteurs d'activités, privés ou publics (...) ". Toutefois, elle n'est pas applicable " lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s'y opposent de manière contraignante ".
7. La directive du 4 novembre 2003 renvoie à la directive du 12 juin 1989 pour la définition de son champ d'application matériel. Le choix des auteurs de ces textes a été, d'une part, de donner une dimension extrêmement large à ce champ qui couvre tous les secteurs d'activités, privés ou publics, d'autre part, de prendre en compte la nature de l'activité exercée et non le statut assigné par la loi nationale à telle ou telle catégorie de travailleurs. De plus, ce n'est, selon les termes mêmes de l'article 2 de la directive du 12 juin 1989, que lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques, par exemple susceptibles d'être exercées par les membres des forces armées, s'y opposent de manière contraignante que les activités en cause sont exclues des prévisions de cette directive.
8. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi jugé, dans son arrêt C-742/19 du 15 juillet 2021, que les militaires n'étaient pas exclus du champ d'application de cette directive du fait de cette seule qualité. Elle a toutefois estimé que les règles de temps de travail de la directive ne pouvaient être interprétées d'une telle manière qu'elles empêcheraient les forces armées d'accomplir leurs missions, afin de ne pas porter atteinte à la préservation de l'intégrité territoriale et la sauvegarde de leur sécurité nationale par les Etats. Elle en a notamment déduit que ne sauraient relever du champ d'application de la directive du 4 novembre 2003 les activités relevant de la formation initiale, de l'entraînement opérationnel ou d'une opération militaire proprement dite, ainsi que celles qui présentent un lien d'interdépendance avec des opérations militaires et pour lesquelles l'application de la directive se ferait au détriment du bon accomplissement de ces opérations. Il incombe au juge administratif de vérifier si les militaires concernés ne sont pas exclus du champ de cette directive en raison de leurs activités. S'ils en sont exclus, il rejette les conclusions dont il est saisi. Dans l'hypothèse inverse, il lui revient de vérifier si le droit national est compatible avec les objectifs de la directive. A supposer, enfin, qu'il constate l'incompatibilité du droit national avec ces objectifs et qu'il soit saisi d'un moyen en défense en ce sens, il lui appartient de s'assurer que l'application du droit de l'Union ne conduirait pas à ce que les limites fixées à la disponibilité des forces armées privent de garanties effectives l'exigence constitutionnelle de nécessaire libre disposition de la force armée, aux fins d'assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, et, le cas échéant, d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union dont le requérant l'a saisi.
9. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1-Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. " Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans ses arrêts C-173/99 du 26 juin 2001, ainsi que C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, que ces dispositions font obstacle aux dispositions et pratiques nationales qui, d'une part, excluent la naissance d'un droit au congé annuel payé pendant la période de congé maladie et, d'autre part, prévoient l'extinction de ce droit à l'expiration de la période de référence lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant tout ou partie de cette période.
10. D'abord, il ressort des pièces du dossier que M. B..., sous-officier de gendarmerie affecté au peloton motorisé de ..., placé en congé de maladie à compter du 28 février 2015, puis en congé de longue durée pour maladie à compter du 28 août suivant n'était pas ainsi au nombre des militaires qui seraient exclus du champ d'application de la directive précitée en raison de leurs activités militaires.
11. Ensuite, il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. B... les jours de permissions sollicités, qui constituent des congés annuels, l'administration lui a indiqué que seule la position d'activité permet de générer des droits à permission et que la position de congé de longue durée pour maladie était entendue comme une position de non-activité, insusceptible de générer des droits à permission. Ainsi, la décision contestée, en refusant à M. B... la possibilité de constituer des droits à permission lors de son congé de longue durée pour maladie méconnaît les dispositions de l'article 7 précité de la directive du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, dont le délai de transposition en droit interne expirait le 23 mars 2005.
12. Enfin, il ressort des pièces du dossier, que dans les circonstances de la présente espèce, l'application du droit de l'Union ne conduit pas à ce que les limites fixées à la disponibilité des forces armées privent de garanties effectives l'exigence constitutionnelle de nécessaire libre disposition de la force armée, aux fins d'assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.
13. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision contestée en ce qu'elle exclut la période du 28 août 2015 au 28 août 2016 durant laquelle il était placé en congé maladie de longue durée pour le calcul de ses droits à permissions.
Sur la demande aux fins d'injonction :
14. En raison des motifs qui la fonde, l'annulation de la décision litigieuse implique nécessairement que soient accordés à M. B... des droits à permissions tenant compte de la période, pendant laquelle il a été placé en congé de longue durée pour maladie, allant du 28 août 2015 au 28 août 2016. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder le report des droits à permissions acquis pendant cette dernière période dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une
somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Giraud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 novembre 2022.
Le rapporteur,
T. A...Le président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00614